Mathias Hounkpè, politologue et expert à l’International fundation for electoral system (Ifes), évoque les retombées éventuelles du printemps arabe en Afrique sub-saharienne, la guerre en Libye et la question du modèle pour les systèmes politiques africains.
Quel est le regard que portent les citoyens des pays d’Afrique sub-saharienne sur le printemps arabe ?
Mathias Hounkpè. |
Sans avoir fait une étude au préalable, je pourrais dire que chez beaucoup d’entre eux il pourrait y avoir un sentiment d’envie. Dans très peu d’Etats de cette région, les citoyens sont satisfaits de la manière dont leurs pays sont gérés. Les pays concernés par le printemps arabe étaient des régimes autoritaires parfois même dictatoriaux. Même si dans plusieurs pays d’Afrique sub-saharienne l’élection est le mécanisme politique, cela ne change pas le sentiment d’insatisfaction qu’éprouvent les citoyens. Je pense que ceux-ci voudraient bien avoir la capacité de faire chez eux ce qui s’est passé dans les pays arabes afin qu’ils aient un peu plus de contrôle et d’influence sur le cours des choses.
Les citoyens de ces pays peuvent donc suivre l’exemple du printemps arabe…
Cela peut-être une bonne inspiration. Curieusement, ce n’est pas seulement dans le monde arabe qu’il y a des protestations. Ce qui se passe aujourd’hui au Grèce, en Espagne et qu’on observera éventuellement dans les autres pays est la preuve que les citoyens ont compris que, quelque soit la nature du régime dans leurs pays, ils ont la capacité d’obliger les acteurs politiques à opérer des changements, si ceux-ci n’arrivent plus à tenir compte de leurs préoccupations. La vague de démocratisation qui a atteint les rivages des pays africains en 1990 a d’abord commencé dans les pays de l’Europe du sud, à savoir en Grèce, en Espagne et au Portugal. C’est ce qu’on a appelé la 3ème vague de démocratisation. Aujourd’hui, voilà que le printemps arabe a débuté de l’autre côté de la Méditerranée et qu’elle rejaillit un peu sur les rives de l’Europe du sud.
Quid du rôle clé que la France joue en Libye ?
La France fait preuve d’un certain activisme en exigeant la prise en compte des préoccupations des citoyens libyens, une attitude qu’on ne lui connaissait pas par le passé dans d’autres dossiers sensibles. Cela s’explique à mon avis par trois raisons : d’abord il y a la personnalité du président actuel de la France, ensuite les relations que celui-ci a nouées avec des pays tels que les Etats-Unis et enfin le faux-pas de la diplomatie française au début du printemps arabe. La France avait trainé le pas avant d’apporter un soutien clair aux citoyens de la Tunisie et de l’Egypte qui exigeaient une plus grande ouverture du système politique de leurs pays respectifs. Elle a donc aujourd’hui tendance à vouloir se rattraper après cette erreur.
N’y a-t-il pas en toile de fond des intérêts économiques ?
Absolument, les hommes sont a priori guidés par des considérations liées à leurs propres intérêts. Pourquoi voulez-vous que des soldats français aillent se faire tuer en Côte d’Ivoire, ou en Afghanistan, si cela ne rapporte rien à leurs pays ? Si nous analysons sous le prisme de l’humanisme, il faudrait défendre tout ce qui concourt à humaniser le monde et ce, même s’il n’y a aucun intérêt personnel en jeu. Dans la réalité, ce n’est jamais le cas. Il faut condamner les puissances qui choisissent de défendre leurs seuls intérêts. Mais il ne faut pas se voiler la face. Elles interviennent vigoureusement en Libye, mais en Syrie, ces puissances sont encore inactives malgré le fait qu’il y aurait déjà eu plus d’un millier de morts. Mis à part les intérêts, il y a aussi des enjeux géostratégiques. Par exemple, la chute du régime syrien pourrait créer dans la région des problèmes pour lesquels ces puissances n’ont pas encore des solutions.
Le modèle de démocratie des pays d’Afrique sub-saharienne s’inspire de celui de l’Occident. Est-ce une faiblesse ou une force ?
C’est nécessairement une faiblesse lorsqu’on ne tient pas compte des réalités de son pays. A l’époque de la Grèce antique, un citoyen a demandé au philosophe Solon ce que devrait être une bonne constitution. Celui-ci lui a demandé pour quel peuple cette constitution devait être rédigée et pour quelle époque. La constitution est l’élément qui définit le cadre institutionnel du système politique. Elle doit tenir compte du peuple qui l’utilisera et de l’époque où elle est rédigée. Il faut donc se référer à l’environnement régional et international pour parler de l’époque où nous nous trouvons. Mais également à l’environnement intérieur, c´est-à-dire l’état d’esprit des citoyens pour lesquels vous voulez construire le système politique. En Afrique, la plupart des démocraties sont jeunes. Ce n’est pas une raison pour vouloir tout inventer ou pour recopier des solutions toutes faites. Le vrai défi est de pouvoir adapter ces solutions aux contextes qui sont les nôtres, afin de réduire les travers qu’on observe dans le fonctionnement de nos cadres institutionnels.
Y a-t-il un modèle dont devraient s’inspirer les pays africains ?
Il n’y a pas un modèle qui pourrait servir à tous les pays africains. Les Africains ne peuvent pas faire l’économie de l’effort que chaque peuple a fait pour créer le système politique qui lui correspond. Si vous prenez les Américains, ils ont créé un système tout en se référant à leur histoire, à la situation au moment où ils mettaient en place un tel système. Mais ils ont aussi veillé à l’adapter au fil du temps. Au moment où le système politique américain était créé, ceux de la Grande-Bretagne et de la France existaient déjà. Les Américains se sont gardés de les copier. Lors de la convention de Philadelphie qui a décidé du contenu de la constitution américaine, ils ont fait référence à tous les grands philosophes politiques, tout en rejetant par exemple l’option d’une monarchie républicaine ou celle d’un régime parlementaire. Les raisons de ces choix ont été expliquées. C’est donc un travail de fond que les Américains ont fait à cette époque, et il faut qu’en Afrique nous y arrivions.
Que pensez-vous de la democratie beninoise, construit a base de celle francaise?. Ttes les constitutions ont ete realise a base de la bible. Pourquoi alors l’afrique ne peut elle pas s’inspire de la bible afin de mettre en place une constitution qui repond a ses realites?