La vérité n’a pas la cote à notre époque. Ce n’est plus une notion moderne : qui prétend la connaître ou savoir en quoi elle consiste, est suspect ou déclaré fou. Le relativisme contemporain, qui a fleuri sur le fumier des religions et des idéologies totalitaires, et à qui les apories quantiques ont donné un air de statut ontologique, est devenu la norme. A tel point que, paradoxalement, ce relativisme semble avoir revêtu les habits du concept qu’il a phagocyté : n’est plus vrai aujourd’hui que le relatif !
Or, le thème de la vérité a hanté les dernières années du philosophe Michel Foucault (voir également Le Courage de la vérité).
Mais, pour se faire entendre, il s’est bien gardé de définir ce terme sur lequel tous les philosophes se sont cassés les dents. Ce qu’on lui a parfois reproché (voir le dernier ouvrage de Bouveresse).
Tout au plus rappelle-t-il, les reprenant à son compte, les quatre formes, dans la pensée grecque classique, selon lesquelles quelque chose peut être dit vrai (alêthês) : le non dissimulé, le non caché ; le sans mélange, ce qui n’est altéré par aucune addition ; ce qui est droit, direct (rectitude) et enfin ce qui est immuable, qui se maintient dans l’identité.
Le courage de tout dire
Ce qui intéresse Foucault, c’est le « dire vrai », la « vérité morale » en quelque sorte. C’est le rapport vrai entre l’individu, le pouvoir et autrui, et avec soi-même. Ce rapport est nommé parrêsia, terme grec qui signifie « tout dire ». Celui qui ose dire les choses est un parrèsiaste.
Foucault montre, dans Discours et vérité, que la franchise et la sincérité du parrèsiaste ne sont pas seulement des qualités psychologiques, mais qu’elles peuvent revêtir des dimensions politique (en interrogeant le rapport entre démocratie et vérité), éthique (le rapport de soi avec la vérité) et enfin philosophique (débouchant sur les Lumières et l’attitude critique).
Entre provocation et prise de risque, la parole vraie est sans doute, dans nos sociétés, ce qui est le plus rarement entendu et le plus difficile à exprimer. Tout l’art du philosophe, dans ces conférences prononcées à l’automne 1983 à l’Université de Californie à Berkeley, se déploie avec fluidité, clarté et jouissance communicative pour évoquer les différentes formes de parrêsia recensées dans le monde antique.
Chantage à la vérité
De nombreux exemples illustrent son propos, comme cette anecdote célèbre du cynique Diogène, quasi nu dans son tonneau, qui s’écrie à la face du tyran Alexandre qui lui bouche la vue : « Ôte-toi de mon soleil ! » Il lui fait ensuite la leçon, le traitant de « bâtard » et désignant les trois grands défauts qu’il aura à combattre toute sa vie : « inclination pour le plaisir, appétit des richesses et ambition politique désordonnée ».
Chaque fois qu’Alexandre est insulté par Diogène, il se met en colère. Mais le philosophe de la rue l’avertit : « Maintenant tue-moi. Mais tu dois savoir que, si tu me tues, personne d’autre ne te dira la vérité ». Ce courage et ce « chantage à la vérité » impressionnent favorablement le roi qui se calme, sachant bien n’être entouré habituellement que de flatteurs et de craintifs…
Michel Foucault développe en détails les enseignements de cet échange à haut risque. Il n’y a pas, dans ce cas, de doctrine, de thèse métaphysique ni d’affirmation théorique, mais une sorte de combat entre deux pouvoirs : le pouvoir politique et le pouvoir de la vérité.
Et c’est ce dernier qui gagne !