La Haute Autorité de Santé a rendu public vendredi 3 février 2012 son rapport sur le dépistage organisé du cancer du sein. Deux médecins généralistes appartenant au groupe de travail ont refusé de signer la recommandation. Selon eux, il aurait d´abord fallu réévaluer le bénéfice du dépistage mis en cause par plusieurs études.
Lors de la conférence de presse organisée par la Haute Autorité de la santé. Photo : Pryska Ducoeurjoly. |
« L´objet de la présente conférence de presse n´est pas de discuter de la polémique sur le bien-fondé du dépistage du cancer du sein », a entamé le professeur Jean-Luc Harrousseau, président du Collège de la Haute Autorité de Santé. « Il n´y a pas de signal qui permette de remettre en cause le dépistage de la femme de 50 à 74 ans ». Exit donc la polémique qui enfle depuis le milieu des années 2000 sur ce sujet (voir notre article), « cette question devrait faire l´objet d´une revue approfondie de la littérature et n´est pas l´objet de la présente saisine », explique le document. La HAS a donc simplement présenté vendredi 3 février 2012 une recommandation visant à améliorer la prise en charge des femmes dans le cadre d´un dépistage organisé, et non individuel. Son intitulé : « La participation au dépistage du cancer du sein des femmes de 50 à 74 ans en France, situation actuelle et perspectives d´évolution ». Objectif : 80% de participation, contre 52 % actuellement.
« En 2011, les conclusions de la controverse autour de l´intérêt du dépistage du cancer du sein par mammographie ne sont toujours pas tranchées. L´existence d´un certain nombre de surdiagnostics et d´effets anxiogènes associés au dépistage, en cas de résultats faussement positifs, est unanimement reconnue. Elle est inhérente à toute procédure de dépistage mais doit rester limitée », reconnaît la Haute Autorité de Santé. Cependant, cette reconnaissance du phénomène de surdiagnostic n´a pas suffi à emporter l´adhésion des deux médecins généralistes participant au groupe de travail. Leur désaccord avec le document a été mentionné.
Deux médecins en désaccord
Dr Julien Gelly, médecin généraliste : « Avant d´entreprendre des recommandations visant à promouvoir le dépistage organisé du cancer du sein par mammographies, il aurait été plus pertinent de ré-évaluer sa balance bénéfices/risques au regard des données actuelles de la science. En outre, il est indispensable de développer des projets de recherche, et de produire des recommandations reposant sur des preuves solides, couvrant l´ensemble des mesures préventives réalisables en soins primaires. »
Dr Philippe Nicot, médecin généraliste : « Il n’y a plus de données scientifiques solides permettant de recommander le dépistage du cancer du sein de manière individuelle ou organisée. En effet le bénéfice en terme de mortalité est constamment revu à la baisse, et tant le surdiagnostic que le surtraitement ont des conséquences néfastes de mieux en mieux connues et importantes »
Les thèmes des recommandations en santé publique étant choisis par le Collège de la HAS, il semble donc que la controverse ait été intentionnellement éludée. Interrogé par Ouvertures, le président Harrousseau a confirmé que la réévaluation de l´intérêt du dépistage n´était pas programmée pour l´instant.
« Dès la réception des documents, j´ai fait part de mon étonnement devant l´absence des données de la controverse, explique à Ouvertures le docteur Philippe Nicot. Après les avoir demandées, elles nous ont été communiquées « hors saisine ». Sur la question de l´intérêt du dépistage, plusieurs études publiées en 2009 et 2010 ont confirmé que le bénéfice était quasiment nul sur la réduction de la mortalité par cancer du sein. Parallèlement, le dépistage n´est pas sans conséquence pour les femmes qui se voient parfois diagnostiquer à tort un cancer. Cela entraîne une altération de l´état physique et psychologique, mais aussi des problèmes d´ordre socio-économique comme des difficultés pour emprunter ».
Mastectomies totales : + 4 % entre 2006 et 2009
Interrogé dans le Bulletin de l´Ordre des médecins (janvier-février 2012) à propos de l´impact du dépistage sur la mortalité, Philippe Autier, vice-président de l’Institut international de recherche et de prévention de Lyon (iPri), assure : « Son impact est nul ou marginal. L’étude européenne publiée par mon équipe dans le British Medical Journal en août 2011 montre qu’il n’y a pas de différence de mortalité entre les pays qui pratiquent le dépistage organisé, comme la Suède, les Pays-Bas ou l’Irlande du Nord, et ceux où la participation au dépistage est faible, comme la Belgique, la Norvège ou la République d’Irlande. Même si le taux de participation en France atteignait les 80 %, cela ne changerait rien : c’est l’efficacité des traitements et de l’organisation des soins qui permet de maîtriser la mortalité, pas le dépistage ».
Interrogée par le même média, Agnès Buzin, présidente de l´Institut national du cancer, n´avance pas les mêmes chiffres : « Les études internationales montrent une baisse de 20 à 30 % de la mortalité par cancer du sein dans les pays qui pratiquent le dépistage organisé depuis au moins quinze ans. La France ne l’ayant instauré qu’en 2004, le recul est insuffisant pour tirer des conclusions ».
Philippe Autier, qui a dirigé plusieurs études internationales sur le sujet, réplique : « Nous avons étudié l’incidence des formes avancées de cancer du sein dans les registres de 15 pays, et celle-ci ne diminue pas dans ceux pratiquant le dépistage. C’est le cas aux Pays-Bas qui fait beaucoup de dépistage depuis 1989. De façon surprenante, les cancers avancés et très avancés ne reculent pas ! Les cancers in situ peuvent être volumineux sans qu’on ait une idée de leur évolution, et des mastectomies totales sont pratiquées. Les femmes sont ainsi pénalisées d’être allées au dépistage ! Les mammographies digitales augmentent encore ce risque de surdiagnostic, donc de surtraitement ».
En France, le nombre de mastectomies totales a augmenté de 4 % entre 2006 et 2009. Pour les opposants au dépistage par mammographie, cette hausse des interventions opératoires fait partie du phénomène du surdiagnostic. Trop de femmes passent sur le billard pour rien : 10 femmes sur 2000, contre une femme sur 2000 qui en tire un réel bénéfice (brochure d´information de la collaboration Cochrane).
Un scandale éthique ?
Agnès Buzin oppose que les mastectomies totales ont été réduites (- 1 %) pour la tranche d´âge concernée par le dépistage organisé qui permet des inventions plus précoces et moins mutilantes (Panorama du médecin, décembre 2011). Cette augmentation serait davantage liée au dépistage individuel et à des tumeurs plus agressives chez la femme jeune. Elle avance dans le Bulletin de l´ordre des médecins : « Il n’existe à ce jour aucun marqueur pronostic pour identifier ces cancers non évolutifs. Il serait ainsi beaucoup trop risqué et contraire à l’éthique de ne pas intervenir ! »
Elle est sur ce point en total désaccord avec d´autres spécialistes du cancer du sein, qui prônent l´observation de l´évolution des tumeurs, plus que l´intervention précoce. « Certaines des toutes premières modifications cellulaires (que, dans le langage médical, on appelle carcinome in situ) sont souvent retrouvées en plusieurs endroits du sein. Le sein entier est alors enlevé une fois sur quatre dans ces situations, alors que seule une minorité de ces modifications cellulaires s’est transformée en cancer », écrit un chercheur de renommée mondiale, Peter Gøtzsche, le directeur de l’institut Cochrane nordique, dans la brochure rédigée à l´attention des femmes avant qu´elles ne se fassent dépister.
Ce chercheur vient de publier un ouvrage de 400 pages chez Radcliffe (« Mammography Screening », Dépistage par mammographie : vérité, mensonges et controverse). « La raison de ce livre, et de tant de recherches consacrées au dépistage du cancer du sein par mammographie, c´est la violation des droits des femmes. En matière de santé, c´est sans doute le plus grand scandale éthique qui soit », a-t-il déclaré dernièrement au journal The Guardian.
« La vraie question que devrait poser la HAS, c´est comment peut-on faire pour informer équitablement les femmes de ces données controversées, plutôt que chercher à minimiser la polémique, lance Philippe Nicot. Mais remettre en cause le dépistage organisé est difficile pour la HAS, qui a mis en place un dispositif très lourd et très médiatisé, et a entraîné les radiologues à faire des investissements importants ».
> Participer au dépistage du cancer du sein relève d´une décision personnelle que les femmes doivent pouvoir prendre en connaissance de cause. Le paradigme médical actuel laisse croire qu´une tumeur cancéreuse décelée par une biopsie, sans symptôme clinique, évoluera nécessairement vers un cancer évolutif et invasif. Ce fait n´est pas prouvé. Il est donc légitime que certaines femmes choisissent de ne pas céder à la peur du cancer et préfèrent ne pas se faire dépister. Pour celles qui optent pour le dépistage, elle peuvent aussi décider d´éviter une intervention chirurgicale précoce, “préventive”. Elles pourront conserver leur intégrité physique et s´épargner des interventions médicales qui ne sont pas non plus sans risque, tout en optant pour une surveillance régulière de leur tumeur (palpation chez un gynécologue, mammographie).
> Un livre sur le sujet : « No mammo ? Enquête sur le dépistage du cancer du sein », Rachel Campergue, Ed. Max Milo. Octobre 2011.
Vous dites:” Participer au dépistage du cancer du sein relève d´une décision personnelle que les femmes doivent pouvoir prendre en connaissance de cause.” Or la nouvelle convention médicale a introduit la rémunération des médecins libéraux sur objectifs de santé publique, notamment 80% des femmes de plus de 50 ans devant participer au dépistage organisé: http://www.voixmedicales.fr-2012-02-03/remuneration-sur-objectifs-de-sante-publique-en-france-sur-quelles-bases-scientifiques/ Qu´en est-il donc de la liberté des femmes de choisir ou non de se faire dépister?