Pikine, Guédiawaye et Rufisque sont des quartiers de la banlieue de Dakar (Sénégal) où trois millions de personnes triment au quotidien. C’est là qu’est né début 2011 le mouvement citoyen « Y’en a marre » lancé par des jeunes rappeurs dont Fadel Barro et Thiat, tous deux membres du groupe Keur Gui. Avec Malal Talla, alias Fou Malade, ils dénoncent par ce biais les dérives du Parti démocratique sénégalais (Pds) actuellement au pouvoir.
Soirée du 26 juillet dernier à Dakar. Cyrill Touré, alias Thiat, convoqué la veille par la Division des investigations criminelles (Dic), vient d’être libéré de sa garde à vue. Selon Fadel Barro, le coordonnateur du mouvement « Y’en a marre », les inspecteurs enquêtaient sur un possible « délit d’injure par voie publique et d’injure au Chef de l’Etat ». En cause, le fait que lors d’une manifestation du Mouvement du 23 juin (M 23) organisé quelques jours auparavant, Thiat ait fait allusion à un « vieux menteur de plus de 90 ans ».
Seydi Gassama, le directeur d’Amnesty International à Dakar, y voit une « tentative d’intimidation » du pouvoir sénégalais. Celui-ci a du souci à se faire : depuis que le mouvement « Y’en a marre » a été lancé, ses membres parcourent la banlieue pour faire signer des pétitions telles que : « Je suis mère de famille, mon panier est dégarni, pourtant on m’a fait rêver en 2000 ». Dans la perspective du scrutin présidentiel de février prochain, Thiat et ses acolytes ont fortement incité les jeunes des banlieues à s’inscrire sur les listes électorales.
Les Sénégalais sont devenus des « sénégalériens »
Les figures de proue de ce collectif ont donné une nouvelle définition au sigle PME, qu’ils définissent par « Papa, maman et les enfants ». Ils pointent ainsi du doigt le fait que Karim Wade, fils du président sénégalais, soit à la tête d’un ministère aux prérogatives très larges. Quant à sa sœur Syndiely, elle est la conseillère spéciale de son père tandis que Viviane Wade, la 1ère dame, dirige une fondation.
Pour Malal Talla, les sénégalais sont tous devenus des « sénégalériens » à cause de cette gestion clanique. Inspiré par le boycott des factures d’électricité lancé par un collectif d’imams en juillet 2010, « Y’en a marre » a choisi le 19 mars 2011 pour organiser sa 1ère manifestation d’envergure où il a réussit à mobiliser entre 10.000 et 15.000 personnes. Cette date coïncidait avec le 11ème anniversaire de l’accession d’Abdoulaye Wade à la présidence de la République.
Depuis, le « gorgui » (vieux, en wolof), qui a battu campagne en 2000 avec le slogan du « sopi » (changement), cristallise sur sa personne une forte contestation sociale. Malal Talla ajoute que « leur collectif est composé de marchands ambulants, des ouvriers et d’étudiants de toutes les couches de la société », précisant : « C’est un mouvement du peuple sénégalais ». Quant à Thiat, il estime que « c’est une jeunesse consciente qui s’est levée pour dire son ras-le-bol de la situation dans laquelle se trouve le pays », parce qu’elle est fatiguée d’un système qui « l’opprime depuis plus de 50 ans ». Fadel Barro déclare que leur collectif veut « développer un nouveau discours et travailler à l’émergence d’un nouveau type de sénégalais ».
Une crise énergétique inédite
Depuis plusieurs années, le Sénégal vit au rythme de fréquentes coupures d’électricité. Le courant est rarement disponible et la Sénélec, la compagnie nationale d’électricité, peine à juguler cette crise énergétique dont les conséquences économiques et sociales sont incommensurables pour la grande majorité des Sénégalais. Les locaux de la Sénélec ont d’ailleurs été saccagés par des manifestants en juin dernier, alors que la tension a monté d’un cran lorsqu’Abdoulaye Wade a voulu faire adopter par l’assemblée nationale une nouvelle réforme constitutionnelle à laquelle il a finalement renoncé.
A cause de cette crise énergétique, Thiat estime que « le régime Wade est en train de tuer une seconde fois les morts parce qu’il n’y a pas d’électricité dans les morgues ». Malal Talla, alias Fou Malade, rappelle également que leur « mouvement est apolitique et que la jeunesse a décidé de prendre en main son destin » parce qu’elle est la seule à pouvoir « changer les choses dans le pays ». Il réclame aussi la fin de la corruption et appelle à une veille citoyenne des « populations pour que les deniers publics soient correctement utilisés dans l’intérêt du peuple ».
A moins de huit mois du scrutin présidentiel de 2012, il faudra compter avec le mouvement « Y’en a marre » qui prend de l’ampleur au pays de la téranga (l’hospitalité sénégalaise).