Sslick, sslock… nous suivons donc la course de Pierre Cherruau sur la latérite, cette terre rouge si caractéristique de l’Afrique de l’Ouest. Une course qui le mène aussi sur le sable des plages sénégalaises, où il croise des lutteurs, véritables vedettes nationales, à l’entraînement. Une course d’endurance qui l’oblige à s’engager, vaille que vaille, sur le goudron des routes meurtrières où les chauffards sont rois et légion. On le suit donc, traversant cette Afrique où il « rêve davantage » et dont il écrit qu’elle l’a « toujours inspiré, apaisé, consolé », qu’elle lui a « toujours porté chance » et que c’est pour cela qu’il compte sur elle pour lui indiquer « une voie nouvelle ».
Une « autre » Afrique
Chaque étape du périple, chaque halte, est une occasion de prendre la mesure des réalités africaines. Voici notre coureur à la pointe des Almadies à Dakar, cette ville transformée « en vaste chantier perpétuel ». Le lecteur court à ses côtés le long de la corniche, cette « route des riches » avec ses maisons à plusieurs millions d’euros et cette question qui, d’emblée s’impose : d’où vient l’argent ? Détournement de fonds publics ou de l’aide internationale au nom d’un « coefficient d’évaporation » d’au moins 15% ? Ou bien encore, est-ce le blanchiment des revenus sans cesse croissants d’un trafic de cocaïne à destination de l’Europe mais qui gangrène désormais toute l’Afrique de l’Ouest ?
Maintenant l’auteur traverse le Plateau, passe à côté du cimetière Bel Air où est enterré Léopold Sédar Senghor, se désole de l’état calamiteux de la baie de Hann, véritable « désastre écologique ». Le voici déjà à Thiaroye d’où partent les pateras à destination de l’Europe. Ici, comme à Saint-Louis qu’il ralliera plus tard, les « S’en fout-la-mort » défient l’océan et n’ont pour mot d’ordre que « Barça ou Barsakh », c’est-à-dire Barcelone ou la mort… Viennent ensuite Diacksao, banlieue abandonnée où l’on s’organise comme on peut. Rufisque, ville où, affirment les Dakarois, « les forces mystiques sont très puissantes » surtout à la tombée de la nuit. L’auteur s’en moque, il aime à avancer entre chien et loup et n’a pas peur des fantômes. Il affirme même vivre avec eux.
Une escorte de disparus
Car, dans sa course, Pierre Cherruau n’est pas seul. Il y a d’abord certains auteurs qui l’accompagnent. Bipago Dipo, Amadou Hampâté Bâ, Abasse Ndione, Wolé Soyinka mais aussi Henning Mankell, Lucio Mad et Simenon. Mais, il y a surtout le souvenir prégnant de son père, journaliste lui aussi et disparu de cette maladie, le cancer, que les médias et les gens disent longue pour ne pas la nommer. « Juste avant de mourir, mon père a écrit sur un papier gris, d’une écriture tremblante, que sa plus grande fierté c’était de m’avoir transmis la passion de la course à pied » écrit l’auteur. Voici donc l’une des clés de ce voyage particulier, de cette entreprise quelque peu déraisonnable. Tout au long de ses foulées, en Afrique comme sur les bords de Loire, il est souvent confronté à l’idée de la mort. Celle de ses proches disparus, celle des moutons jetés sur le bas-côté ou celle des victimes des bus lancés à toute allure.
C’est à un anti-rallye Paris-Dakar que nous convie Pierre Cherruau. Le périple d’un « toubab », un blanc, qui, au soir de ses haltes, dort chez l’habitant et évite soigneusement ces grands hôtels luxueux que tant de pseudo grands-reporters affectionnent. Pour les Sénégalais qui le voient avancer sous un soleil de plomb, la peau dévorée par les allergies dues à la pollution, ce coureur n’est rien d’autre qu’un « blanc gâché », c’est-à-dire désargenté, qui ne possède pas de 4×4 et qui se contente d’une simple bouteille d’eau minérale quand il s’approvisionne dans une essencerie, terme que Senghor a fait entrer dans le dictionnaire pour désigner une station-service.
De l’hospitalité obligatoire à la xénophobie
On peut courir pour fuir. Mais on peut aussi courir pour aller au-devant des autres. Pour mieux les comprendre. C’est ce qu’a fait l’auteur qui nous restitue une « autre » Afrique. Que savons-nous de la vie quotidienne des millions d’Africains ? Que savons-nous d’autre que ce que les médias, toujours alarmistes et misérabilistes, nous servent à longueur de colonnes ou d’images ? Que savons-nous au-delà du cliché ? Dans son livre, Pierre Cherruau nous parle de la tolérance au Sénégal, pays à majorité musulmane où tout le monde ou presque fête Noël. Il nous parle de la Téranga, cette hospitalité généreuse, obligatoire, qui fait que l’on accueille sans hésiter l’étranger de passage, lui offrant de partager un thiéboudiène au thiof, un plat national fait de riz et de mérou. Cette Téranga qui fait que même dans un foyer africain à Etampes, dans la banlieue parisienne, on lui cèdera un endroit où dormir quitte à s’en aller ailleurs ou à faire une nuit blanche.
Mais, après la Mauritanie, le Maroc et l’Espagne, il y a la France. L’auteur continue de courir dans un pays qui l’inquiète. C’est le pays de Claude Guéant à qui il a écrit une lettre pour lui reprocher ses dérapages xénophobes. Un courrier qui a fait grand bruit et que des milliers d’internautes ont visionné et partagé. Pierre Cherruau court pour clamer les principes de fraternité et d’humanité. Père de deux enfants métis, il craint pour sa France, rongée par les discours de haine et de suspicion. Son périple africain porte le lecteur, lui ouvre des portes et engendre des rêves de voyage. La partie européenne, de Barcelone à Paris en passant par le Médoc et ses populations pauvres, est quant à elle une mise en garde. Un dur rappel à la réalité hexagonale.
Pierre Cherruau, De Dakar à Paris, un voyage à petites foulées, Calmann-Lévy, 325 pages, 18,50 €
> Article paru dans Le Quotidien d’Oran (27 juin 2013). Les intertitres sont de la rédaction d’Ouvertures. On peut retrouver d’autres Chroniques du blédard dans le blog d’Akram Belkaïd.
Magnifique projet rondement mené. Chapeau Monsieur Cherruau.