Angolagate : symbole de la collusion entre élites économiques et politiques

L’Angolagate est le plus grand procès de trafic d’armes sur fonds d´enjeux pétroliers de la fin du XXe siècle. Il s’agit en fait de l’histoire est celle de la privatisation de la guerre en Angola et de l’organisation du pillage biens publics de l’Etat. Les condamnations, dont celles de Charles Pasqua, de Pierre Falcone, Arcadi Gaydamak sont tombées, le 27 octobre 2009. Ce procès dévoile la réalité d’une partie non négligeable du pouvoir non démocratique et illégal exercé par nos élites.

Pierre Falcone, Arcadi Gaydamack, Charlres Pasqua
et Jean-Christophe Mitterrand, acteurs clés du procès.
Photo : DR.

Cette guerre civile aura débuté en 1975,  se terminera 27 ans plus tard en 4 avril 2002 et aura fait 500 000 morts. Sa durée s’explique notamment par la fourniture très importante d’armements par certaines grandes puissances, via Falcone et Gaydamak notamment. Parmi ces ventes, on compte un arsenal de morts impressionnants, 420 chars, 150. 000 obus, 12 hélicoptères, six navires de guerre recensés par les enquêteurs, 170 000 mines, antipersonnel, 650.000 détonateurs.

 La lutte entre grandes puissances régulièrement derrière les conflits locaux

En 1975, trois mouvements indépendantistes luttent alors pour prendre le pouvoir. Tandis que l’UNITA est soutenu par les puissances occidentales (USA-France), le Zaïre mobutiste et l’Afrique du Sud, le MPLA fait parti du des pays luttant contre l’apartheid dans ce dernier pays et est appuyé par le camp opposé (URSS, Cuba, Brésil, Portugal). Cela fait au moins huit sources permanentes d’ingérence, donc de quoi relancer perpétuellement la guerre entre MPLA et UNITA, qui est une lutte absolue pour le pouvoir. Chez Elf, on a partagé les rôles : Alfred Sirven côté UNITA, André Tarallo côté MPLA. Fin 1999, TotalFinaElf et les majors américaines se partageront l’essentiel des énormes gisements de pétrole sous-marin. Depuis en 1975, français et Américains ont, globalement  partagé la même stratégie. Pendant quinze ans, avec le régime sud-africain d’apartheid, ils ont nettement soutenu les rebelles de l’UNITA, contre Cuba et l’URSS soutenu par le MPLA.

 Créer des sociétés écrans pour blanchir de l’argent dans les paradis fiscaux et judiciaire

En 1985, les Falcone créent à Paris la société Brenco, puis Brenco Trading International Limited, « basée sur l’île de Man » – dont la SARL parisienne devient la filiale, sous le nom de Brenco-France (Tomasovitch, 2000)[1]. Les relations entre Brenco, Falcone, Gaydamak et les marchés publics d’Ile de France illustrent l’utilité des paradis fiscaux pour les pratiques illégales. Brenco International et Jean-Claude Méry ont le même avocat, Allain Guilloux. Celui-ci est soupçonné de « blanchiments de fonds entre la France et le Maroc » (Valdiguié, 02/12/2000)[2]. A. Guilloux avait monté des structures immobilières sophistiquées avec le duo Falcone-Gaidamak, via des paradis fiscaux qui leur servaient de sociétés écrans. Il semble donc que ce soit les mêmes réseaux, via les mêmes mécanismes qui blanchissaient l’argent public détournés des HLM d’Ile de France, de la drogue, du pétrole et des armes. Une partie du racket des marchés publics franciliens était recyclée via la Côte d’Ivoire ou l’Afrique centrale (Verschave, 2001 : 152 et 178).

 Les collusions fortes entre les intérêts des industriels de l’armement, l’armée et les services secrets

CS est une firme spéciale, où ont “pantouflé” d’anciens hauts responsables de la DST (l’ancien n° 2 Raymond Nart et son adjoint Jacky Debain). C´est-à-dire que des anciens membres des pouvoirs publics continue leur carrière dans le secteur privé, avec le risque d’une perte de l’indépendance de l’Etat et donc de l’intérêt général.

Le brillant stratège du Secrétariat général de la Défense nationale, le général de division Claude Mouton deviendra en juillet 2000, directeur général de Brenco-France, l’entreprise de l’entrepreneur Pierre Falcone. A Pékin, Brenco est représentée par Thierry Imbot, fils de l´ancien patron de la DGSE et fournit des équipements militaires d´Europe de l´Est au Vietnam et en Birmanie.

« De nombreux anciens des services travaillaient pour Brenco comme Thierry Imbot, qui est décédé le 10 octobre 2000, il s’est officiellement suicidé en se jetant par une fenêtre » (Verschave, 2001 : 137). Grâce à ses « appuis au sein de la DST ou dans des groupes comme Thomson, le Giat ou la Compagnie des Signaux », Falcone est devenu « l’un des plus grands marchands d’armes du monde » (Routier, 28/12/2000)[3].

Pierre Falcone est en cheville avec la Sofremi depuis 1989. Cette dernière est une officine parapublique de vente d’armes et d’équipements et dépendant du ministère français de l’Intérieur. Falcone, le patron de Brenco […] ayant longtemps joué quasiment officiellement les VRP [agents commerciaux] pour la Sofremi (Johanny, 2000)[4] » qui est un organisme parapublic. A travers le statut de Pierre Falcone, on relève une flagrante collusion entre des pouvoirs entre l’exécutif et le pouvoir économique.

Les réseaux économiques et politiques sont souvent nécessaires pour les affaires économiques au plan international. C’est en 1993 que Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères, avait accordé des facilités à l’homme «de Dos Santos à Paris pour faciliter les premières opérations de livraisons d’armes et de produits alimentaires à l’Angola par l’équipe Falcone/Gaydamak (plus de 400 millions $ de contrats) » (Verschave, 2001 : 169).

 Le rôle des banques et des intermédiaires mafieux dans l’Angolagate

L’Angola – à travers les contrats de l’entreprise publique Simportex (anciennement Ematec), qui impliquent le sommet de ses structures gouvernementales, financières et militaires – a payé à l’entrepreneur franco-russe Arcadi Gaydamak 135 millions de dollars en plus de ce qu’il devait recevoir pour une livraison de matériel militaire, fin 1996.  L’affaire a été bouclée par un ensemble d’institutions bancaires presque toutes européennes (France, Suisse, Allemagne, Autriche…) sous le leadership de la banque Paribas – une des banques que Luanda a utilisées de façon de plus en plus fréquente pour ses transactions et emprunts ces dernières années. La Banque of New York sert aussi beaucoup pour ces transactions (Verschave, 2001 : 129-132). Deux dirigeants de la Banque Paribas ont été inculpés en France, pour ces transactions illégales durant le procès de l’Angolagate en 2008.

Les enquêteurs pensent que l’entreprise Menatep fut le point d’origine principal de l’argent blanchi. Celle-ci « aurait continué à fonctionner en sous-main en 1998 et transféré des fonds suspects […] vers des compagnies offshore basées sur des territoires aussi lointains que les îles Vierges  » (Rousselot, 31/08/1999)[5]. Alors que Menatep est officiellement en faillite depuis 1998, Ernest Backes a trouvé dans le répertoire 2000 de la société internationale de compensation Clearstream un compte non publié n° 81738 au nom de Menatep, client « non référencé ».  Sa partenaire en blanchiment (15 milliards de dollars dans la seule année 1998), la Bank of New York, possède de nombreux comptes non publiés dans la nébuleuse société de compensation financière Clearstream (Robert, 2001 : 216)[6].

Une part de ces flux (pétrole, armes, dettes) a pu être brassée entre la Bank of New York et les recettes du pétrole angolais, grâce à la gestion parfaitement occulte du régime de Luanda. Pierre Falcone est constamment en affaires avec Glencore et Paribas – entre lesquels Jean-Didier Maille a fait la navette. La société suisse Glencore et la banque française Paribas (chef de file d’un pool d’une dizaine de banques dont la BNP, Worms, la Banque populaire…) (LDC, 14/12/2000)[7] sont quant à eux, au cœur du système de prêts gagés sur le pétrole futur de l’Angola à des taux extrêmement élevés. Au printemps 2000, Glencore a encore levé 3 milliards de dollars de prêts gagés à l’Angola, avec des banques comme Paribas, la Société générale, la Dresdner Bank Luxembourg, etc. Or, comme Paribas, la Dresdner Bank est l’un des pivots du conseil d’administration de Clearstream (LDC, 8/6/2000)[8].

 Corruption de la justice par le capitalisme illégal (le magistrat Fenech) et validation d’élections truquées par le financement de missions d’observation 

Nicolas Sarkozy s’est échiné à déminer le terrain de l’Angolagate, car elle relève aussi de la défense des intérêts des transnationales françaises. Car dès 2004, les intérêts de Total, bien implantée en Angola, sont directement menacés. « L’Etat angolais allait récupérer les concessions du bloc 3/80 qui arrivent à échéance. Stupeur dans les étages supérieurs de la Tour de la Défense, siège de la compagnie ». C’est donc le bloc 17, très riche en pétrole qui a fait l’objet du chantage  (LDC, 11/11/ 2004)[9].  En 2008, en Angola, le président français Sarkozy, était accompagné des dirigeants de Total, Castel, EADS, Bolloré, CMA-CGM, AIR France, Thales, et de la Société générale.

Gilles-William Goldnadel, l’avocat commun à Nart et Gaydamak a participé à la mission d’observation partie cautionner au Gabon la réélection truquée d’Omar Bongo, fin 1998. Cette mission était conduite par le magistrat Georges Fenech, président l’APM (Association professionnelle des magistrats), orientée politiquement très à droite. Elle était financée par le foccartissime Robert Bourgi. Il a dépêché treize juristes, dont l’avocat élyséo-africain Francis Szpiner et Gilles-William Goldnadel. Durant cette mission fut intercepté à Roissy « un familier des dossiers africains […], porteur d’une mallette contenant une très importante somme en argent liquide. Il avait expliqué que ces fonds provenaient de la “présidence du Gabon” et qu’ils étaient destinés au Club 89» animé par Robert Bourgi  (Le Monde, 09/12/1998)[10]. En 1997 déjà, un compte suisse de la société Brenco, du tandem Falcone-Gaydamak, a versé 100 000 francs à la revue Enjeu justice (de l’Association professionnelle des magistrats) que préside Georges Fenech…(Laske, 21/12/2000)[11].

 On observe donc de nombreux points communs entre les dessous du procès Elf et celui de l’Angolagate. Il y a dans les deux cas un lien fort entre le marché du pétrole et de l’armement, car ce dernier sert aussi à préserver les intérêts pétroliers. Ainsi, à l’exception de Gaydamak (ex-colonel des services secrets russes (KGB), tous les personnages clés suivants ont été aussi membres des services secrets français : Étienne Leandri, Alfred Sirven, Pierre Lethier, Jean-Yves Ollivier. Certains protagonistes clés, tels le général Mouton, ou  l’agent secret Thierry Imbot passant du service de l’Etat à celui des entreprises privées d’armement. Finalement les intérêts de l’armée et des grandes entreprises convergent, car fondamentalement, elles visent à assurer les profits des élites au pouvoir, fussent ils au détriment des peuples.

Ces élites soutenant de manière plus ou moins directes les opérations, qui servent finalement aussi les intérêts du complexe militaro-industriel et pétro-chimique. De même l’Etat français dit républicain et démocrate appui des pratiques de formes légales, mais aussi illicites. C’est d’ailleurs le même type d’acteurs clés, que l’on retrouve dans les différentes affaires liées à la françafrique et au néocolonialisme des grandes puissances.

Thierry Brugvin, journaliste indépendant et docteur en sociologie politique

Auteur du livre, Les mécanismes illégaux du pouvoir, TheBookEdition, 2009.


[1] TOMASOVITCH Geoffroy, Pierre Falcone, homme d’affaires et de relations, Le Parisien,  22/12/2000.

[2] VALDIGUIE L, Les “affaires” africaines d’Attali, de Pasqua et du fils Mitterrand, Le Parisien,  02/12/2000.

[3] ROUTIER Airy, Enquête sur une affaire d’État, Le Nouvel Observateur,  28/12/2000.

[4] JOHANNY Stéphane, Jean-Christophe Mitterrand,
u fait divers à l’affaire d’État
, Le Journal du Dimanche,  24/12/2000.

 [5] ROUSSELOT Fabrice, Le clan, le parrain, et les 15 milliards de dollars, Libération, 27/08/1999.

[6] ROBERT Denis, Révélation$, Les arènes, 2001, p 216.

[7] LDC, France : “Affaires africaines”,  14/12/2000.

[8] LDC, Glencore, 3 milliards $ de crédits syndiqués, 08/06/2000.

[9] LDC, (La Lettre du continent), n°458, 11 novembre 2004.

[10] LE MONDE, Soupçons sur les observateurs français des élections gabonaises, 09/12/1998.

[11]  LASKE  Karl, THORAVAL Armelle, L’étrange don du marchand d’armes, Libération,  21/12/2000.

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