Neelam Makhija, 71 ans, partage sa vie entre Bombay (Inde) et Toronto (Canada). D’origine indienne, il est également citoyen canadien. Ingénieur en électronique de troisième cycle (MSEE) et titulaire d’un master of business administration (MBA), il a fondé et dirigé pendant 23 ans au Canada une entreprise spécialisée dans l’électronique haute technologie. Retraité depuis 2006, il passe son temps entre le Canada et l’Inde où vivent ses deux filles et ses petits-enfants.
Entre 2010 et 2014, il rend plusieurs visites en France à son amie canadienne Cécile Tousignant, qu’il connaît depuis 2007. Elle est coach de vie et professeur de méditation inspirés d’un maître indien[1] (en France et au Québec). Celle-ci invite son ami à participer à trois de ses stages de méditation d’une durée respective de 2, 4 et 7 jours.
Descente de gendarmerie
24 novembre 2014, M. Makhija est à Fontainebleau avec un petit groupe de 6-7 personnes en méditation quand une escouade de gendarmerie surgit à 7h du matin dans la maison privée où Cécile Tousignant anime un stage. Elle arrête Mme Tousignant et son ami ainsi que deux autres participants. Elle intervient suite au « signalement » auprès du Centre contre les manipulations mentales (CCMM) déposé par le père d’une de ses anciennes élèves. Les gendarmes, environ une vingtaine, tous armés, se comportent comme pour sauver les stagiaires d’un grave danger imminent.
Mme Tousignant et Neelam Makhija sont séparés et devront rester un an sans avoir le droit d’aucun contact entre eux ou de se voir.
Après un interrogatoire de quelques heures (sans la présence d’un avocat), le traducteur désigné explique brièvement les accusations : M. Makhija aurait « utilisé des moyens frauduleux pour manipuler des esprits en état de sujétion psychologique et les escroquer. Il aurait eu recours à des techniques mentales et créé une atmosphère indienne mystérieuse pour influencer ces gens en situation de faiblesse ». Et il appartiendrait à « la secte » du guru (maître spirituel indien) Osho.
Les accusés sont gardés en prison séparément pendant huit semaines « car nous étions des étrangers et parce que le juge d’instruction était trop occupé pour nous rencontrer », explique Neelam Makhija. « Les gendarmes qui nous ont arrêtés ont dit aux autorités de la prison que nous faisions partie de la secte du gourou du sexe d’Osho. Ensuite, la juge m’a rencontré : elle voulait tout savoir sur moi, ma vie, Osho et les gourous indiens et la spiritualité indienne. Pour moi, ce fut un choc car j’étais juste un visiteur ! Je n’avais pas de client ni de travail ici. Je ne parle même pas la langue française. Ils ont dit qu’ils avaient des pages d’accusations criminelles contre moi. Or, j’étais juste un touriste de passage pour trois semaines en France, avec un billet de retour à Bombay. Je ne comprenais pas pourquoi on s’en prenait à ma culture ! »[2]
Makhija doit retourner en Inde auprès de sa famille qui l’attend dans les dix jours. Entretemps, arrêté, il demande à son avocat commis d’office de contacter sa famille. Il n’y est pas autorisé. Une fois en prison, il doit attendre deux semaines avant de pouvoir appeler à sa fille : « Mes enfants et petits-enfants étaient très inquiets de ce qui pouvait arriver à leur père de 70 ans. Coupés de toute communication, ils ont pensé que j’étais malade ou… mort ».
« Ils réussissent à criminaliser la « loi éternelle » hindoue »
Neelam Makhija : « Mon séjour forcé en France m’a donné l’occasion d’enquêter sur le système en place. J’ai pu expérimenter, de première main, la manière dont la discrimination culturelle et religieuse est mise en œuvre par le gouvernement. En appliquant de longues et obscures procédures judiciaires, une rigidité bureaucratique et une attente surchargée devant les tribunaux, des gens ordinaires, comme moi-même, sont harcelés. Tout cela, juste pour empêcher (sans grand succès, je pourrais ajouter) l’afflux en France d’autres idées et visions du monde.
« Concernant les nouveaux mouvements religieux, j’ai pu constater que presque tous les enseignants spirituels indiens (gurus), éminents et hautement respectés là-bas, qui ont eu ou suivaient des disciples occidentaux, sont sur la liste de la Miviludes (maintenant cachée). Ils sont classés comme « dérives sectaires ». Cette attitude du gouvernement français, pris dans son ensemble, réussit à criminaliser le « Sanatana Dharma » (« loi éternelle ») et le patrimoine spirituel et culturel indien !
Des enseignants spirituels indiens jouissant d’une réputation mondiale à l’ONU, au Royaume-Uni, aux États-Unis, au Canada et dans les autres pays d’Europe, sont sur cette liste. Beaucoup de ces enseignants spirituels sont morts et maintenant leurs dévots et leurs pratiquants sont ciblés et harcelés. Même les centres de yoga et de méditation de pleine conscience sont suspects.
« Tous sont susceptibles des foudres de la Miviludes [mission interministérielle chargée d’alerter sur les « dérives sectaires »] et de la loi About-Picard [loi anti-secte de 2001].
« J’ai partagé mes conclusions sur les enseignants spirituels indiens avec le secrétaire général principal du ministère indien des affaires extérieures, lui demandant de porter cette question à l’attention de Sri Modiji (premier ministre) et Mme Swarajji (ministre de affaires extérieures). J’ai également diffusé mes informations aux éminents enseignants spirituels vivant en Inde et qui ont une large présence en France, comme Sri Sri Ravi Shankar et Amma. J’ai contacté le Dalaï Lama, bien connu et respecté en France et lui ai envoyé une liste des instituts bouddhistes considérés comme « à risque sectaire » par la Miviludes. »
Après près de deux mois passés en prison, sans procédure régulière devant un tribunal, où il aurait pu se défendre, et après avoir payé une caution de 50 000 euros, M. Makhija est interdit de sortie du territoire pendant deux ans et demi ! Une véritable séquestration.
Durant cette période, le juge d’instruction ne l’a rencontré qu’une seule fois, le 15 janvier 2015. Le 26 janvier, il sort de prison. En mars, le juge d’instruction interroge tous les clients de Cécile Tousignant. Ceux-ci déclarent n’avoir eu aucun problème avec Neelam Makhija. La plupart disent qu’ils ne le connaissaient pas et tous affirment ne pas lui avoir donné d’argent. Pourtant, lorsque son avocat, François St-Pierre (Lyon), demande à plusieurs reprises au juge pour son client la permission de quitter la France pour s’occuper de ses affaires au Canada et visiter sa famille en Inde, avec l’intention de revenir dans six semaines, le juge refuse.
Retenu deux ans et demi contre son gré et sans procès
L’avocat interjette appel de la décision du juge. Trois mois plus tard, la cour d’appel rejette la demande, arguant qu’il y avait des accusations criminelles pendantes.
En juillet 2015, il devient clair qu’aucun des stagiaires, « qui appartenaient dans l’ensemble à des catégories socio-professionnelles supérieures et avaient plutôt fait des études supérieures », n’a de grief contre l’Indo-canadien. Ses avocats demandent donc au juge de changer son statut en celui de « témoin assisté ». Demande aussitôt rejetée. Les avocats obtiennent de s’adresser à une autre cour d’appel. Après neuf mois d’attente, la décision du juge d’instruction est confirmée par cette deuxième cour. Aucune raison n’est donnée.
Entretemps, à la fin de novembre 2015, soit un an après l’arrestation, les enquêtes sont terminées, à l’exception d’une nouvelle audition de Cécile Tousignant qui a lieu en mars 2016, ce qui reporte la clôture de l’enquête à novembre 2016.
« Je suis donc resté en France près de deux ans et demi après mon arrestation, sans procès et sans aucune possibilité de me défendre devant un tribunal ! se plaint M. Makhija. Un tel droit, je l’aurais eu dans n’importe quel pays anglophone. Apparemment, en France, il n’y a pas de magna carta ou d’habeas corpus et la présomption d’innocence n’existe pas ! ».
L’enquête terminée, le procureur donne ses observations au juge. Grosse surprise : il dit que les 29 victimes de la manipulation mentale ne sont plus des victimes car elles n’ont pas déposé de plainte. De même, toutes les accusations de blanchiment d’argent sont abandonnées !
De « vraies fausses » victimes
Makhija a le soutien de Susan Palmer, professeure à l’université Concordia et au collège Dawson, à Montréal, Québec. Elle lui a écrit en ces termes : « C’est absolument scandaleux ! Enquêtant sur le cas d’Arnaud Mussy (la première application de la loi About-Picard), j’ai assisté à des choses similaires. Les “victimes” avaient insisté sur le fait qu’elles n’étaient pas des victimes. L’Unadfi [association “antisecte”] avait [pourtant] déposé plainte en leur nom, contre leur volonté ou à leur insu. Le juge a déclaré que le fait de ne pas avoir réalisé qu’ils avaient subi un lavage de cerveau était la preuve qu’ils avaient subi un lavage de cerveau ! On dirait que votre juge d’instruction est distrait et ne prend pas la peine de faire son travail. On se croirait dans une nouvelle de Kafka ! »
Sa « présence silencieuse » suffit à manipuler les stagiaires
En décembre 2016, Neelam Makhija reçoit un texte en anglais du juge d’instruction. C’est la première communication dans cette langue qu’il obtient du système judiciaire français.
Enfin, il peut comprendre le contenu de l’affaire. Ce qu’il lit dans ce texte lui paraît incroyable. Alors que M. Makhija ne parle pas français, sa « présence silencieuse » était suffisante pour « manipuler » les gens faibles d’esprit. Il allègue que l’accusé a créé une « atmosphère mystérieuse » pour affaiblir les participants sous couvert de philosophie indienne. Or, tout ce qu’il a fait, c’était d’éteindre les lumières, utiliser des bougies, des bâtons d’encens et de passer de la musique donnée par les participants !
Toute cette affaire est incompréhensible. Les avocats disent n’avoir jamais rencontré un cas comme celui-ci. L’hypothèse générale est que cette accusation de manipulation mentale du juge d’instruction était si faible que si on laissait M. Makhija quitter la France, son grief contre Cécile Tousignant tomberait aussi. Tous leurs efforts auraient été perdus, les rendant ridicules aux yeux de leur hiérarchie. Surtout quand tant d’argent et d’efforts avaient été dépensés, enquêtant sur une histoire fabriquée.
Le procureur abandonne les charges
Finalement, le procès a lieu le 2 juin 2017, après une « balade » de 30 mois. Le procureur dit qu’il abandonne l’accusation de manipulation mentale de personnes en état de faiblesse car il n’a aucune preuve pour soutenir les accusations. Il avoue au juge que, dans ce cas, la justice a été « un peu enthousiaste » dans cette affaire et qu’elle a pris un temps démesuré pour la traiter. Il abandonne également les accusations de blanchiment d’argent car il n’a aucune preuve que M. Makhija ait reçu des fonds de Mme Tousignant.
Les juges, désireux d’abréger cette affaire embarrassante, concluent rapidement. Ils délibèrent moins d’une heure et blanchissent le prévenu, le condamnant à une amende symbolique pour avoir donné quelques conseils au téléphone pour apaiser Cécile Tousignant[3], qui s’inquiétait des soupçons de travail dissimulé qui étaient portés à son encontre.
Tout ça pour ça !
« Quoi qu’il en soit, tout ce qui s’est passé ici en France m’a fait perdre des années de vie (du 28 novembre 2014 au 2 juin 2017 et plusieurs mois jusqu’à ce que tout soit réglé). Une perte coûteuse de jours précieux à mon âge ! L’histoire a été montée par la Caimades (gendarmerie spécialisée dans « l’emprise mentale ») sensibilisée par la Miviludes, avec la complicité du juge d’instruction et du psychiatre fonctionnant selon les vues de la Miviludes. Ils ont imaginé que j’étais un grand gourou indien, du mouvement Osho, qui aurait formé et exploité des gens comme Cécile, qui elle-même aurait été manipulée par des gens comme moi. Ils ont passé deux années à enquêter, cherchant des preuves pour justifier leur idée fixe. Finalement, n’ayant rien trouvé, ils ont collé ensemble des bribes d’informations hors contexte pour tenter de justifier leurs conclusions.
« Ce sont les gendarmes qui nous ont manipulés »
« Ils ont donné à la cour l’analyse sur moi du Dr Danet (psychiatre) et l’opinion d’un psychologue qui avait été invité à me rencontrer à la demande de la défense. Celle-ci fait remarquer que leurs évaluations étaient totalement contradictoires, comme s’ils avaient rencontré deux personnes différentes, et non le même Neelam, soulignant la nature subjective de ces évaluations.
« Au tribunal, cinq des stagiaires de Mme Tousignant ont laissé entendre aux juges que ce n’était pas elle, mais les gendarmes de la Caimades qui ont tenté de les manipuler, leur disant des mensonges sur elle.
« Dans son ignorance la plus totale, la Miviludes et ses alliés dénigrent la culture et la spiritualité indiennes. Une culture avec une sagesse ininterrompue de 15 000 ans !
« J’espère que le pouvoir politique en place examinera de près le prix payé par la dégradation de l’image de la France dans le monde en raison de son soutien à des instances comme la Miviludes. »
Ces deux mois de prison et ses deux ans et demi d’interdiction de sortie du territoire de M. Makhija l’ont coupé brutalement des affaires qu’il conduisait au Canada et en Inde, entraînant des pertes sèches. A quoi il faut ajouter ses frais d’avocat et les dépenses diverses occasionnées par toutes ces péripéties.
Le préjudice dépasse les 600 000 €
M. Makhija a fait le calcul : le montant du préjudice dépasse 600 000 € !
Et on ne parle pas des autres conséquences non financières : années de vie perdues à un âge avancé ; violation de la confidentialité des communications ; atteinte au respect de soi et perte de crédibilité auprès de sa famille (suite à ces accusations, ses enfants et petits-enfants ont été profondément choqués et perturbés) et de ses associés professionnels ; perte d’intimité ; stress important, etc.
L’Indo-canadien souhaite obtenir réparation et cela, dans deux directions :
– Indemnisation pour « abus de pouvoir criminel » par la Miviludes et l’État français pour préjudice moral et angoisse émotionnelle grave.
– Dénonciation du « racket » de la Miviludes qui lui permet d’utiliser la force publique de façon malveillante pour harceler et causer des torts, avant même tout jugement, aux personnes qu’elle considère comme suspectes en raison de ses critères subjectifs.
L’avocat, dans un premier temps, avait envisagé d’agir selon ces voies.
Aujourd’hui, il fait savoir à Neelam Makhija : « Je comprends votre colère mais nous ne pouvons rien faire en ce qui concerne la Miviludes »…
>> Toutes ces souffrances, tous ces préjudices, toutes ces dépenses publiques : tout ça pour rien !
Malheureusement, il est à craindre que les auteurs de ces dérives, qui œuvrent officiellement au cœur même de nos institutions, ne seront ni inquiétés, ni empêchés de continuer de nuire.
Quand donc la France sortira-t-elle de son racisme anti-spirituel ? Qui, hormis notre magazine, dénoncera la machinerie arbitraire mise en place par le pouvoir, avec sa police spécialisée contre les démarches « différentes » (Caimades), son organisme chargé de diffuser des rumeurs non fondées et de faire peur aux Français (Miviludes) et ses associations d’incitation à la haine des spiritualités, financées par l’Etat (ici CCMM) ?
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[1] Comme la majorité des techniques de méditation enseignées et pratiquées en Occident aujourd’hui.
[2] Osho, mystique indien, mort en janvier 1990, officiait sans problème dans son pays. Il est l’une des multiples figures spirituelles indiennes, qui ont inspiré Neelam Makhija et Cécile Aashti. Osho a développé, plusieurs techniques de méditation au long de sa vie. « Ses techniques sont disponibles à tous sur internet et dans des livres partout dans le monde en plus de 30 langues, précise Neelam. Le fait que j’utilise ses techniques pour moi-même n’a rien à voir avec l’appartenance avec aucun mouvement. Dans la culture indienne, ce terme ‘mouvement’ ne fait aucun sens. »
[3] L’accusation d’emprise mentale a été aussi abandonnée, envers Cécile Tousignant dont le compte bancaire a été saisi sous le prétexte de « travail dissimulé ».
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