Interview

Yves Juillet, conseiller du président du Leem

Les entreprises du médicament :

«Nous voulons être plus transparents»

Lors de la présentation des vœux du Syndicat des entreprises du médicament (Leem) à la presse, le 25 janvier dernier, son président Christian Lajoux a voulu dire un mot sur «l’image» du secteur et «les critiques formulées dans le cadre d’un débat normal et démocratique avec les Français» : «Je trouve quelquefois certaines prises de position excessives, injustes, déséquilibrées, mal documentées, voire véhiculant quelques contrevérités (sur la surconsommation par exemple). Je souhaite trouver avec vous [journalistes] les moyens d’un dialogue totalement transparent sur tous ces sujets et je veux rappeler que notre industrie est celle de la vie et du progrès. Je suis conscient que nous pouvons progresser dans de nombreux domaines et je m’inscris dans la nécessité de rendre des comptes.»

Suite à ces propos, nous avons voulu interroger le Leem. Le docteur Yves Juillet, conseiller du président et secrétaire permanent du Comité d’éthique et de médiation de l’industrie pharmaceutique (Cemip), a répondu à nos questions.

Jean-Luc Martin-Lagardette. – Un grand reproche généralement fait à l’industrie du médicament est de nier les effets contraires de ses produits.

Yves Juillet. – Le médicament est complexe. En la matière, il ne peut pas y avoir d’affirmations à 100%. Il est vrai que toute prise de médicament peut entraîner des effets indésirables, qui peuvent parfois même être graves. Cela résulte des principes actifs que contient le produit. Mais il faut mettre en relation le bénéfice par rapport aux risques, l’efficacité en face de la tolérance. On admet des effets contraires plus sévères pour des pathologies plus sévères. Comme par exemple, avec les anticancéreux. Pour un rhume, on n’admettra pas le même niveau de risque.
La tendance est de grossir le cas particulier, de privilégier le témoignage individuel. L’ensemble n’est pas relativisé ni mis en perspective. C’est pourquoi nous avons décidé de répondre systématiquement aux questions posées. Nous voulons aussi être plus transparents. Par exemple, désormais, tous nos essais cliniques en cours de réalisation sont mis en ligne à partir du 21e jour de l'inclusion du premier malade ainsi que les résultats des essais, qu’ils soient positifs ou négatifs. C’est vrai pour la France, mais aussi au niveau européen ou mondial.

J.-L M.-L. – Il est difficile de savoir ce qui en est réellement concernant ces effets indésirables des médicaments. Chaque année, affirme un ancien directeur du Conseil national de l’Ordre des médecins, 3 millions de personnes seraient concernées par des accidents iatrogènes (provoqués par la médecine). Ceux-ci causeraient 10 000 décès. Selon Bernard Kouchner, ministre de la santé en 2002, on recense environ 400 000 signalements d'accidents nosocomiaux (maladies survenues à l’hôpital) par an, dont 18 000 morts. Que dites-vous de ces chiffres ?

Y. J. – Je n’ai jamais su d’où ils étaient tirés. Je connais les chiffres de la littérature mondiale. Selon eux, on retrouve la survenue d’évènements indésirables graves dans 2,4 % à 16 % des hospitalisations. L’étude nationale sur les évènements indésirables graves liés aux soins observés dans les établissements hospitaliers (Eneis/2004), confirme à peu de choses près ces données. Mais ce qui est important à retenir, c’est ceci : entre 30 % et 60 % de ces événements sont évitables, surtout en ce qui concerne les personnes âgées. Il y a donc des progrès à faire ! Nous en sommes conscients. Depuis trois ans, nous sommes engagés dans la prévention de la Iatrogénèse Médicamenteuse Evitable (IME) chez les plus de 65 ans. En 2007, par exemple, 14 réunions de formation ont été organisées et plus de 200 professionnels de santé formés dans le cadre de la formation médicale continue. Ce n’est pas seulement une question de connaissance du médicament, mais de comportement à son égard. Toute la chaîne, du fabricant au malade en passant par le médecin prescripteur, le pharmacien et le milieu institutionnel, doit jouer son rôle, sans culpabiliser personne. Il faut aussi que le patient ose poser des questions à son médecin.

J.-L M.-L. – Que répondez-vous aux critiques au sujet de la surmédicamentation française ? Et du lobby mené par l’industrie pharmaceutique ?

Y. J. – Nous nous occupons de questions de santé : pas question pour nous de mettre en danger la santé d’autrui. Il y a des précautions à prendre et des préconisations concernant chaque médicament. Elles sont inscrites sur sa fiche signalétique. La surconsommation médicamenteuse est une question complexe. En France, on observe plus de consultations par habitants que dans d’autres pays. Les habitudes de prescription sont différentes, c’est vrai, mais il faut regarder en détail. Quand on baisse la consommation d’une certaine classe thérapeutique, d’autres croissent. Par exemple, si on baisse l’usage de veinotoniques, on augmente celui d’anti-inflammatoires. Si on diminue les benzodiazépines, on voit croître les antidépresseurs. Les dépenses augmentent mais globalement, le volume des médicaments consommés reste stable d’année en année.
Pour ce qui est de la promotion, maintenant. Toutes les activités de promotion du médicament, en France, sont encadrées. Les documents de publicité adressés au corps médical sont remis à l’administration (Afssaps) qui peut ainsi exercer un contrôle, a priori pour l’automédication, a posteriori pour les autres., Pour éviter des dérives éthiques de la visite médicale, elle est encadrée elle aussi: les propos du visiteur, préalablement élaborés par les entreprises, sont progressivement certifiés par des structures indépendantes agrées. Toutes les entreprises devront l’être d’ici juin 2008. Bien sûr, il restera toujours une part non maîtrisable lors de l’échange entre le visiteur et le médecin. Et, comme partout, il y a des gens qui peuvent sortir du cadre. Mais le médecin a une formation scientifique, il est à même de jauger les paroles du visiteur médical.

J.-L M.-L. – Mais cette formation est largement tributaire de l’industrie pharmaceutique. Le blog de la formation continue, par exemple, est financé par Pfizer…

Y. J. – Il n’y a pas forcément un lien entre financement et maîtrise. Les produits des laboratoires ne sont pas cités dans ces formations. Le vrai conflit d’intérêt, est quand il n’y a pas transparence sur la nature du financement ou les liens existants entre les experts et les entreprises. Or, aujourd’hui par exemple, dans toutes les commissions sur les médicaments, tous les experts indiquent leurs collaborations éventuelles avec le milieu industriel.

Les actions de formation ont fait l'objet d'une Charte de Bonnes Pratiques entre les entreprises et les organismes de formation. Ces organismes, quelles que soient leurs origines, doivent être maintenant accrédités pour participer à la FMC validante.

Pour ce qui concerne le CEMIP (Comité d'Entreprise et de Médiation de l'Industrie Pharmaceutique) il peut être saisi par toute partie prenante (entreprises concurrentes), Conseils de l'Ordre, Associations de Patients et de Consommateurs, à partir du moment où la plainte ne provient pas d'un individu isolé et qu'elle n'est pas anonyme. Ces plaintes peuvent être adressées au Secrétariat Permanent du CEMIP qui a la capacité de s'auto-saisir, ceci sous la surveillance de la Commission de Déontologie, présidée et sous contrôle de membres indépendants de l'industrie.

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