Les chercheurs sont en colère depuis que l’Agence nationale de la recherche (ANR) a annoncé le report de son programme « Contaminants et Environnements : Métrologie, Santé, Adaptabilité, Comportements et Usages » (Cesa). Interview d´un de leurs représentants, Bernard Jégou, président du conseil scientifique de l´Inserm et directeur de l´Institut de recherche sur la santé, l´environnement et le travail.
Ouvertures.- La recherche en santé environnementale est amputée cette année de 8 millions d´euros. C´est beaucoup selon vous ?
Bernard Jégou.- Le programme « Contaminants et Environnements » dit Cesa est le seul programme public qui finance la toxicologie, l´écotoxicologie et l´épidémiologie environnementale. Huit millions, cela représente plus de 50 % des financements contractuels de la recherche en santé environnementale. Nous avons appris le retrait de l´appel à projets en octobre 2011 alors que les réseaux de chercheurs en santé environnementale travaillaient à mettre en place leurs actions. C´est un mauvais coup porté au développement des recherches en France dans ce domaine. La protestation a été unanime de la part d´une communauté scientifique sereine et solidaire.
Depuis, le ministère de l´enseignement supérieur et de la recherche, tutelle de l´Agence nationale de la recherche (ANR), nous a précisé que le calendrier de mise en place de l´appel à projets Cesa allait être avancé en février-mars 2012, avec sélection des projets en septembre 2012. Mais quid du rétablissement du financement en 2012 ? En l´absence de réponse à cette question, je crains que l´avancement du calendrier annoncé ne soit qu´un nouveau subterfuge.
– En quoi la recherche en santé environnementale est-elle un secteur clé ?
– A l´Institut de recherche sur la santé, l´environnement et le travail (Irset), il ne se passe pas une journée sans que nous soyons saisis d´un nouveau problème en matière de santé environnementale. Or, la toxicologie environnementale et l´écotoxicologie figurent historiquement en France parmi les parents pauvres de la Recherche. Il y a peu de laboratoires et beaucoup de besoins. Le pays est notoirement en retard sur le plan international, malgré des contributions majeures de la France, notamment sur le dossier Bisphénol A. Du fait de la réglementation européenne “Reach”, qui impose aux fabricants et aux importateurs de molécules chimiques de prouver leur innocuité, les enjeux médicaux et environnementaux occupent le devant de la scène. Les recherches en santé environnementale permettent le développement de l´expertise et contribuent à mettre en place des protocoles de tests réglementaires, avec à la clé des marchés économiques importants.
– L´Agence nationale de la recherche évoque des réductions de budget pour justifier ce report de crédit.
– L´agence a d´abord noyé le poisson en invoquant que, réflexion faite, il fallait réunir les spécialistes pour redéfinir le périmètre du Cesa, avec de nouvelles réunions, pour un appel d´offres fin 2012 et les financements pour 2013. C´est un prétexte car le Cesa a été lancé il y a un an à peine, au terme de réunions d´orientation. Ensuite nous avons reçu un courrier de la directrice de l´ANR, Madame Lecourtier, nous expliquant que l´agence avait perdu 100 millions d´euros à son budget et qu´il fallait faire des choix. En somme, l´ANR voit cette année ses crédits baisser de 10 %, ce qui la conduit à réduire de 100 % le programme Cesa. En plus, ce domaine n´est pas le seul à avoir été touché par « l´effort national de réduction des budgets », au total trois thématiques ont été fermées dont celle consacrée aux éco-technologies [1]. A l´heure où le nombre de kilowatt-heures s´emballe, on connaît pourtant l´importance de ce domaine pour les années qui viennent.
L´innovation verte, la santé environnementale… Que deux secteurs phare soient touchés de plein fouet est totalement hallucinant dans le contexte actuel et très politique probablement.
– A qui la faute ? Au ministère, à l´Agence nationale de la recherche ou à la crise ?
– Dans un dernier rebondissement, l´ANR évoque la responsabilité du ministère dans le choix de ne plus financer ces thématiques. C´est là que se situe l´origine du problème : un pilotage direct du ministère qui met à mal l´autonomie de la communauté scientifique. Dans ce contexte, l´existence de pressions de la part des lobbies est une possibilité qu´on ne peut exclure en l´absence d´autres explications. Malgré tout, l´ANR se moque de nous. On connaît le fonctionnement de cette agence qui dépense trop pour son propre fonctionnement. Elle a d´ailleurs été épinglée par la Cour des Comptes. La santé environnementale n´a représenté que 1 % du budget total de l´ANR depuis qu´elle existe. Huit millions pour Cesa sur un budget global annuel de 800 millions, ce n´est pas grand chose finalement. Le problème, c´est que l´agence se met en compétition avec d´autres établissements de recherche type Inserm sur des programmes classiques : neuroscience, cancer, immunologie… Alors qu´elle devrait avoir pour objectif de donner des crédits aux opérations transdisciplinaires innovantes. La santé environnementale est une science en construction où se croisent de nombreuses disciplines qui méritent qu´on les aide à entrer en relation, à définir un langage et une méthodologie commune.
[1] « L´ANR ouvrira bien comme prévu à l´automne prochain son appel à projets du programme Ecotechnologies et EcoServices (ECO-TS) », assure le directeur général adjoint Philippe Freyssinet.
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