Un article de la loi de bioéthique du 7 juillet 2011 autorise désormais l’utilisation de la neuroimagerie dans le cadre d´expertises judiciaires. Ainsi, cette technologie, malgré l’avis contraire des rapporteurs de la loi, pourra être utilisée devant les tribunaux pour détecter les mensonges ou déterminer la responsabilité des protagonistes d’un procès…
C’est un tout petit article, le n° 45, inséré dans la loi de bioéthique du 7 juillet 2011, sous un nouveau chapitre introduit dans le code civil et intitulé « De l´utilisation des techniques d´imagerie cérébrale ». Le nouvel article encadre l´utilisation de ces techniques et dispose : « Les techniques d´imagerie cérébrale ne peuvent être employées qu´à des fins médicales ou de recherche scientifique, ou dans le cadre d´expertises judiciaires. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l´examen, après qu´elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l´examen. Il est révocable sans forme et à tout moment ».
« Manque de fiabilité des techniques »
Le passage souligné (par nous) signifie que les techniques d´imagerie médicale sont désormais expressément autorisées dans le cadre d´expertises judiciaires. Cet article a été voté contre l’avis des rapporteurs (voir référence en fin d’article) qui considéraient que « la finalité judiciaire introduite et limitée à l´expertise judiciaire pourrait être prématurée au regard du manque de fiabilité des techniques. Cette disposition suscite le débat et nous semble contre-productive en l’état des connaissances en imagerie cérébrale. On ne devrait pas permettre de statuer sur la culpabilité, les prédictions, et le pourcentage de récidives éventuelles d’un individu sur la seule base de données de neurosciences. (…) Le pouvoir de simplification et de fascination des images, et leur caractère scientifique, peuvent influencer, et leur conférer une valeur probante supérieure à ce qu’elles sont en mesure d’offrir. En outre, la loi précitée ignore le risque de discrimination spécifique lié à l’utilisation de données cérébrales (…). Nous estimons que ces points doivent être éclaircis, et qu’il faut renforcer la protection des personnes contre ces dérives par un régime de sanctions appropriées ».
Certes, remarquent-ils, on comprend que ce moyen de preuve puisse être utile. Depuis une dizaine d’années, en effet, on émet des doutes sérieux sur les aspects trop subjectifs des analyses psychologiques et psychiatriques. L’actualité nous en a donné récemment une illustration saisissante, quand deux expertises différentes ont conclu l’une à la responsabilité, l’autre à l’irresponsabilité du tueur norvégien Anders Behring Breivik…
Les techniques des neurosciences à des fins judiciaires légitimées
Comme l´a observé Christian Byk, magistrat à la Cour d´appel de Paris, secrétaire général de l´Association internationale droit, éthique & sciences : « Il est sûr que l´apparence d´une discipline qui objectivise (avec de belles photos en couleur) peut apparaître comme un complément d´approche pour mieux cerner la personnalité et le comportement en termes de culpabilité, de responsabilité et surtout pour la question centrale aujourd´hui de la dangerosité ».
Certes, ni les juges, ni le législateur ne sont encore allés jusqu´à suggérer le recours à ces techniques en justice en complément des expertises traditionnelles. Mais cela pourrait venir.
La nouvelle loi a légitimé les techniques des neurosciences à des fins judiciaires, mais elle ne leur a pas défini de cadre spécifique, ni changé les règles en vigueur. C´est donc la jurisprudence qui dira comment l’interpréter. Avec tous les risques que cela peut comporter.
Les rapporteurs préconisaient d’« interdire l´utilisation en justice de la neuroimagerie »
La loi « n´exclut pas la possibilité » que cette technologie soit utilisée comme un « détecteur de mensonge », mais « elle réserve la décision d´utilisation d´une telle technique à un magistrat du siège, président de la juridiction pénale ou juge d´instruction, seul compétent pour ordonner une expertise judiciaire. En l´état actuel des techniques il est hautement improbable qu´un magistrat ordonne une telle utilisation de cette technologie car il s´exposerait à une contestation immédiate de la pertinence ou de la scientificité de l´expertise ».
Mais la possibilité demeure…
Les rapporteurs avaient effectivement plaidé pour l´entrée de la neuroimagerie et des neurosciences dans le champ de la loi. Ils estimaient qu´il fallait développer les recherches dans le domaine de la neuroimagerie et les neurosciences, évaluer l´impact de ces recherches au plan médical, social et environnemental, etc. Mais ils préconisaient clairement d´« interdire l´utilisation en justice de la neuroimagerie ».
Les parlementaires n’ont pas eu cette prudence et l’article a été voté.
Le Comté national d’éthique très réservéDans son avis n°116 du 23 février 2012 sur les « Enjeux éthiques de la neuroimagerie fonctionnelle », le Comité consultatif national d´éthique pour les sciences de la vie et de la santé a mis fortement en garde contre les risques d’une utilisation abusive de cette technologie.
« L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) permet de visualiser l’activation de certaines zones du cerveau lors de l’exécution de diverses tâches, motrices, sensorielles, cognitives et émotionnelles. Elle ne mesure pas directement l’activité des neurones, mais un signal correspondant aux modifications métaboliques complexes associées à cette activité. La fascination pour le pouvoir de la neuroimagerie est telle que le concept de « lecture de l’esprit » est proposé comme un concept opératoire. Dans la mesure où l’image ne peut être niée comme peut l’être une proposition discursive, on a tendance à lui prêter une interprétation intrinsèque alors qu’elle suppose une compétence et des règles d’interprétation, compétence et règles qu’elle ne véhicule pas directement. Les résultats recueillis jusqu’à présent ne permettent pas de décrire à ce jour de façon précise la relation du cerveau à la pensée. Les mesures physiologiques révélées par l’IRMf sont incertaines pour évaluer la pensée d’un individu car ce n’est que le corrélat entre une activité cérébrale mesurée physiquement et un « processus mental » souvent complexe comme les états et contenus de conscience, de langage, de mémoire, de perception. On ne peut parler de relations de causalité identifiées par IRMf. Ce n’est pas parce qu’un comportement se traduit par une image que l’image traduit un comportement. » Le Ccne préconise d’exercer « la plus grande vigilance devant le développement des tests dits de vérité et d’évaluation de la personnalité et des fonctions mentales par IRMf, en raison du risque de réduire la complexité de la personne humaine à des données d’imagerie fonctionnelle et en raison du risque de l’illusion d’une certitude absolue dont serait porteuse la technique ». |
> “L´impact et les enjeux des nouvelles technologies d´exploration et de thérapie du cerveau”. Rapport n° 476 (2011-2012) de MM. Alain Clayes, député, et Jean-Sébastien Vialatte, député, fait au nom de l´Office parlementaire d´évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 13 mars 2012.
> Un groupe d´élèves ingénieurs à l´Ecole des Mines Paristech a réalisé un site dédié à l´utilisation de l´IRM en justice dans le cadre du cours “Description de controverses”.
Tout est dit dans cet avis du Comité national d´éthique !
C´est la porte ouverte à toutes sortes de dérapages et de décisions arbitraires par un pouvoir totalitaire qui utilisera cette technologie pour contrôler la population !