Depuis le début des années 90, le multipartisme intégral a progressivement remplacé, dans les pays d’Afrique sub-saharienne, le régime du parti unique en cours durant les précédentes décennies. A côté des nouvelles formations politiques créées dans la foulée, des organisations, principalement de la société civile, ont fait leur apparition et accompagnent de leur aiguillon cette nouvelle donne politique.
Manifestation contre les pénuries au Sénégal. Source: seneweb.com |
La démocratisation en cours dans une bonne partie des pays d’Afrique sub-saharienne depuis une vingtaine d’années a permis l’éclosion d’une société civile aux multiples composantes. Bien que ces actions fussent balbutiantes durant les décennies 70 et 80, la société civile a pris pleinement la mesure dès 90 de sa nouvelle marge de manœuvre. Dès lors, elle a été animée, entre autres, par les syndicats (actifs bien avant 90), les ligues de défense des droits de l’homme et les organisations non gouvernementales (Ong) de développement.
La société civile africaine s’efforce d’impulser un changement dans la gestion politique et économique de ces Etats. Elle est souvent à la tête des revendications populaires, s’assure de la bonne marche des élections et s’investit dans la résolution des conflits dans les pays en guerre. En plus de son rôle d’intermédiation entre les gouvernants et le citoyen, elle a fait notamment de la dénonciation de la mauvaise gouvernance et des cas de violation des droits de l’homme, deux de ces principaux chevaux de bataille. Les organisations qui animent la société civile ont rué à maintes reprises dans les brancards lorsqu’elles estimaient que les manœuvres du pouvoir en place étaient de nature à remettre en cause les avancées démocratiques, aussi timides qu’elles soient.
Sénégal : mobilisation contre le ticket présidentiel
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Le 22 juin 2011 au Sénégal, la société civile a lancé une campagne intitulée « Touche pas à ma constitution », dont le but était de contester une nouvelle réforme constitutionnelle envisagée par le gouvernement sénégalais. En effet, celui-ci avait adopté le 16 juin, en conseil des ministres, un projet de loi visant à instituer notamment l’élection au suffrage universel direct d’un ticket présidentiel, composé d’un président et d’un vice-président. Alors que la prochaine élection présidentielle est prévue pour février 2012 dans le pays, cette loi instaurait également le “quart bloquant”. En d’autres termes, un ticket présidentiel en lice remporte le scrutin s’il obtient 25% des suffrages exprimés dès le 1er tour.
Cette disposition de la loi a été particulièrement contestée par la société civile. C’est grâce à son activisme qu’Abdoulaye Wade, le président sortant, a été contraint de demander le retrait de l’intégralité de ce projet qui était déjà en discussion à l’Assemblée nationale. Ces organisations, dont la Rencontre africaine pour les droits de l’homme (Raddho) est l’une des figures de proue, ont reçu pour la circonstance le soutien des principales formations politiques de l’opposition qui estimait que ce projet de loi était un « déni de la souveraineté populaire ».
L’affaire Norbert Zongo
Le 13 décembre 1998 à une centaine de km de Ouagadougou (Burkina-Faso), les corps de Norbert Zongo et de trois autres personnes ont été retrouvés dans une voiture carbonisée. Directeur de publication de l’hebdomadaire l’Indépendant, Norbert Zongo enquêtait sur le décès de David Ouedraogo, un employé de François Compaoré, un frère du président burkinabè. Suite à des tortures, Ouedraogo meurt le 18 janvier 98 à l’infirmerie de la Présidence. Il était soupçonné de vol au même titre que trois autres employés de François Compaoré, arrêtés en même temps que lui. Dès lors, Norbert Zongo s’interroge et critique le fait que cette affaire de vol ait été confiée à des membres de la garde présidentielle. C’est parce que Norbert Zongo a été menacé à plusieurs reprises que la société civile s’est massivement mobilisée pour que la vérité se manifeste après sa mort. Elle obtint du gouvernement la mise en place d’une commission d’enquête. Des investigations de celle-ci, il résulte que Norbert Zongo et ses trois compagnons ont été victimes d’un « attentat criminel », lié principalement aux activités journalistiques de l’ex-directeur de publication.
Mutineries dans l’armée et climat social tendu
Depuis février 2011, les mutineries au sein de l’armée et de la police burkinabèes et les manifestations en série des autres couches socioprofessionnelles ont alourdi un climat social qui fragilise Blaise Compaoré au pouvoir depuis octobre 87. Même si la situation est redevenue calme, les observateurs estiment que d’autres turbulences ne sont pas à exclure. Les organisations de la société civile burkinabèe ont une fois encore saisi la balle au bond. Dans une déclaration publiée le 10 juin relative aux réformes politiques envisagées par le pouvoir pour répondre à la forte poussée de fièvre sociale, elles ont dénoncé entre autres, « une gouvernance sous-tendue par une culture politique monopolistique et d’exclusion, qui au fil du temps a engendré, frustration, exaspération et lassitude ». Elles ont également souligné la « perte de crédibilité des relais habituels de la contestation sociale, la paupérisation croissante des populations, la perte des valeurs fondatrices de la société, le déficit de crédibilité du système judiciaire, etc. En somme, le constat est celui d’une démocratie à basse intensité citoyenne ».
Les “biens mal acquis” : une collaboration internationale d’Ong
Lors de l´émission du 10 novembre 2010 sur France 24. |
“Biens mal acquis” : c’est le nom donné à cette affaire pendante actuellement devant la justice française et dans laquelle les présidents Denis Sassou Nguesso (Congo), Omar Bongo (Gabon) et Teodoro Obiang Nguema (Guinée équatoriale) ainsi que leurs proches sont soupçonnés d’avoir acquis des biens en France avec des fonds publics. Cette affaire met diplomatiquement la France dans une position délicate. En effet, ces trois pays font partie de ses plus importants partenaires économiques en Afrique centrale et sont de gros producteurs de pétrole sur le continent africain. Malgré cela, les principaux mis en cause ne s’embarrassent pas de détails et continuent d’acquérir des objets et voitures de luxe à des sommes dispendieuses. Entre autres révélations, selon le journal Le Monde, les policiers auraient établi qu’Ali Bongo, qui a succédé à son père Omar Bongo (décédé en juin 2009), a acquis en 2009 une voiture Bentley coûtant 200 000 €.
Ce duel judiciaire à l’issue incertaine a été lancé dans la foulée de la publication en 2007 par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (Ccfd) d’un rapport intitulé « Biens mal acquis… profitent trop souvent ». L’Ong Sherpa, par le biais d’une étude, décide alors d’explorer les voies judiciaires pouvant permettre de saisir ces biens qui seraient localisés sur le sol français. C’est suite à cela que Sherpa, de concert avec Transparency international France (TIF) et la Commission arabe des droits humains et soutenus par plusieurs Ong africaines, dépose en mars 2007 une plainte contre ces trois Chefs d’Etats pour « recel de détournements de fonds publics ».
Bien que cette plainte ait été classée « sans suite » par le parquet de Paris, TIF en dépose une nouvelle dès 2008 avec constitution de partie civile en évoquant le même motif que pour la plainte précédente. Fin 2009, la Cour de cassation, la plus haute juridiction pénale en France, la juge recevable. Grâce à la désignation en 2010 des juges d’instruction parisiens, les biens appartenant en France à ces trois chefs d’Etats sont inventoriés. Mais les deux magistrats doivent compter avec un parquet placé hiérarchiquement sous la coupe directe du ministère de la justice, donc du pouvoir politique français, qui ne voit pas forcément d’un bon œil cette enquête.
Représentée dans les commissions électorales
Au temps fort du régime du parti unique, l’organisation des élections dans les pays d’Afrique sub-saharienne était confiée au ministère de l’intérieur. Avec l’amorce du processus démocratique dans ces Etats, cette tâche est dorénavant à la charge d’une commission électorale. A titre d’exemple, au Bénin elle est dénommée Commission électorale nationale autonome (Cena), au Niger Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et Commission électorale indépendante (Cei) en Côte d’Ivoire. Ces commissions électorales sont le plus souvent composées par des représentants des différentes formations politiques, du gouvernement et de la société civile. Grâce à l’ouverture politique, celle-ci a dorénavant droit au chapitre dans l’organisation des élections.
Au-delà de cette représentation au sein de ces commissions électorales, la société civile a été en pointe dans l’organisation des conférences nationales dans bon nombre de ces pays. Au Bénin par exemple, c’est Mgr Isidore de Souza, en ce temps archevêque de Cotonou (Bénin), qui a présidé les travaux de la conférence
nationale des forces vives de la nation (février 90). C’est cette conférence qui a permis le renouveau démocratique en cours dans ce pays.
Ernest Kombo au
ongo-Brazzaville, Laurent Monsengwo en République démocratique du Congo (Rdc), deux autres hommes d’Eglise, joueront dans leurs pays respectifs le même rôle qu’Isidore de Souza au Bénin. Même si, dans ces deux derniers Etats, l’organisation d’une conférence nationale n’aura pas véritablement catalysé le processus, il n’en demeure pas moins qu’elle a permis à la société civile de donner son avis sur les réformes politiques et économiques.
Malgré une forte croissance des organisations membres de la société civile africaine, celle-ci est jeune, manque d’expérience et peine à trouver les ressources pour assurer pleinement ses responsabilités. Ces composantes peuvent néanmoins bénéficier d’un renforcement de leurs capacités grâce à des partenaires extérieurs, mais pourraient avoir trop tendance à en attendre aussi cette manne financière qui est nécessaire pour leurs activités.