– Ouvertures.- Vous avez annoncé, lors d’une table ronde au Sénat le 16 mai dernier, votre intention de créer, pour la fin de l’année au plus tard, un Conseil de presse d’initiative citoyenne si aucune initiative n’est prise par ailleurs avant fin juin. Pourquoi cette décision ?
– Philippe Guihéneuf.- Depuis une trentaine d’années, plusieurs personnes militent pour la création en France d’une instance de régulation de la presse, qui serait une réponse au manque cruel de mise en responsabilité des médias quand ils font des erreurs, ce qui arrive régulièrement. Quand ces dérapages ont lieu, dans presque tous les cas, ils ne présentent pas d’excuses ni même ne publient de rectification. Ce n’est pas tolérable de la part de journalistes qui sont là pour présenter aux citoyens le monde tel qu’il est – et non tel qu’ils voudraient qu’il soit, ou tel qu’ils le présentent par erreur, consciemment ou non.
Ces penseurs militants, tels Yves Agnès, Jean-Luc Martin-Lagardette ou Roland Cayrol, rejoints récemment par le Syndicat national des journalistes (SNJ) notamment, proposent la mise en place d’un conseil de presse, comme il en existe dans de nombreux pays, où ça marche plutôt bien.
Aujourd’hui, nous ne pouvons plus attendre : les débats continuent dans le vide et les médias s’enfoncent dans la crise. Libération, Le Monde et France Télévisions sont en train d’imploser et rien ne se passe !
D’innombrables nouveaux médias émergent. Il faut remettre clairement la déontologie de l’information au premier rang des préoccupations des médias de presse. Il faut redéfinir ce qu’est une info. Et les règles du jeu : nous voulons ainsi que soit adoptée une charte universelle de l’information, adossée à la convention collective pour qu’elle ait force de loi.
Une déontologie inattaquable serait un bon moyen de protéger les journalistes des critiques souvent fondées dont ils sont l’objet.
De leur côté, les éditeurs font tout pour que les choses n’avancent pas, car une véritable déontologie ferait primer l’information sur leurs intérêts. Ils perdraient en partie la maîtrise des contenus.
– En quoi les Indignés du Paf sont-ils légitimes pour créer cette instance ?
– Nous regardons les faits concrètement et précisément et les comparons avec l’info publiée. Nous ne cherchons pas la polémique, ni ne faisons de politique. Nous voulons constater, comprendre et proposer.
Notre collectif est né à la suite d’une dérive caractérisée de TF1 à laquelle aucune réponse déontologique n’a été apportée. Cela avait provoqué notre indignation. Par la suite, nous avons élargi notre action de veille et d’interpellation à d’autres médias : France 2, Libération, Ouest-France, le Nouvel Obs, etc. Nous avons parfois obtenu la rectification d’informations erronées.
Nous avons également organisé des débats autour de la qualité de l’info, lancé des pétitions, etc.
Nous sommes aujourd’hui une centaine de militants actifs, sommes suivis par plus de 10 000 twittos et notre page Facebook est visitée par plus de 10 000 internautes chaque semaine.
Notre légitimité vient essentiellement de la réponse que nous voulons apporter à une situation qui ne peut pas durer. De plus en plus de gens, y compris parmi les journalistes, notamment chez les plus jeunes, ne comprennent pas que les médias n’informent pas correctement sur le monde. Beaucoup aussi sont énervés d’être traités comme des ignorants, alors qu’ils sont de plus en plus informés par d’autres canaux, sur le web, notamment.
– Qu’est-ce qui vous distingue de l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP), qui a les mêmes objectifs que vous ?
– Le mode d’action. Nous avons quitté cette association, ainsi que l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI), cette année. Nous ne pouvons plus nous contenter des débats et des discussions qui durent depuis plus de trente ans sans que rien ne soit fait pour stopper ou réduire les dérives de la presse.
– Qu’est-ce que « l’information d’intérêt général » que vous voulez promouvoir ?
– Selon nous, l’information de presse est un bien d’utilité collective et d’intérêt général. Elle est faite pour aider chacun à comprendre le monde dans lequel il vit pour qu’il puisse prendre sa décision, notamment au moment du vote, en toute connaissance de cause. Elle n’est pas là pour servir des intérêts particuliers. Nous n’attendons pas du journaliste qu’il nous donne son avis mais qu’il éclaire la réalité pour que nous puissions élaborer le nôtre. Plus que son analyse, nous attendons qu’il donne la parole aux différentes visions en présence, et notamment les plus contradictoires. C’est ce qui s’appelle « l’honnêteté de l’information », un principe inscrit en toutes lettres dans la convention qui lie le CSA et les chaines de télévision…
> Un exemple de conseil de presse, celui du Québec.
Si on attend le feu vert des éditeurs, on peut attendre longtemps. En Suisse où existe un Conseil de la presse depuis 1972, ce sont les journalistes qui ont créé cette instance pour prendre les devants et s’autoréguler. Les lecteurs – ils correspondent aux Indignés du PAF – en font partie, les éditeurs aussi mais depuis 2008 seulement. La dynamique reste dans le camp des journalistes. S’il reste perfectible, le système fonctionne et c’est cela l’important.
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