Elle avait connu son heure de gloire, à Paris en 1996, en prenant la défense du mouvement des “sans-papiers” de Saint-Bernard. Aujourd’hui, elle anime le Refdaf, Réseau des femmes pour le développement durable en Afrique, basé au Sénégal. Son objectif : aider les femmes, y compris les plus pauvres, à passer de la survie à la création de biens et de services sur des bases solides et durables.
Madjiguène Cissé à Marrakech lors du congrès Africités 2009. |
Le 28 juin 1996, trois cents étrangers en situation irrégulière – en majorité des Maliens et des Sénégalais qui travaillaient depuis longtemps en France – commencent l’occupation de l´église Saint-Bernard à Paris pour demander leur régularisation.
Ils avaient occupé l´église Saint-Ambroise en mars, mais s´en étaient fait expulser.
Ils avaient ensuite occupé d´autres lieux de la capitale dont ils s´étaient fait à chaque fois évincer. Autour de leur action, et particulièrement grâce à Madjiguène Cissé [1], se crée une forte médiatisation. Deux ans plus tard, près de 90 000 sans-papiers étaient régularisés…
Aujourd’hui, l’ancienne porte-parole, mère de trois enfants, s’est assagie. Mais elle n’a renoncé ni à ses idéaux ni à son activisme. Depuis neuf ans, elle accompagne les femmes d’Afrique et particulièrement du Sénégal, son pays d’origine où elle est professeur d’allemand, dans leur quête d’un développement durable. Elle continue d’intervenir également, sur la scène internationale, comme spécialiste des questions de migration, de droits des femmes ou de développement local.
Nous l’avons retrouvée à Marrakech (Maroc) où elle intervenait le 17 décembre dernier dans le cadre d’Africités, dans l’atelier « Economie populaire et microcrédit ».
Ouvertures.- Quel but vise le réseau de femmes que vous présidez ?
Madjiguène Cissé.- Faire émerger une société civile féminine africaine. Nous accompagnons les femmes dans des programmes de création de richesses, biens et services. Nous voulons renforcer leurs capacités dans tous les domaines, par la sensibilisation et la formation.
Malgré le rôle éminent qu’elles ont toujours joué, malgré le fait qu’elles constituent la majorité de la population rurale et urbaine, les Africaines sont confinées dans l’informel et mènent des activités de survie au quotidien. Il faut les sortir du « petit » dans lequel elles sont enfermées : petit logement, petit élevage, petite agriculture, petit commerce, petite finance… Nous voulons trouver les moyens de l’envergure, en faire des propriétaires, des directrices, des entrepreneuses, des capitaines d’industrie…
Pour cela, nous fédérons nombre d’associations de base existantes, environ 150 à ce jour. Le réseau permet de poser des objectifs communs et de mettre en œuvre des stratégies communes.
6000 sans-papiers en région parisienne Plus de 6 000 sans-papiers sont actuellement en grève dans toute l’Ile-de-France, représentant plus de 2 000 entreprises. Soutenus par plusieurs syndicats et associations (CGT, CFDT, FSU, Solidaires, UNSA, Femmes Egalité, Cimade, LDH, RESF, Autremonde, Droits Devant), ces immigrés demandent la rédaction et la publication d’une nouvelle circulaire sur les titres de séjour reconnaissant leurs droits et leur dignité de travailleurs. Le texte devrait définir des critères de régularisation par le travail « améliorés, simplifiés et appliqués sur l’ensemble du territoire ». La présidente du club patronal Ethic, Sophie de Menthon, dans une tribune publiée par Les Echos le 28 décembre, a proposé de « donner une chance aux employeurs, plutôt de bonne foi, de rentrer dans les clous en accordant « trois mois à ceux qui veulent régulariser la situation de leurs employés cachés », en échange de « l´impunité s´ils s´engagent sur des CDI ». |
– Des exemples concrets ?
– L’accès à la terre. Souvent, les femmes ne savent même pas qu’elles y ont droit. Et quand elles le savent, elles n’ont pas les moyens de louer. Nous avons organisé des campagnes d’information, rédigé des modèles de demande de location, aidé au regroupement de moyens financiers.
Autre initiative, l’espace d’échanges et de commercialisation. Nous aidons les femmes à acquérir des étals et des cantines sur les marchés, avec Dakar dans un premier temps comme région-test. Cet espace leur permet d’écouler et d’échanger les produits de terroir.
Autre projet qui me tient à cœur, la Cité des femmes, une expérience réussie d’habitat social [2]. C’est une forte demande de la part des femmes, dont beaucoup sont veuves ou divorcées et vivent dans des pièces étroites, mal équipées et chères. Les femmes du Refdaf, après d’énormes sacrifices, ont pu obtenir 100 parcelles à Keur Massar. Ménagères, vendeuses au détail, commerçantes, elles cotisent sur un compte commun ouvert auprès de la Banque de l’habitat (Bhs). Quand un certain montant d’apport personnel est atteint (500 000 francs CFA, soit 762 €), elles obtiennent une parcelle viabilisée par l’État. Là, elles construisent elles-mêmes leur maison avec les conseils de l’Atelier de construction que nous avons mis sur pied.
Le Refdaf a pu aussi acheter sur le même site une parcelle de 300 m², son premier patrimoine commun, qui va abriter une crèche et un centre social pour les femmes.
[1] Voir son livre “Parole de sans-papiers“.
[2] Un film a été réalisé par Alejandra Riera sur ce projet.