L’intérêt général du sujet traité et le sérieux de l’enquête menée par Denis Robert sur Clearstream sauvent le journaliste qui avait été précédemment condamné pour diffamation. La jurisprudence consacre ainsi l´investigation journalistique honnêtement conduite.
Denis Robert interviewé par Guillaume Gandelot. Cliquer sur l´image pour accéder à la vidéo. |
En concluant, le 3 février 2011, que « l’intérêt général du sujet traité et le sérieux constaté de l’enquête, conduite par un journaliste d’investigation [Denis Robert dans son livre Révélation$], autorisaient les propos et les imputations litigieux », les magistrats de la Cour de cassation ont écrit une page cruciale de l’histoire du droit à l’information et de la liberté d’expression.
Enfin, les avocats peuvent désormais s’appuyer sur cette jurisprudence favorable dans des dossiers opposant journalistes et puissances financières. Et nous, journalistes, pouvons espérer être soutenus dans nos enquêtes si celles-ci sont réalisées avec « sérieux » et si nous poursuivons un but d’intérêt général.
Dans le cas présent, la Cour statuait sur le pourvoi formé par Denis Robert contre l’arrêt rendu le 16 octobre 2008 par la cour d’appel de Paris. Celle-ci avait bien reconnu que le journaliste « avait poursuivi un but légitime en recherchant si la société Clearstream banking, chambre de compensation internationale, offrait les garanties de transparence nécessaire et ne favorisait pas des transferts financiers frauduleux ou des opérations de blanchiment, et qu’aucune animosité personnelle à l’égard de cette société n’était démontrée ».
« Comptes occultes »
Mais elle ajoutait que « l’enquête réalisée ne conforte pas les imputations litigieuses et que l’auteur s’est livré à des interprétations hasardeuses en assimilant les comptes non publiés à des comptes occultes servant à enregistrer des transactions frauduleuses et en présentant la société Clearstream comme abritant une structure de dissimulation, tirant ses bénéfices de sa complicité avec des entreprises criminelles et mafieuses ». Et elle avait condamné Denis Robert pour diffamation.
Ce faisant, assène la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris avait violé l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme (liberté d´expression) et l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 (diffamation). Sa décision est donc cassée.
Dans un appel international devant paraître dans 8 quotidiens européens, Denis Robert explique : « Mon enquête a montré que tous les clients de Clearstream n’étaient pas des banques comme l’annonçait la firme, mais qu’elle avait aussi accepté de contracter avec des sociétés offshore et des multinationales. Clearstream, outil sain et ingénieux à l’origine, avait été dévoyé et pouvait offrir d’importantes possibilités de dissimulation et de fraude pour ses clients. L’informatique laissant des traces, mes investigations ont également révélé que des affaires importantes d’évasion de capitaux, de blanchiment ou de faillite frauduleuse pouvaient trouver des résolutions dans les archives de Clearstream ».
Pour une commission d’enquête européenne
Le journaliste s’adresse ensuite à ses confrères et aux hommes politiques pour qu’ils « s’emparent de ces sujets, enquêtent, vérifient, acceptent de prendre le relais ».
A l’occasion du rapprochement récent entre DBC (Deutsche Börse Clearing) et NYSE (New York Stock Exchange) et la création d’une société devenant leader du back office financier, Denis Robert note que Clearstream est le « principal joyau de cette nouvelle entité ». En même temps, des députés américains ont mis en cause la firme basée à Luxembourg pour ses liens financiers avec des banques iraniennes (deux milliards d’euros sont placés sous séquestre par la justice américaine).
La décision de la Cour française de cassation et la suspicion des parlementaires américains justifieraient, aux yeux du journaliste français, « la constitution d’une commission d’enquête parlementaire européenne ».
>> L´enquête de Denis Robert, qui avait été retirée de la vente, va reparaître sous le titre “Tout sur Clearstream”. L´éditeur Laurent Beccaria (Les Arènes), qui a rédigé la préface de la nouvelle édition, y règle leur compte à de nombreux journalistes qui, au lieu de soutenir leur confrère, l´avaient dénigré et parfois violemment attaqué. Il en veut particulièrement à Edwy Plénel, alors directeur du Monde, dont l´hostilité avait été pour beaucoup, selon lui, dans la marginalisation de Denis Robert.
L´investigation journalistique, tout comme l´investigation scientifique, lorsqu´elle est basée sur un motif personnel de gain, ou de récompense, est basiquement corrompue. Un grand journaliste, ou un grand scientifique, doit être libre dans son investigation, et l´investigation n´a alors aucun motif; le désir de comprendre, l´apprentissage de la vérité, la vraie perception, qui est la vision de ce qui est faux, et le mouvement qui s´ensuit, est alors le seul moteur ou la seule énergie de l´investigation. Mais lorsque l´investigation a un objectif de résultats, lorsqu´elle suit un plan ou un schéma prédéterminé, lorsqu´elle devient argumentaire, opinatoire (opinionated), idéologique ou manichéenne, cesse alors d´être une investigation, et devient une manoeuvre du connu vers le connu, et alors, le journaliste, ou le scientifique, devient exploité, par la société, par les institutions pour qui il ou elle travaille, par les politiciens et groupements d´intérêts, que ceux-ci soient publics ou privés, citoyens ou non, et il ou elle devient à son tour exploiteur, car il n´est plus alors ni véritablement journaliste ni scientifique, mais le porte-parole ou le communiquant d´une certaine pensée basée sur des conclusions, ayant perdu tout élan et toute énergie d´investigation, qui est un mouvement toujours frais et toujours renouvelé, car une telle investigation seulement est le fruit d´un esprit réellement innocent, et donc libre. Seul un esprit libre est capable de découvertes, mais la liberté n´est ni un droit ni une récompense, ni un gain à atteindre ou à obtenir dans un futur plus ou moins imaginaire. La liberté doit être au début de toute investigation ou alors elle ne sera jamais. Maintenant, investiguer à propos de quelque chose est une chose, mais investiguer sur la totalité de la vie et la nature de la réalité elle-même est un tout autre challenge, et il appartient à chacun de mener, si ce chacun le souhaite, cette investigation, si l´on est réellement doté de sérieux et conscient des choses tant de ce monde que de l´autre, plus intime, qui est celui de notre vie quotidienne, et qui est bien plus signifiante et vitale que toutes les affaires financières, ou politiques, ou de scandales plus ou moins particuliers des gens de pouvoir ou des têtes d´affiche des médias et représentant la “soi-disante” respectabilité dans nos sociétés bien immorales et superficielles, vantant le double discours et utilisant la tolérance comme une arme de contrôle, quand tout est déjà plié d´avance, ou presque.
Denis Robert n´a pas la carte de presse. C´est pourtant lui qui fait avancer le droit à l´information…