Ceux qui parlent de croissance à retrouver sans vouloir changer les comportements d’avidité ni réduire l’opacité des fonctionnements économiques et financiers, trompent leur monde et l’entraînent toutes voiles dehors vers l’abîme. Dans le rapport qu’ils viennent de publier, les prospectivistes du Comté 21 analysent les raisons de la crise et en appellent à un « nouvel humanisme ».
Bettina Laville. |
« Ce n’est pas simplement le capitalisme qu’il faut refonder, mais le fonctionnement entier de nos sociétés et de nos comportements. Nous n’en sommes plus à l’aménagement d’un développement viable mais à la construction de notre survie, en rupture avec les comportements de tous les acteurs, économiques privés, publics, société civile, etc. Ce travail doit s´appuyer sur la sociologie et les sciences politiques, voire les propositions philosophiques puisque c’est à un nouvel humanisme qu’il est fait appel. »
Telle est la teneur du discours tenu par Bettina Laville, présidente du Comité de prospective du Comité 21 lors de sa présentation du premier rapport publié par cette instance : Temps de crise financière, économique, écologique, sociale : enjeux, contradictions et opportunités.
Composé d’experts, d’économistes et de philosophes, le comité rappelle que la crise financière n´est pas la première dérive du système capitaliste ou de l´histoire de l´humanité. La liste des crises économiques est longue : 1847, 1919, 1929,1978, 1988, 1993, 2001.
À celle d’aujourd’hui s’ajoutent des crises financière, écologique, sociale et morale : « Ces crises sont la conséquence d´un système qui n´évalue pas les risques que son fonctionnement génère, qui ne tient pas compte du fait qu´il peut aboutir à une destruction supérieure au bénéfice immédiat qu´il procure. De ce point de vue, les crises ont la même origine et appellent des réponses communes : moins de “court-termisme”, plus d´horizon durable, moins de produits virtuels, plus d´investissements pour satisfaire nos vrais besoins ».
Le fanatisme du marché
Face aux nuisances du « fanatisme du marché », on ne peut plus se contenter de stimuler l’économie, quitte à lui imposer quelques régulations supplémentaires, à amender notre mode de développement. Il s’agit maintenant de faire un « nouveau choix global d´organisation humaine, sociale : l’économie de l´après-crise devrait être différente de celle de la période antérieure à la crise ».
Concrètement, cela signifie la promotion des vertus élémentaires (qui présidèrent d’ailleurs à l’expansion du capitalisme protestant) que sont « la loyauté, l´honnêteté, la bienveillance ou la générosité ». La dimension éthique devient une condition sine qua non du bon fonctionnement de l’économie.
En outre, celle-ci doit cesser de considérer la planète comme un vivier à piller. Même plus, elle doit se penser comme « une filiale à 100 % de l’écosystème » – et non l’inverse.
La solution ne réside pas dans l’établissement de nouvelles règles : « Le secteur de la finance est parmi les plus réglementés. La crise fait ainsi réapparaître les limites d´une approche rule-based consistant à préserver les équilibres économiques, sociaux et environnementaux par une multiplication des règles. Pourtant, face à la crise, le premier réflexe des autorités est d´ajouter précipitamment une nouvelle couche au mille-feuille de la réglementation. Les crises nous rappellent que cette conception est évidement caduque ».
Ce qu’il faut, c’est accroître l’autorité du régulateur qui, « quand il existe, n´a souvent pas plus de pouvoirs qu´un gardien de square… À ce titre, la commission créée par le Medef et l´Afep (Association française des entreprises privées) à la demande du premier ministre pour veiller à la modération des salaires de patrons de sociétés en difficulté, dénuée de pouvoir d´auto-saisine ou de sanction, semble vouée à avoir peu de portée ».
Renforcer l’indépendance et la légitimité du régulateur
Il est également nécessaire de mieux garantir l’indépendance du régulateur tout en lui accordant une plus grande légitimité démocratique : « Pour le moment, autant la création d´autorités de régulation indépendante est, en règle générale, fondée sur un débat démocratique, autant leur fonctionnement et leur processus d´édiction de normes voient souvent s´éroder cette part dialogique sans laquelle les principes de transparence, d´évaluation et de participation, inhérents au développement durable, ne nous semblent pas garantis ».
La grande majorité des études sur les raisons de la crise analysées par le Comité de prospective pointent l’excès et la cupidité. On ne peut atténuer les effets, notamment écologiques, de cette démesure par le seul recours aux technologies propres. Mais on ne peut non plus se contenter d’aspirations éthiques sans les lier à une « proposition économique assortie d´un appareil théorique et instrumental à l´échelle internationale. Il est urgent de refonder une doctrine économique qui associe la richesse sur les valeurs de production des réseaux tant immatériels que solidaires ».
C’est à cette tâche que compte s’atteler le Comité de prospective qui se propose de créer un réseau nommé Observatoire des crises pour mesurer, au fil des crises, l´évolution de leurs manifestations et la manière dont elles sont traitées ensemble ou toujours séparément. Cela concerne évidemment l´impact des plans de relance dans leur aspect “vert”, la place de la régulation environnementale dans les discussions des multiples réunions internationales, l´adoption effective d´indicateurs, etc.