EXCLUSIF – Nous avons pu rencontrer le responsable d´un forage de gaz de schiste sur son chantier, au cœur de la Pennsylvanie. Une entrevue rarissime dans le monde très secret de l´industrie gazière.
« Ne citez pas mon nom, sinon je perds mon job. Je ne suis pas censé vous parler, vous n´êtes pas censé être là ». Le message est clair. Celui que nous appellerons Blake nous aura pourtant reçu plus de trois heures sur son aire de forage, perdue au milieu des collines arborées de la Pennsylvanie, à 300 kilomètres à l´ouest de Philadelphie. Au milieu trône un immense puits de 145 mètres de hauteur. L´écran de contrôle posé sur le bureau du modeste mobile-home de Blake affiche 6127 pieds (1,87 km). « C´est la profondeur à laquelle nous sommes, après douze jours de forage », explique-t-il, assis sur la formation rocheuse du Marcellus Shale, la plus grande connue à ce jour aux États-Unis. 20 à 30 hommes triment en permanence, entrouvrant parfois la porte pour demander conseil ou informer le patron. Ce chantier, comme les autres, durera entre trois semaines et un mois, parfois plus, le temps de creuser jusqu´au schiste, à 3 km sous terre si besoin. Heureusement, sur le Marcellus Shale, « on fore comme dans du beurre. » Avec un souci de l´environnement et de sécurité maximum, jure Blake.
« Tous les fluides que nous utilisons ici sont biodégradables », avance l´homme dans une assertion qui ferait basculer les antischistes dans l´hystérie. « Et nous traitons les déchets produits par le forage, on en fait de la boue. Ils sont ensuite transportés par camion, je ne sais pas où. » Même aplomb à l´évocation du gaz contenu dans l´eau potable de tant de voisins alentours : « Du gaz dans l´eau, par ici, il y en a toujours eu ». Pas faux. « Sauf que ce gaz de surface était présent en quantité très réduite dans l´eau du robinet, rétorquera à distance une militante locale outrée. Là, ce sont de grosses quantités de gaz qui vient des profondeurs et qui contient des dizaines de produits chimiques, dont de l´arsenic, comme le montrent les analyses faites dans le comté ».
Quand on lui rapporte ces propos, au lendemain de notre première entrevue, Blake fait la moue : « Les gens qui protestent l´ont mauvaise parce qu´ils ne possèdent pas de terre à louer à l´industrie et ne se font donc pas d´argent. » Une analyse assez éloignée des témoignages recueillis tout au long de notre reportage (à lire en intégralité sur Politis.fr), dont beaucoup proviennent de propriétaires terriens ayant passé un contrat avec l´industrie gazière. « C´est aussi une question politique, continue Blake. Quand de très grosses entreprises arrivent dans des endroits ruraux comme ici et font beaucoup d´argent, ça emmerde plein de monde ». La méfiance des locaux viendrait aussi de l´exploitation passée du charbon. « C´est une industrie qui a causé beaucoup de dégâts et énormément pollué, explique Blake. Mais nous avons appris de ces mauvaises expériences. Ce n´est pas dans notre intérêt de polluer. »
Toutes les douze heures, les deux équipes de Blake ont droit à un « point sécurité » de 30 minutes. « On leur répète : “Nous ne provoquerons pas de fuite”. Je leur interdit même de pisser dehors ! » Aucune fuite à déplorer sur ce chantier, pour le moment. « Cela m´est déjà arrivé dans ma carrière, mais elles ont toujours été colmatées. » Des boudins de rétention de liquide quadrillent le terrain, au cas où. Et un système de prévention des explosions permet d´expulser du gaz en urgence si la pression devenait incontrôlable dans les tubes. Quant aux trajets de camions acheminant l´eau indispensable au forage, Blake les évalue à une soixantaine pour ce forage. Avant même le début du processus de fracturation hydraulique, bien plus gourmand en eau. Autant d´informations dont les habitants se plaignent d´être privés, en sus du manque de transparence sur les lieux et le nombre de puits forés. « Certaines entreprises organisent une journée d´information au public une fois par an au moins, répond Blake. Il y a des salariés, des ingénieurs, des géologues et c´est ouvert à tous. »
Sincèrement convaincu de l´intégrité du processus de fracturation hydraulique, Blake croit au gaz naturel. « C´est l´énergie du futur immédiat, plus propre que le pétrole. » Quid des énergies vertes ? « Elles joueront un grand rôle mais aujourd´hui, les gens qui s´équipent en panneaux solaires ont de gros moyens et une conscience politique écologiste. Pour normaliser ces technologies, il faut investir massivement en recherche et développement. » Seul problème : chaque dollar dépensé dans les technologies d´extraction des énergies fossiles est un dollar de moins pour les énergies renouvelables. « Je vais vous dire une chose, lâche Blake sur le ton de la confidence. Les énormes boîtes du secteur comme Chesapeake, Cabot, Devon ou XTO n´ont aucune vision à long terme. Leur truc, c´est “on fait du fric maintenant, on créé des emplois, nos actionnaires sont contents et tout va bien”. » Pas vraiment du goût de Blake, en réalité : « J´aimerais qu´ils mettent au moins 1 % de leurs gigantesques bénéfices dans la recherche pour les énergies renouvelables. Parce qu´à moyen terme, les énergies fossiles, c´est terminé. J´adorerais voir marcher le pays entièrement aux énergies vertes, vraiment ! D´ailleurs si on venait me proposer de bosser dans ce secteur sur un gros projet, je le ferai pour moitié moins de mon salaire actuel. Les techniques ne sont pas encore au point mais je crois quand même que je verrai la généralisation des énergies vertes de mon vivant ».
En attendant, il reste un paquet de schistes à exploiter. Une fois ses deux puits creusés ici, Blake ne s´occupera pas de la fracturation hydraulique. « C´est une autre société qui prend le relais pour ça, chacun est spécialisé ». Il sera alors temps pour ce consultant indépendant d´honorer un nouveau contrat. Quinze jours sur place, quinze jours à la maison. Six mois de travail par an à 1500 dollars la journée, soit 190 000 euros annuels, « une sacrée bonne paye ». L´heure est venue pour Blake de retourner au turbin. Il nous salue chaleureusement d´une grande tape dans le dos, rigolard : « Vous voyez, on n´est pas tous des méchants dans ce business. »
Il est regrettable que les entreprises aient décidé de faire des choses en secret, et au détriment des habitants qui vivent autour d’eux. Je peux vous parler de beaucoup de compagnies pétrolières honnêtes, ou leurs sous-traitants qui sont ouverts à la population et extrêmement honnêtes au sujet de ce qu’ils vont faire, l’impact sur l’environnement, et l’impact sur l’économie de la région. Ces entreprises embauchent toujours localement lorsque les travailleurs sont disponibles.
Eric | http://www.foragestemarie.com/fr/services_et_equipements.html