Au sommet d’une colline, un hameau en bois baptisé Habiterre fait face aux vertes montagnes du parc naturel du Vercors. C’est ici, sur les hauteurs de Die, dans la Drôme, qu’une dizaine de foyers, qui pour la plupart ne se connaissaient pas, ont décidé de concrétiser leur envie de vivre autrement. Depuis mai 2011, ils sont une trentaine, du retraité au nouveau-né en passant par l’adolescent, à cultiver le vivre-ensemble, et l’entraide dans ce que l’on appelle un habitat groupé.
Cette forme de logement qui comporte à la fois des parties privatives et des parties communes est très répandue au Canada et en Allemagne et commence à se développer en France. Et pour cause, les avantages de cette résidence partagée sont nombreux. En plus d’offrir un cadre de vie convivial et d’éviter l’isolement, ce lieu favorise la mutualisation des moyens et des idées.
Chauffage et tondeuse en commun
Ainsi, les habitants on mis en commun, une tondeuse, leur outillage et même une chaudière à bois qui leur permet, en plus de limiter leur impact sur l’environnement, de réduire considérablement leurs dépenses énergétiques. Le hameau est composé de 11 logements indépendants, afin que chacun préserve son intimité, mais, c’est dans la maison commune, placée au centre du hameau, que bat le cœur d’Habiterre. Les membres peuvent s’y retrouver pour cuisiner, se répartir un demi-cochon, prendre l’apéro, faire leur lessive ou profiter de la bibliothèque commune.
C’est également dans cette grande salle, qui a déjà accueilli près de 80 personnes, que sont discutées toutes les deux semaines les décisions à prendre concernant cette grande colocation. A l’occasion d’un petit déjeûner, les habitants se mettent d’accord sur la couleur du crépit, la construction d’une dalle pour le garage à vélo ou encore l’organisation d’activités ouvertes sur l’extérieur (voir encadré). « Nous fonctionnons dans une démocratie qui n’a pas besoin d’être surformalisée », note Joël, un des cofondateurs, qui a quitté le Québec pour cette aventure humaine.
Néanmoins, quand un sujet divise, notamment quand il a des conséquences financières, des assemblées plus formelles sont réunies. Dernièrement, c’est l’installation d’une antenne satellite qui a créé le débat. « Ça crée une contrainte. On n’a pas la même liberté que si on était chacun chez soi. Mais les décisions se prennent à tous », plaide cet entrepreneur social.
Difficile donc de se sentir seul tant ce hameau déborde d’activité. « En termes de vie sociale, c’est presque le trop plein. Il est difficile d’aller quelque part sans croiser 3 ou 4 personnes », s’amuse Joël. Il compare le quotidien du hameau à une « vie de village », moins contraignante que la cohabitation au sein d’une communauté: « Chacun est libre de rester chez lui et personne ne rentre chez les autres sans frapper ».
Plus que de simples voisins
Mais Habiterre n’est pas seulement une alternative au mode d’habitat dominant dépourvu d’humanité, où, comme le souligne Joël, « les voisins ne se parlent pas » et sont séparés par des murs. C’est aussi un exemple vivant de notre capacité à coopérer. Joël et Marc ont planché sur le montage du projet. Pascale a travaillé sur l’aspect comptable et d’autres se sont occupés du jardin. Les connaissances d’Alain , le bricoleur de l’équipe, ont permis d’accélérer les travaux. Ainsi, les compétences de chacun sont mises au service du collectif. « Quand 10 cerveaux réfléchissent, ça donne beaucoup de bonnes idées », assure Joël. C’est grâce à cette addition de matière grise qu’un four à pain, des bacs à fleurs en bois ou des toilettes sèches ont émergé sur le site.
En effet, les membres d’Habiterre sont attachés au faire soi-même. Gros-œuvre mis à part, l’ensemble des habitations ont été autoconstruites par les habitants avec une volonté de minimiser leur impact sur l’environnement. Ouate de cellulose, chanvre, chaux, tuiles en terre cuite… « 90% des constructions sont faîtes à partir de matériaux écologiques », estime Joël.
Ovni juridique
Curiosité architecturale, Habiterre est aussi un Ovni juridique. Les habitants ne sont pas propriétaires de leur logement mais détenteurs de parts. Afin d’éviter ce qu’ils considèrent être des écueils du modèle coopératif, ils ont opté pour une société civile immobilière (SCI). Car, le problème des coopératives, c’est que « le capital ne peut jamais être valorisé. C’est une bonne chose en général mais pas dans l’immobilier », argue Joël. En effet, une personne qui voudrait déménager et donc revendre ses parts aurait dû mal à acheter un autre logement, la valeur des parts n’étant pas corrélée au prix du marché de l’immobilier. Ils ont donc créé un indice qui permet valoriser les parts. Il prend en compte le prix du marché, l’inflation et l’indice des constructions. Un moyen selon eux d’assurer aux membres la possibilité de se reloger en cas de départ sans pour autant participer à l’envol des prix du foncier.
Néanmoins, la SCI s’est dotée d’une charte coopérative afin de mettre en place une « gouvernance partagée » et qu’Habiterre ne devienne pas « une simple coproproiété ». Contrairement aux SCI classiques, le nombre de voix en assemblée générale ne dépend pas de la somme d’argent investie mais du nombre de personnes pas foyer, en vertu du principe du 1 personne=1 voix. Le caractère solidaire de cet habitat groupé à également été entériné par la charte. Ils insistent notamment sur la notion d’équité, « chacun en fonction de ce qu’il peut », indique Joël. Nous ne voulions pas que seules les personnes capables d’acheter une maison puissent nous rejoindre. Au moins deux familles ici n’auraient pas pu obtenir de prêt en banque pour acheter leur part », illustre-t-il.
Favoriser l’accès à la propriété
Alors, pour favoriser l’accès à la propriété des moins aisés, un système d’entraide a été mis en place. Les échéances de remboursement sont échelonnées en fonction des moyens financiers de chacun. « Ceux qui peuvent rembourser tout de suite le font, les autres paieront plus tard », livre Joël. De plus, les habitants ont la possibilité de régler une partie de leur part en temps de travail sur la construction du hameau afin de réduire la facture.
Outre ce montage juridique et financier innovant, c’est la rapidité de la concrétisation de ce projet qui distingue Habiterre des autres habitats groupés existants en France. Moins de trois années se sont écoulées entre les premières réunions et l’installation des habitants. Pour agir vite, deux familles motivée se sont lancées sans attendre que le groupe complet soit constitué. Avant même de savoir s’ils réuniraient l’argent nécessaire, ils ont lancé les travaux, s’appuyant néanmoins sur un prêt relai de la NEF. Les autres familles, séduites par le caractère concret de l’aventure n’ont pas tardé à pointer le bout de leur nez. La stratégie du « qui m’aime me suive », prônée par Joël, a porté ses fruits.
Heureux d’avoir réussi à mettre leurs actions en cohérence avec leurs principes, les initiateurs d’Habiterre, issus du monde de l’économie solidaire, voulaient également que le projet ait « valeur d’exemple ». En construisant cet habitat groupé écologique et solidaire, ils voulaient non seulement améliorer leur cadre de vie mais aussi montrer qu’il était possible d’habiter autrement, sans pour autant disposer de millions d’euros en banque. Un pari pour l’instant réussi.
Habiterre, un lieu ouvert sur l’extérieurAfin de faire de leur lieu de vie alternatif un hameau ouvert sur l’extérieur, les habitants d’Habiterre ont vu grand. Chaque logement comporte une chambre d’amis et, mariages et fêtes sont régulièrement organisés sur les lieux. « Il n’y a pas beaucoup d’endroit où on pourrait se permettre d’inviter toute notre famille », lance Joël, un des initiateurs du projet. Mais ils ne se contentent pas de recevoir leurs proches. La salle commune accueille aussi des conférences débat et sert d’espace de réunion aux associations locales aussi bien qu’aux conseils d’administration de banques. La participation est libre mais l’idée est que ceux qui ont les moyens paient pour permettre aux petites structures de pouvoir disposer des lieux gratuitement. En outre, pour financer la construction de la maison commune, les membres d’Habiterre ont fait appel à l’épargne solidaire et plus précisément au « capital patient », à savoir des investisseurs qui ne sont pas guidés par le profit immédiat et qui sont prêts à attendre avant de revoir la couleur de leurs euros. Des chantiers participatifs ont également contribué à la naissance de ce lieu en réduisant le prix de la construction.
> Cet article d’Emmanuel Daniel est extrait du site Tour de France des alternatives, où l’on trouvera quelques compléments en bas de page.