Ouvertures conduit actuellement sur le site Agoravox une grand enquête participative sur la place et la parole des pauvres dans la société. Extraits.
Animée par Éric Lombard (voir encadré), l’enquête a défini ce thème (la place et la parole des pauvres dans la société) à la suite d’un vote, largement majoritaire, des internautes. Ceux-ci ont commencé à répondre aux questions que nous leur avons posées. Voici quelques extraits de leurs notes parfois pubiées sous pseudos :
Finael :
– « Juste sur un point de l’enquête : Comment votent les pauvres ?
Toutes les enquêtes montrent, et depuis longtemps, que plus on est pauvre, moins on vote !
A cela de nombreuses raisons:
- Administratives: Sans domicile fixe (pardon, j’ai appris que l’on doit dire Sans domicile stable maintenant), on n’a pas de mairie d’attache, donc, souvent, pas de papiers en règle à présenter: une simple carte d’identité coûte cher – pour nous – et exige une adresse (même s’il existe des associations fournissant des adresses de complaisance).
- Idéologiques: Cela ne nous concerne pas de savoir la couleur de la sauce à laquelle on va être mangés. Et puis qui intéresse-t-on
- Pratiques: Même si on arrive à avoir une carte d’électeur, on ne sent pas vraiment à l’aise (doux euphémisme) dans la file d’attente, avec les regards méprisants qui pèsent. Et les “officiels” ne font rien pour atténuer ça.
Pour finir, une approbation sur un commentaire précédent: Etrangers dans notre propre pays, qu’est-ce que c’est vrai !!! »
– « Il n’y a pas de place pour les pauvres en France !
Expérience: D’un milieu aisé, je suis passé dans ce qu’on appelle la “grande pauvreté” – oui, il y a toujours à manger dans les poubelles -, c’était il y a longtemps et à l’époque, s’il n’y avait pas de Restos du Coeur, il régnait une grande solidarité chez les plus pauvres, et puis, il y avait les “squats”.
J’en suis sorti et j’ai retrouvé l’aisance parce qu’à cette époque il y avait du travail, et j’ai remonté “l’échelle sociale”, fortement aidé par mon éducation. Je me suis retrouvé ingénieur, cadre encadrant, respecté par “la bonne société”, même si certains de mes amis de la période précédente faisaient froncer les sourcils et provoquaient force chuchotements dans mon dos.
Jusqu’au jour où la société qui m’employait a coulé et là je me suis découvert “trop vieux”. La dégringolade a été rapide, les “amis” ont vite disparu, le jour où ma carte d’identité a été périmée je me suis retrouvé “invisible”, SDF c’est à dire sans droit de vote, sans pouvoir faire changer la plaque d’immatriculation de ma voiture se transformant progressivement en épave.
J’ai fini par retrouver du travail – au SMIC -: 4 CDD d’un an successifs, je vis dans un mobil-home (je l’ai déjà raconté ailleurs), et puis le dernier CDD s’est terminé en décembre dernier. De nouveau je n’existe plus.
Je doute que beaucoup de contributeurs d’AgoraVox aient fait cette expérience: l’inexistence, l’invisibilité … c’est quelque chose que l’on ne peut décrire qu’à des gens qui la partagent, les autres – vous – ne peuvent pas comprendre ! »
Éric Lombard mène l’enquête Ingénieur physico-chimiste, consultant en gestion de production, Éric Lombard effectue depuis 1999 des recherches personnelles sur l´utilisation d´internet comme outil d´une démocratie plus participative. Il les publie de manière plus ou moins régulière sur dialogue-democratique.net et debatpublic.net. Depuis 2002, il anime hyperdebat.net, site expérimental de débat méthodique, dont il est l´un des fondateurs. |
Orange :
– « Le plus pauvre ne cherche pas l’aumône, mais cherche à faire évoluer les mentalités (changement de regard). Il ne faut pas voir que la fraternité, mais le regard négatif que certains ont sur la pauvreté est à amélioré. C’est une prise de conscience sur soi même. »
– « Pourquoi n’arrive-t-on pas à éradiquer la pauvreté ?
La pauvreté qui est née de génération, en génération est très difficile à faire disparaître, tant qu’il existera l’individualiste et l’indifférence.
Et si les plus pauvres se rassemblaient pour manifester comme font tous ceux qui ne sont pas content.
Je raconte un exemple vécue en 1985, où je venais de me séparer d’une vie commune. Un jour je vais au CCAS de ma commune pour demander une aide. Celle-ci m’a été refusée sous prétexte que je pouvais vivre avec mon allocation de parents isolé. Je devais acheter pour aménager l’appartement de j’avais obtenu.
En sortant de se service, je me trouve nez à nez avec une manifestation d’infirmière qui manifestais pour une augmentation de salaire. Cela m’a bouleversée car je ne pouvais pas me défendre pour avoir une aide.
Les pauvres, (les vrais) ceux du quart-monde devraient faire une grande manifestation pour une meilleure justice sociale.»
– « Comment faire pour que la parole soit mieux entendue ?
Il faudrait qu’un ou plusieurs pauvres s’engagent à faire de la politique. »
Marc Bruxman :
– « Mesures de pauvreté
Pour la majorité des gens c’est le ressenti qui compte. D’ou la définition de l’INSEE (institut national de statistiques). On ne sent pauvre car on n’a pas accès aux mêmes ressources (nourritures, logement, loisirs) que tout le monde.
Ainsi de nombreuses personnes que l’on considère aujourd’hui et en France comme pauvre ne seraient pas considérées comme pauvres dans un autre pays ou au XIXème siècle. Le fait que certains répondent à cette enquête se sentir pauvre car ils doivent accepter des boulots qu’ils jugent ne pas correspondre à leurs qualifications est révélateur.
La mesure de l’INSEE correspond donc au ressenti des gens et non a une condition objective (avoir du mal à se nourrir, être SDF, etc.). Le fait d’avoir une mesure objective de la pauvreté permettrait de mieux mesurer les progrès ou régressions sociales que la vision de l’INSEE. (A condition que les critères objectifs soient constants). Car la vision de l’INSEE mesure avant tout le degré d’inégalités sociales dans le pays et non la pauvreté réelle. Si tout le monde gagnait de quoi manger et se loger décemment (ce qui serait déjà un progrès), on aurait encore des pauvres avec la vision de l’INSEE car les gens seraient malheureux de ne pas avoir droit à certains loisirs auxquels les plus riches auraient droit.
Elle ne prend pas non plus en compte le patrimoine (si je gagne 800 € par mois et que je n’ai pas de loyer à payer, je vis plutôt bien alors que si je dois payer un loyer en Ile-de-France avec un smic je suis dans la merde. De même un RMiste (RMI : revenu minimum d’insertion) propriétaire de son logement vivra certainement mieux qu’un smicard qui doit payer son loyer), ni la région dans laquelle on vit. Et la encore, smicard dans certaines régions de France est vivable mais dans les grandes villes c’est absolument impossible.
La précarité quand à elle ne saurait compter dans la mesure de la pauvreté. Il y a beaucoup de gens qui ont des emplois précaires et qui ne sont pas pauvres pour autant. Un freelance par définition occupe un poste précaire. Mais certains vivent très bien. La précarité peut être perçue comme pénible à vivre mais elle n’a pas forcément d’incidence sur les conditions matérielles. L’intérim ou le CDD (contrat à durée déterminée) paie même une prime de précarité.
Le plus important dans la mesure de la pauvreté c’est de séparer ce qui relève de conditions de vie réellement indignes (logements insalubres, difficulté à se nourrir, …) de ce qui relève du “je ne peux pas vivre comme ce que l’on voit à la télé”. Le premier type de pauvreté peut être éradiqué, le second non.
Je ne me sens pas pauvre mais je pense que personne n’est à l’abri de le devenir.
Le fait de lutter contre la pauvreté passe avant tout par l’éducation que ce soit à l’école ou dans des cours de rattrapage pour ceux qui n’ont pas eu la chance d’y réussir. Il faut enfin donner des cours adaptés aux besoins des entreprises. Beaucoup de gens ne trouvent pas de boulot non parce qu’ils sont bêtes ou fainéants mais parce qu’ils ont suivi une formation inadaptée.
Le divorce est également un fléau qui plonge dans la pauvreté nombre de femmes.»
– « Comment les pauvres sont-ils perçus ?
Il y a un mélange de gêne que l’on perçoit notamment lorsque des mendiants passent dans le métro. Si le mendiant à l’air trop misérable, les gens détournent le regard. Paradoxalement, on a l’impression que, pour mendier dans le métro, il faut apparaitre ni trop riche (pas trop bien habillé, tout ca) ni trop miséreux. Un peu comme si la vision du pauvre faisait peur à la classe moyenne.
Pour d’autres il y a le coté “abus des assedics (allocations chômage), rmi, etc”… Ce phénomène n’est en soit pas nouveau. Je me souviens quand j’étais plus jeune ou j’entendais dire que “certains clochards qui font la manche vont boire au bistro une fois qu’ils ont de l’argent”. Mais aujourd’hui le fait que la solidarité soit non plus voulue (je donne volontairement a des personnes que j’identifie physiquement ou une association en qui j’ai confiance) mais forcée (je donne mes impôts et l’Etat le redistribue de façon aveugle) exacerbe ce phénomène de rejet. »
– « Le contrôle de sa vie
Il y a aussi cette sensation de ne pas avoir le contrôle de sa vie. Je parle ici de pouvoir plus que d’argent même si les deux sont liés. Et c’est surement plus difficile à vivre parfois qu’une certaine pauvreté matérielle. D’ou cette haine pour les patrons, et les spéculateurs que l’on rend responsable de sa situation. Mais à la fin, toute structure au niveau du pouvoir est pyramidale. Dans notre société, il faut avoir de l’argent pour avoir du pouvoir. Mais même dans des sociétés “communistes”, il reste une grande différence entre les gens du parti qui décident (et remplacent les spéculateurs) et les citoyens qui subissent.
Les aides sociales mal utilisées ont également été un “cadeau empoisonné”. Et je pense la notamment aux populations d’origines étrangères pour qui l’octroi du RMI lorsqu’ils arrivaient de leur pays apparaissait déjà comme un cadeau inespéré. (Et oui, un RMiste vit mieux que nombre de gens qui vivent en Afrique noire). De ce fait, ce cadeau inespéré a pu retarder leur volonté de chercher du travail notamment lorsqu’ils ont été confrontés au manque de travail, au racisme et à la difficulté d’apprendre notre langue. Cela a sans aucun doute retardé leur intégration. Et une fois arrivé à la deuxième génération, les enfants qui n’avaient connus leur pays d’origines ont eu quand à eux tout un tas de raisons d’être frustrés par ce RMI.»
– « Quelques solutions quand même
Je le redis, c’est une éducation adaptée qui restera le meilleur moyen de sortir de la pauvreté. Et je ne parle pas forcément de longues études universitaires. Parfois une simple compétence basique mais réclamée par les entreprises permet de se sortir de la merde.
C’est ce que l’on a trop oublié dans notre système. Rien ne sert d’avoir un Bac + X pour finir caissier au supermarché (avec le salaire de merde et la précarité que cela implique). Surtout lorsqu’un plombier gagne quand à lui un salaire de cadre sup.
Et surtout, le plus important, il faut cesser de victimiser ceux qui sont dans la merde en leur disant “c’est de la faute de X, Y ou Z” (remplacer par Sarkozy, les Spéculateurs, les Patrons, les Immigrés, …). Parce que ca démoralise vachement. Prenez les jeunes issus de l’immigration : ils entendent dire à longueur d’année qu’ils ne trouvent pas de boulot et que c’est “à cause des racistes”, etc, etc, … C’est vrai qu’il y a du racisme. Mais il y a aussi des jeunes issus de l’immigration qui réussissent et même très brillamment. Peut être que montrer ceux la en exemple, pour montrer à ceux qui sont toujours dans la merde que eux aussi peuvent réussir sera la chose la plus bénéfiq
e qui soit. Car parmi tous ces jeunes, beaucoup ne réussissent pas c
r ils ont baissés les bras. »