Hervé Kempf est journaliste au Monde. Pour lui, il n’est pas d’autre défi à l’aube du troisième millénaire que la crise écologique. Depuis plusieurs années, il tente de convaincre que « les riches détruisent la planète ». Son dernier ouvrage (“L´oligarchie, ça suffit, vive la démocratie”, Seuil, 2011) est un plaidoyer pour une « démocratie sans croissance fondée sur la modération ».
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En ces temps de prise de conscience de l’ampleur de la crise écologique, la réflexion commence à s’ouvrir à nos modes de gouvernance qui apparaissent impuissants face à la montée des dangers. « Protéger la biosphère implique de repenser la démocratie elle-même », nous disent Dominique Bourg et Kerry Whiteside (Seuil, 2010) en exquissant des solutions pour la libérer de la dictature du court terme. Mais sommes-nous réellement en démocratie ? Hervé Kempf en doute : « Il est de l’intérêt des puissants de faire croire au peuple qu’il est en démocratie. Mais (…) nous sommes en oligarchie, ou sur la voie de l’oligarchie » (p. 9).
Le terme désigne à la fois une réalité sociologique – l’oligarchie regroupe les oligarques – et un système politique – l’oligarchie par opposition à la démocratie ou à la dictature. Le mot oligarchie, du grec oligos – peu nombreux – signifie « gouvernement par un petit nombre de gens ».
Que les riches et les puissants cherchent à exercer leur influence ne date pas d’aujourd’hui, mais ce que montre l’auteur, c’est qu’ils ont pris en main les principaux leviers du pouvoir. Ils ont rendu poreuses les frontières entre les ministères, les institutions financières et les grandes entreprises, ils contrôlent les médias, et leurs lobbies sont extrêmement actifs. La démocratie est de plus en plus vidée de sa substance.
La démocratie fait partie de la solution
Si l’oligarchie était vertueuse, si elle ne cherchait pas avant tout à défendre ses propres intérêts et à accroître sa richesse, elle pourrait rendre le système oligarchique acceptable, et ce système de gouvernement pourrait même répondre à l’inquiétude de certains écologistes. Ils sont en effet de plus en plus à se demander si la démocratie est apte à faire face aux menaces qui se multiplient et selon l´auteur, certains seraient prêts à succomber à la tentation d’un gouvernement par une élite éclairée.
Mais force est de constater que l’oligarchie qui nous gouverne nie la crise écologique. Ayant érigé la croissance en religion, elle nous entraîne dans une fuite en avant qui risque de nous conduire au chaos. A moins qu’une partie de celle-ci, consciente des dangers, impose à l’autre un changement radical… ou que le peuple reprenne le pouvoir.
Ce dernier scénario, Hervé Kempf l’estime moins probable que les autres (pour en comprendre les raisons, lire les chapitres : L’art de la propagande et Pourquoi ne se rebelle-t-on pas ?), mais il l’appelle de ses vœux. « Ce n’est pas la démocratie qui est inapte aux choix difficiles, c’est le régime oligarchique. (…) La question climatique exige l’adhésion de chacun d’entre nous pour faire évoluer ses comportements. Les changements sont d’une telle ampleur qu’ils ne peuvent être réalisés sans une nouvelle culture » (p. 133). « Au lieu de prendre la démocratie comme acquise, il faut la revivifier, en résistant à l’oligarchie et en développant la culture et les pratiques démocratiques » (p. 156).
L´humanité peut-elle s´en sortir ?
Hervé Kempf ne fait-il pas preuve de trop d’optimisme en pariant que le peuple sera plus sage que l’oligarchie ? Qu’il saura se défaire de ses conditionnements à la consommation et au divertissement, soigneusement entretenus par les médias dominants. Il s’en défend, mais écoutons la voix apparemment discordante de Bertrand Méheust, sociologue, auteur de La politique de l’oxymore (2009). Sa réflexion épistémologique sur les tabous de la connaissance, à partir de l’histoire de la parapsychologie, l’a amené à s’intéresser à la crise écologique : « La pénible vérité est qu’une société n’accepte que très difficilement une réalité qui la dérange, aussi massive soit-elle, si elle n’est pas prête à la recevoir ». Il résume son argumentation dans un exposé fait en 2009 à l’Université d’automne du WWF :
- « Aucune société ne renonce d’elle-même à elle-même, il faut qu’elle y soit contrainte par une force ou une menace écrasante.
- Plus une société dispose de moyens pour persévérer dans son être, et plus elle tend à s’en servir ; or la société globalisée dirigée par le Marché dispose des moyens les plus considérables jamais mobilisés par une société humaine. N’ayant plus de dominateur externe, elle ne pourra se contraindre à temps et fera jouer tous les moyens dont elle dispose pour se perpétuer. Dans le domaine de l’erreur, elle peut aller plus loin que les autres, elle a les moyens d’emmener l’humanité aux abîmes.
- Il en découle donc qu’elle ira jusqu’au bout d’elle-même, qu’elle emploiera ses immenses ressources à différer sa saturation encore et toujours, jusqu’au seuil fatal. »
Derrière le pessimisme affiché de Bertrand Méheust, on voit toutefois poindre le même appel à la résistance que celui lancé par Hervé Kempf, laissant entrevoir qu’il n’a pas tout à fait renoncé à l’idée que l´humanité pourrait se sauver d’elle-même.
L´essentiel en bref La thèse d´Hervé Kempf :
Mais, nous prévient Bertrand Méheust, il ne faut pas mésestimer la faculté d’une société à persévérer dans l’erreur, même quand la vérité est aveuglante. |
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