Débat

Faut-il limiter la vitesse à 80 km/h sur route ?

La tribune du journal Le Monde dans laquelle Claudine Perez-Diaz et Claude Got expliquent leur démission du Comité des experts auprès du Conseil national de la sécurité routière a suscité de nombreuses réactions de lecteurs. Nous avons sélectionné quelques unes de leurs interventions qui méritaient plus d'attention.

Claudine Perez-Diaz, sociologue et chargée de recherche au CNRS et Claude Got, professeur de médecine spécialiste de l’accidentologie, sont tous deux très engagés dans l’amélioration de la sécurité routière, au point de parfois se faire traiter d’ayatollahs… Faisant passer le sauvetage de vies humaines avant toute autre considération, ils considèrent que seules  les annonces de mesures crédibles et contraignantes sont efficaces, ayant fait leurs preuves partout dans le monde. Ils déplorent l’effritement de la volonté politique pour réduire la mortalité routière et concentrent leurs critiques sur l’abandon de l’abaissement à 80 km/h de la vitesse sur route.

Jusqu’où aller ?

A l’instar de nombreux lecteurs, Alienor se demande jusqu’où va aller leur frénésie de limitation de vitesse ? « Une diminution par un facteur 17 en 50 ans. Peu de politiques publiques auront été aussi efficaces…vouloir courber encore plus cette asymptote vers le 0 se fera avec chaque fois plus de limitation, de contrôle, de punition et de ressentiment. »

Elle met ainsi le doigt sur le point aveugle de l’argumentation des experts : jusqu’où aller dans la réduction des vitesses, et plus généralement dans la réduction des accidents ?

  • N’est on pas arrivé au maximum de ce qu’on pouvait faire ? De plus de 16 000 morts par an en 1972, on est en effet passé à 3 268 en 2013, avec beaucoup plus de voitures sur les routes.
  • N’y a-t-il pas d’autres causes qui méritent de prendre le relais, comme le pense Parisien : « Si on agissait autant contre les risques de l’alcool, de la drogue et du tabac que contre les risques routiers je pense qu’on éviterait bien plus de morts! »

Combien de morts par an en France ?
Comparaison entre les accidents de la route et d’autres causes de mortalité

Morts par an Année
Accidents de la route 3 268 2013
Accidents de la vie courante 19 703 2008
Accidents du travail (hors trajet) 541 2013
Violences conjugales 146 2013
Suicides 10 571 2008
Alcool 45 000 1995
Tabac 73 000 2004

A ces interrogations légitimes, les experts opposent que « l’accident de la route demeurera la première cause de mort des jeunes adultes » et Cnémon fait remarquer que « le tabac ne tue heureusement presque plus que des personnes qui en ont fait le choix. Alors que le chauffard continue de tuer ou de blesser des gens qui n’ont rien demandé. »

Un peu de prospective

Une faiblesse de ce débat sur les limitations de vitesse, c’est que personne ne cherche à sortir du schéma traditionnel de mesures s’appliquant partout et tout le temps, qui sont ressenties comme inutilement contraignantes.

Comment en effet ne pas protester contre la fixation de la même limite sur une route large et rectiligne que sur une route étroite et sinueuse ?  Est-il vraiment nécessaire de limiter la vitesse à 30 devant une école en dehors des heures d’entrée et de sortie des élèves ? « Développons plutôt les limites à 80 (ou moins) sur les portions dangereuses, glissantes, en mauvais état, sans visibilité : là l’automobiliste comprend que c’est son intérêt », suggère Parisien. « Une limite n’est acceptée que si elle est perçue comme juste » rappelle Leblon.

La technologie n’est-elle pas en mesure de concilier sécurité et liberté ? N’est-elle pas en mesure de rendre les routes et les véhicules plus intelligents et de permettre une adaptation moins grossière de la vitesse à l’environnement ? Et cela sans attendre (comme Carol Langloy)  la voiture sans conducteur, qui aura forcément en mémoire la configuration et les contraintes de son environnement et saura s’y adapter.

Le GPS indique que la vitesse limite de 50 km/h est dépassée. Crédit photo Calou71

Le GPS indique que la vitesse limite de 50 km/h est dépassée. Crédit photo Calou71

La généralisation des GPS dans les véhicules d’aujourd’hui serait pourtant à même de rendre obsolètes les panneaux de limitation de vitesse qui se multiplient sur le bord des routes et de permettre une modulation plus fine de la vitesse autorisée. Les GPS affichent en effet d’ores et déjà les limites de vitesse et signalent leur dépassement. Reste à s’assurer de la mise à jour des données…(1)

Il n’y a pas que la vitesse qui tue

De nombreux intervenants jugent que la répression est trop ciblée sur la vitesse, pas assez sur  d’autres comportements accidentogènes. Et de citer, en vrac : changement de file intempestif, clignotant oublié, non respect des distances de sécurité entre véhicules, dépassement par la droite, non respect des stops ou feux rouges, refus de priorité, drogues et alcool au volant, refus de priorité aux piétons, dépassement des vélos sans respecter la distance de sécurité, stationnement en double file, usage du téléphone, conduite sans assurance ni permis…

Vrai ou faux ?

Dans le forum qui suit la tribune de Claudine Perez-Diaz et Claude Got, des lecteurs apportent des éléments présentés comme factuels. Faut-il les croire sur parole ?

« Compte tenu de la technologie des voitures, il n’y a aucun risque de rouler à 90 ; c’est moins énervant que de lambiner à 80. » Jean Paul Falcy
Faux : lors d’un choc frontal à 80 km/h, tout passager même ceinturé n’a pratiquement aucune chance de survie. Et sur la route, il y a d’autres usagers vulnérables : cyclistes, automobilistes roulant dans des voitures moins sûres…

« Deux fois plus de tués par millions d’habitants en France qu’au Pays Bas, en Norvège ou en Suisse ? » Jean-Baptiste Clamence
Faux : c’est moins de deux fois plus
France : 49 tués par million d’habitants, Pays-Bas : 39, Norvège : 29, Suisse : 34

« Angleterre et Danemark suivent le chemin inverse : route secondaire à 100 km/h ». Leblon
Faux pour le Danemark : 80 km/h
Vrai pour l’Angleterre : 96 km/h (60 mph)

« En fait, il existe des courbes de mortalité en fonction de la vitesse par type de routes. Ce sont des S avec une pente très raide. En ville c’est entre 30 et 50 km/h que la mortalité augmente très très fortement (en cas de choc, 90% de piétons survivants à 30km/h, 90% de tués à 50km/h). Sur les départementales cette inflexion de la courbe est entre 80 et 90km/h.

La courbe en S a été publiée dans un document de l'ONISR du 20/01/2014. Elle montre une forte chute du risque d'être tué dans une collision frontale lorsque la vitesse de collision tombe en dessous de 90 km/h. Mais attention, il s'agit de la vitesse de collision, pas de la vitesse de circulation.

Les courbes en S auxquelles  se réfèrent Alexis Coussement ont été publiées dans un document de l’ONISR du 20 janvier 2014. Celle de droite montre une forte réduction du risque d’être tué dans une collision frontale lorsque la vitesse de collision tombe en dessous de 90 km/h. Mais attention, rouler à 90 ne signifie pas forcément entrer en collision à la même vitesse.

Et la moitié des tués le sont sur ces routes ! » Alexis Coussement
Vrai : selon Claude Got, la moitié des accidents mortels survient sur le réseau non autoroutier.

« On peut noter que sur le périph parisien, la baisse de vitesse est accompagnée du doublement de mortalité. » Rougefluo
(presque) Vrai, mais : Le nombre de victimes n’a pas doublé mais quand même augmenté de 75%, passant de 4 à 7. Par contre, le nombre d’accidents a diminué de 15,5% (627 contre 742) et le nombre de blessés de 14,5% (776 contre 908). La différence entre 4 et 7 morts n’est pas statistiquement significative. En statistique, on ne peut pas tirer de conclusions quand l’échantillon est trop petit. Il faudra attendre plusieurs années pour accumuler suffisamment de données…

(1) La Ford S qui sera commercialisée en août 2015 sera équipée d’un limiteur de vitesse intelligent. Une caméra située en haut du pare-brise détectera les panneaux de limite de vitesse et croisera le résultat avec les données du GPS. Si le véhicule va trop vite, le limiteur coupera temporairement l’injection de carburant.

> Cet article n’est pas une critique de Claude Got dont nous soutenons le combat pour une route plus sûre et dont nous apprécions le rôle de lanceur d’alerte. Mais comme à notre habitude, nous avons souhaité ouvrir la porte à la contradiction dans un débat qui mérite d’être poursuivi.

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