A travers le cas du chercheur Gilles-Éric Séralini, attaqué pour ses travaux tendant à démontrer la non innocuité des OGM, c’est toute la question du rapport entre sciences et démocratie qui est posée de façon urgente et vitale. La Fondation Sciences Citoyennes (FSC) lance une pétition « Pour le respect de la controverse scientifique et de l’expertise contradictoire» et propose la création d’une Haute Autorité de l’expertise et de l’alerte.
Gilles-Eric Séralini. Photo : cap21normandie.hautetfort.com |
Gilles-Eric Séralini est professeur de biologie moléculaire à l´Université de Caen, spécialisé dans la recherche sur les effets des pesticides, de différents polluants et des OGM sur la santé. En 1997, il demande avec un groupe de scientifiques un moratoire pour plus de recherches sur la toxicité des OGM. Depuis 1998, il a été expert pour les ministères de l’environnement et de l’agriculture au sein de deux commissions gouvernementales françaises chargées d’évaluer les OGM avant et après leur commercialisation : la Commission du génie biomoléculaire (CGB) et le Comité de biovigilance.
G.-E. Séralini et ses collègues ont mené des contre-expertises de données fournies par Monsanto pour justifier de la commercialisation de 3 de ses maïs OGM (MON 863, MON 810, NK 603). Leurs travaux remettent en question la capacité pour ces données à démontrer formellement l’innocuité des trois maïs (suivi des rats trop court, puissance de l’analyse statistique insuffisante). Contrairement aux analyses réalisées par la firme, les travaux de G.-E. Séralini et de ses collègues ont été soumis au processus d’évaluation critique par les pairs avant d’être publiés en 2007 et en 2009.
Attaques et pressions morales
Ces résultats fragilisent le bien fondé des autorisations octroyées par la Commission européenne sur avis de l’Agence européenne de sécurité alimentaire (EFSA) pour la consommation animale et humaine de ces trois maïs. D’où les vives réactions de Monsanto, de l’EFSA ou encore de l’Office de contrôle des aliments d’Australie et de Nouvelle Zélande.
Mais depuis quelques semaines, G.-E. Séralini est la cible d’attaques et de pressions morales émanant d’une partie de la communauté scientifique et qui vont jusqu’à remettre en question les conditions mêmes de ses travaux de recherche (position académique, financements).
En réaction à ces attaques, une pétition a été lancée pour le maintien des « conditions d’une controverse scientifique respectueuse et d’une expertise pluraliste sur des questions aussi sensibles que celle des effets de la culture de plantes génétiquement modifiées. Nous condamnons, écrivent ses auteurs, la démarche de nos collègues qui utilisent les armes de la décrédibilisation mensongère plutôt que le terrain de la démonstration encadrée par les procédures en vigueur au sein de la communauté scientifique, à savoir des expériences transparentes, indépendantes et reproductibles, soumises à une évaluation par des pairs ».
De son côté, l’Association française des biotechnologies végétales (AFBV) réagit à une attaque en justice portée contre elle par Gilles-Eric Séralini. « Cette attaque fait suite à une lettre adressée en janvier 2010 par l’AFBV à France 5 et au Conseil supérieur de l’audiovisuel pour protester contre le fait qu’une émission Santé Magazine diffusée sur France 5 en janvier 2010, consacrée aux organismes génétiquement modifiés, avait donné la parole de manière unilatérale aux thèses de M. Séralini, opposées à cette technologie. M. Séralini a considéré cette démarche comme diffamatoire à son égard, alors que l’AFBV revendiquait seulement une présentation équilibrée des thèses en présence, condition d’une bonne information du public. »
Protéger les lanceurs d’alerte
Beaucoup de questions environnementales ou de santé publique n’ont été récemment prises en compte que grâce à l’action de lanceurs d’alerte, pas seulement chercheurs mais aussi citoyens. Or, la France ne possède actuellement pas dans son arsenal juridique de dispositif de protection des lanceurs d’alerte, à l’instar de pays comme les États-Unis et leur « Whistleblower Protection Act », ou comme la Grande-Bretagne (« Public Interest Disclosure Act »). Et ce, malgré le retentissement médiatique de certaines « affaires ».
Il s’agit donc de définir, selon la Fondation Sciences Citoyennes (FSC), un cadre de protection du lanceur d’alerte environnementale et sanitaire à travers une législation réformant le droit du travail d’une part et le droit d’expression d’autre part et lui conférant le même statut que le salarié protégé (le syndicaliste, par exemple).
L’absence de procédures contradictoires dans le système actuel
Dans le système actuel, les études sont souvent portées par des groupes d’experts mandatés et financés en partie par les entrepreneurs eux-mêmes, y compris au sein des institutions de recherche. On peut donc se poser la question de l’indépendance de l’expertise et déplorer l’absence de procédures contradictoires. Des exemples récents comme l’expertise de l’AFSSET sur les champs électromagnétiques, de l’INSERM sur les éthers de glycol ou encore le rapport commun des Académies de médecine et des sciences niant tout lien entre cancer et environnement ont montré la nécessité d’établir une déontologie de l’expertise.
Les discussions au sein des groupes de travail du Grenelle ont révélé un intérêt certain, y compris de la part des syndicats, pour une loi de protection de l’alerte et de l’expertise, avec la création d’une Haute Autorité, qui soit une sorte de CNIL de l’alerte et de l’expertise.
Seul le MEDEF a élevé des objections, au motif qu’il serait difficile de distinguer les alertes réelles des fausses alertes, et que la protection des lanceurs d’alerte serait une entrave au principe de subordination. Inscrite dans les conclusions du Grenelle de l’environnement, la proposition d’une loi instituant la protection des lanceurs d’alerte a été reprise dans le rapport d’étape des travaux de la Commission Lepage sur la gouvernance. Mais dans les lois qui ont suivi, tout a disparu.
Une Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte
Les mécanismes d’alerte constituent un corollaire des principes de prévention et de précaution sur lesquels sont fondés les droits de l’environnement et de la santé publique. Parce qu’ils visent à éviter ou limiter des dommages en cours de réalisation, ils ont conduit à la mise en place de multiples mécanismes d’alerte institutionnalisés (loi n°98-535 du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l´homme ; loi n°2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, etc.…). Tous poursuivent un même objectif : réduire le temps qui s’écoule entre l’apparition d’un risque de dommage et la prise de conscience de ses effets en réagissant aux signaux de risque de manière aussi rapide et efficace que possible.
La FSC souhaite que ces mécanismes soient complétés. Elle suggère la création d’une institution, la Haute Autorité de l’expertise scientifique et de l’alerte (HAEA) en matière de santé et d’environnement. Elle aurait pour premier rôle d´établir les « principes directeurs de l’expertise » et de contrôler leur application. En particulier, la HAEA devrait instruire certaines alertes qui tendent aujourd’hui à échapper aux mécanismes « institutionnels » en place.
Pour une loi pour l’expertise scientifique et de l’alerte Article 1 : Objet de la loi Article 2 : Définition de l’alerte informelle > Texte proposé par la Fondation Sciences Citoyennes. |
Les mécanismes institutionnels existants seraient donc complétés par des procédures permettant à des alertes, que l’on peut appeler « informelles », de voir le jour et d’être instruites, à des conditions et selon des modalités précises.
D’autre part, pour assurer qu’un maximum d’alertes « informelles » soit ainsi instruit, il convient de protéger ceux qui les portent et qu’il est convenu d’appeler lanceurs d’alerte. Tout en fixant les conditions nécessaires pour canaliser les alertes informelles et éviter toute dérive vers la calomnie ou vers une société de l’alarme permanente, elle vise à assurer aux lanceurs d’alerte le droit de diffuser des informations sans subir de mesures de rétorsion discriminatoires ou d’atteintes disproportionnées à leur liberté d’expression.
G.-E. Séralini : portrait
Président du conseil scientifique du Criigen (Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique), expert pendant 9 ans pour le gouvernement français dans l’évaluation des risques des OGM, pour l’Union Européenne et différents pays, il a publié en 2007 l’étude la plus détaillée sur les signes de toxicité d’un OGM commercialisé (MON863) et en 2009 sur 3 OGM. Il travaille sur les effets du Roundup, herbicide majeur dans le monde utilisé aussi avec les OGM. |
>> La question de l´expertise scientifique et de son indépendance a été abordée lors du colloque Politis du 20 novembre 2010, La science face à la démocratie.