Débats de bonne tenue chez les francs-maçons

Jean-Claude Sommaire, membre du Grand Orient de France, puis de la Grande Loge mixte de France depuis une vingtaine d´années, décrit de manière très concrète la vie d´une loge et indique comment des rituels pluri centenaires peuvent concourir à l´éthique des débats.


Jean-Claude Sommaire

A quelles occasions débat-on dans ta loge ? Qui en prend l´initiative ?

Jean-Claude Sommaire : On débat beaucoup ! Sur l’année, environ trois quart du temps est dévolu aux exposés et aux débats qui s´ensuivent. Il y a d´abord les sujets à l´étude des loges(1), proposés par l´obédience autour de trois grands thèmes : le social, la maçonnerie et la laïcité. Ils sont traités au cours de plusieurs tenues (assemblées) et donnent lieu à une synthèse. A côté de cela, il y a les  planches. Les planches sont des exposés sur des sujets choisis par les  frères. Enfin, dans ma loge, on a introduit des chantiers, qui courent sur toute l´année ou une partie seulement. On choisit des sujets dont on aimerait bien parler ensemble. Un exemple de chantier mené à mon initiative : immigration et identité nationale. Ma planche a été suivie de 5 ou 6 contributions qui sont venues exprimer des points de vue souvent très différents du mien…

Comment se déroule un débat ? Décris-nous le rituel de prise de parole.

JCS : Quand un frère présente une planche, il quitte sa place. Il est conduit par le maître de cérémonies, qui l´emmène à l´orient, là où siègent le vénérable maître, l´orateur et le secrétaire. L´orateur, qui est le gardien de la loi, lui cède sa place. Il prend le plateau d´orateur et  présente sa planche.  Personne ne peut l´interrompre, si ce n´est le vénérable maître, s´il est trop long. Il est interdit de donner le moindre signe soit d´acquiescement, soit de refus de ce qui est dit. Il faut écouter dans le silence. Ça se passe aussi à peu près comme ça lors des tenues blanches fermées, au cours desquelles une loge reçoit  un conférencier profane venant de l´extérieur. Et à la fin, il n´y a pas d´applaudissements. Il y a un court temps de silence, voire de musique – dans une tenue maçonnique, il y a ce qu´on appelle une colonne d´harmonie qui accompagne en  musique certains moments du rituel.

Après commence le débat. Les frères ou les sœurs – ma loge est mixte – peuvent poser des questions ou intervenir sur l´exposé qui vient d´être fait. Ces interventions doivent être brèves. Elles ne s´adressent pas directement à celui qui a fait la planche, mais au vénérable maître. Il y a une triangulation. Celui qui parle est debout et à l’ordre avec la main à plat sur la poitrine, juste sous le cou : « Vénérable maître, et vous tous mes frères en vos grades et qualités, je viens d´entendre avec beaucoup d´intérêt la planche de notre frère, néanmoins je ne partage pas son opinion …». Il va pouvoir manifester son désaccord, mais de manière nuancée, en évitant de heurter, en évitant aussi les propos manipulateurs ou réducteurs. Quand il a terminé, le vénérable maître s´adresse à l´orateur et lui demande s´il souhaite répondre.

C´est donc le vénérable maître qui anime les débats ?

JCS : Oui, avec l’aide des deux surveillants de colonne – dans la loge les maçons prennent place sur deux colonnes, celle du nord où sont obligatoirement les apprentis et celle du midi où sont obligatoirement les compagnons, les maîtres se plaçant comme ils veulent. Mais il n´a pas à faire la police. Tout le monde connaît la règle.

Comment la parole est-elle distribuée ?

JCS : Celui qui veut poser une question lève la main. Ensuite, son surveillant de colonne  donne un petit coup de marteau et annonce : « Vénérable maître, un frère de ma colonne demande la parole ». Celui-ci répond alors : « Frère deuxième surveillant, donne la parole au frère Tartempion ». Ce dernier se met à l´ordre et pose sa question. Bien sûr, tout ça prend un peu de temps. Si plusieurs mains se lèvent, le surveillant de colonne le signale au vénérable maître qui lui indique comment procéder pour leur donner la parole.

Un intervenant n´est jamais interrompu ?

JCS : Non, non, non. Mais s´il abuse de la situation, le vénérable maître peut le rappeler à l´ordre.

Ces rituels ne nuisent-ils pas à la spontanéité des débats ? Les vois-tu comme un avantage ou une entrave ?

JCS : On perd inévitablement en spontanéité, mais globalement, c´est bénéfique. Au départ, je n´étais pas très fana des rituels, mais finalement, j´y prends un certain plaisir. Ca aide, ça crée quelque chose entre nous. Se lever, se mettre à l’ordre devant tout le monde, oblige à ne pas prendre la parole pour rien, à mesurer ce qu´on dit. Sur des sujets délicats, c´est important, car en loge des points de vue différents, voire très différents peuvent s´exprimer. Dans ma loge, il y a une militante UMP, 2 militants socialistes et un du MoDem. Il y a des croyants et des non croyants. Nous avons un français de souche converti à l´islam, des juifs, une catholique très active dans sa paroisse. Des personnalités assez diverses … Mais rien n´empêche de poursuivre le débat, avec plus de liberté, pendant les agapes qui suivent la tenue !

Peut-on parler d´une éthique du débat ?

JCS : Oui et non. C´est en tous cas un débat organisé, formalisé, qui vise à ce que chacun puisse exprimer accords et désaccords en maîtrisant ses émotions, en respectant celui qui parle.

Finalement, quel est l´objectif des débats ?

JCS : L´objectif général de la maçonnerie, c´est l´amélioration de soi-même et de l´humanité. Comme on dit dans notre jargon : en construisant son temple intérieur, on cherche à construire le temple de l´humanité. Le décor est là pour le rappeler : la voûte étoilée au plafond, l´orientation orient occident, avec une colonne du midi et une colonne du Nord, les symboles de la lune et du soleil. Le sol est pavé de carreaux noir et blanc, qui rappellent à tout moment aux maçons qu´un sujet n´est jamais totalement noir ou totalement blanc. Les bougies allumées sur des plateaux symbolisent les lumières qui éclairent la loge. Les débats ne se font pas dans un lieu neutre. Il y a le décor et le rituel.

Personnellement, je m´intéresse aux questions d’immigration et d´intégration. Les débats que j’ai pu mener dans ma loge, et dans d´autres, sur ce sujet très sensible m´ont enrichi car ils ont contribué à conforter mon analyse sur certains points, à la faire évoluer sur d’autres, à mieux comprendre certains problèmes. Dans une loge, des points de vue forts différents peuvent s’exprimer. Je me souviens d´un débat sur l’insécurité dans une loge qui rassemblait des policiers, des magistrats, des éducateurs, des journalistes, tous maçons. C´était un peu chaud ! Il fallait que le vénérable tienne le choc !

Qu´est ce qui pour toi est essentiel chez les francs-maçons ?

JCS : J’ai trouvé en franc maçonnerie une diversité de personnalités qu´il est difficile de trouver ailleurs, une grande tolérance et un esprit de fraternité. C’est une expérience humaine assez unique et très enrichissante au plan personnel.

(Propos recueillis par Henri-Jack Henrion et Eric Lombard le 29 octobre 2008)

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(1) « Loge » et autres mots en italiques : voir lexique.

 

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1 commentaire pour cet article

  1. bonsoir
    je suis de douai dans le nord et j ai une entreprise d electricite , je rencontre
    beaucoup de personne et j ai toujours eu des envie d aider les autres et une envie
    d entre chez les fm mais comment faire ?
    faut il attendre , ou ecrire a la gl a paris ?
    MERCI DE ME GUIDEZ DANS MA DEMARCHE
    JL W