La publicité et ses avatars se glissent insidieusement dans les contenus d’information. Aussi est-il utile d’aider les citoyens à décrypter leurs médias. Pour ce premier numéro d’Ouvertures, voici une rapide analyse à partir de deux exemples récents puisés dans la presse écrite quotidienne.Direct Soir, la promo décomplexéeLe quotidien gratuit
Direct Soir (groupe Bolloré) publie à chaque édition
deux pages rubriquées
“Economie”. Sous cet intitulé, le lecteur pourrait s’attendre à des articles ou des enquêtes sur le chômage, les délocalisations, le pouvoir d’achat, etc. En fait, il ne reçoit que la promotion pure et simple de produits de consommation. Cinq exemples au hasard:
– Le 8 janvier : “Xerox : Copie conforme” : présentation du fameux photocopieur.
– Le 15 janvier : “Email Diamant : le précieux dentifrice”.
– Le 17 janvier : “Eau Sauvage : le souffle de l’élégance”.
– Le 18 janvier : “Smoking pour femme : La révolution selon Saint-Laurent”.
– Le 1er février : “Mag-Lite : Et la lumière fut” : la fameuse lampe torche.A chaque fois, l’article est accompagné d’une interview et de quelques brèves soit sur le produit lui-même, soit sur les “Acteurs du marché”, c’est-à-dire les concurrents. La confusion entre promotion et information est assurée…
A signaler également qu’il est impossible de trouver le nom d’un journaliste dans le journal, ni à la fin des articles en signature, ni dans l’ours (encadré contenant les indications légales).
L’homme d’affaires Vincent Bolloré, ami du président Nicolas Sarkozy, contrôle la chaîne de télévision Direct 8, deux quotidiens gratuits, Direct Soir et Matin Plus, l’agence de publicité Havas, dont il est le premier actionnaire, et l’institut de sondages CSA. Il tente actuellement de reprendre, avec l’ancien P-DG de l’Agence France-Presse Bertrand Eveno, le service français de l’agence de presse AP.
Mais la tendance à accueillir de la promotion et à la présenter sous forme d’information ne se limite pas à ces nouveaux médias gratuits regardés par certains avec condescendance. Même les plus sérieux de nos quotidiens sont touchés par cette mode.
Le Monde, la promo subtileL‘installation de Nespresso, cet hiver, sur les Champs Elysées parisiens n’a certainement échappé à personne, tant la presse a largement “couvert” cet événement. Et en des termes laudateurs sinon admiratifs. Dans le Monde du 14 décembre 2007, la journaliste évoque «la stratégie du pionnier de la capsule individuelle de café» et le «positionnement dans des endroits prestigieux». Elle écrit : «Son pari réussi, faire passer le banal café pour un produit de luxe, fait déjà de Nespresso l’une des success story marketing des dernières années». Et bien sûr, au centre de l’article, figure le sourire charmeur de l’icône choisie pour lancer cette campagne, l’acteur George Clooney.
Deux jours plus tard passe une publicité, sur une page entière et en couleurs, pour Carte Noire sous le titre : «Savez-vous que le café contient naturellement des anti-oxydants ?» qui peuvent «contribuer à renforcer les cellules de votre corps». Et, le 19 décembre, une page de publicité entière consacrée à Nespresso s’installant près de l’Arc de Triomphe.
Le 20 décembre, nouvel article sur «Machines et dosettes : le nouveau snobisme du café», dans lequel la journaliste explique que «les fabricants parviennent ainsi à enrayer la baisse des ventes de cette boisson».
Cette débauche de promotion sans aucune distance pour le café et ses fabricants est en soi déjà difficilement acceptable. Le propre de l’information journalistique est d’avoir un certain recul par rapport aux pouvoirs, qu’ils soient économiques ou politiques.
En outre, l’impasse est presque faite sur les aspects négatifs de cette boisson. Heureusement pour notre grand quotidien de référence, l’honneur est sauvé par cet entrefilet de 18 lignes dans l’édition du 23 janvier. Il y est indiqué que, selon une étude scientifique (parue dans la dernière édition en ligne de l’American Journal of Obstetrics and Gynecology), la caféine augmente le risque de fausse couche. Les femmes «qui consomment au moins deux tasses de café par jour ont deux fois plus de risque de faire une fausse couche» que celles qui n’en prennent pas. Le Monde ne précise pas que les auteurs de l’étude recommandent aux «femmes enceintes d’arrêter de consommer des boissons caféinées»…
Le journal aurait pu aussi ajouter, à un moment ou à un autre, que le café est souvent produit sur des terrains conquis dans les forêts tropicales (source : World Watch) ; que les consommateurs réguliers de café en machine encourent
«des risques plus importants d’infarctus cardiaque» et que le café produit un certain nombre d’autres effets toxiques (
voir encadré ci-dessous).
Le café est par ailleurs considéré comme une drogue par les pouvoirs publics (voir sur le site de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie).
Les dangers du café
Selon le docteur Alexandra Pariente (Association française de l’anti-aging), le café induit effectivement certains effets positifs sur la santé : «Il en va de l’absorption du café comme de toute consommation : l’abus seul est dangereux». Elle précise cependant que «la caféine est un polluant toxique » et que « la toxicité survient dès que l’on consomme plus d’une tasse par jour d’après les études».
Quels sont ces effets toxiques ?
– Les enfants nés de mère consommant beaucoup de café ont un risque plus élevé d’apnée néo-natale. Les femmes prenant également un traitement hormonal substitutif ont un risque accru de maladie de Parkinson.
– L’association (fréquente) de la consommation régulière d’alcool et de tabac avec la caféine augmente considérablement le risque de cancer du pancréas. On peut donc envisager le thé vert dans la prévention du cancer de la prostate et l’évitement du café et de la caféine comme prévention plus généralisée des cancers.
– Le café augmente l’incidence des maladies cardio-vasculaires (hypertension, cholestérol, infarctus du myocarde, accidents vasculaires cérébraux).
– Les buveurs de café sont plus sont plus exposés à l’ostéoporose.
De son côté, le Conseil européen de l’information sur l’alimentation (Eufic), association co-financée par la Commission européenne et l’industrie européenne des aliments et des boissons (Coca-Cola, Danone, Nestlé, Unilever, etc.) affirme que «la consommation modérée de caféine ne comporte pas de risque pour la santé».
A chacun de mesurer le niveau du risque qu’il est prêt à prendre…
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Il ne s’agit pas ici, bien sûr, de diaboliser le café. Mais de remarquer l’insuffisante prise de distance de la presse par rapport à un produit commercial présenté par la publicité et par les articles comme ne posant aucun problème de santé publique, voire favorisant la santé…