A l’instar des étalages de vente de l’essence de contrebande, des baraques où on vend de la nourriture font partie du décor de la quasi-totalité des villes du Bénin. En marge de toute légalité, ces mini-restos tenus par des femmes sont fréquentés par une frange importante de la population.
Ustensiles de cuisine dans un mini-resto à Cotonou.¨ Photos : Bernado Houenoussi. |
Quatre bancs, deux longues tables, des assiettes, des cuillères et des fourchettes constituent l’arsenal de cette bicoque, située dans le 10ème arrondissement de Cotonou où nous nous trouvons en ce début de matinée. Rachelle, la propriétaire, est au four et moulin depuis 5h du matin. Pour elle et Claudine, sa jeune domestique, c’est le même manège tous les jours de la semaine, sauf les dimanches et certains jours fériés où elles se reposent. Ce jour là, nous faisons partie des premières personnes qu’elle reçoit.
« Par la force des choses »
Mère de deux enfants et en concubinage depuis une douzaine, Rachelle a commencé à vendre de la nourriture il y a trois ans de cela. Devenue femme au foyer par la force des choses, elle a trouvé en cette activité un palliatif, n’ayant pu exercer la profession de couturière pour laquelle elle avait suivi une formation en apprentissage sur le tas durant cinq ans. Sa baraque a été construite devant la maison où elle vit avec son compagnon. Dans la même ruelle, d’autres femmes exercent la même activité. Elles ont en commun de mettre au profit de leurs clients les secrets de cuisine de leurs mère.
Avec en moyenne 300 à 500 Fcfa (0,45 à 0,76 € !), on peut manger à satiété dans ces mini-restos. Les différents ingrédients sont achetés au marché ; les plats sont concoctés dans des conditions généralement acceptables, mais qui peuvent être aussi rudimentaires dans certains cas. Rachelle comme les autres femmes ne subissent aucun contrôle officiel. Elles évoluent en parfaite illégalité, alors que pour l’ouverture d’un restaurant il faut déposer une demande auprès de la Direction des affaires intérieures (voir encadré).
La procédure pour ouvrir un restaurant
La Direction des affaires intérieures (Dgai), qui dépend du ministère de l’intérieur, délivre à toute personne ayant déposé un dossier pour l’ouverture d’un restaurant, une attestation de dépôt. Cette étape est suivie par une étude théorique de chaque dossier en attente, par un comité interministériel qui réunit plusieurs ministères. Il y a ensuite une étude pratique (essentiellement une visite des locaux du futur restaurant). Mais ces études, à l’issue desquelles ce comité donne son autorisation officielle, n’interviennent que plusieurs mois après le dépôt du dossier. En effet, le comité interministériel ne se réunit qu’après un certain nombre de dossiers déposés. C’est pourquoi ceux qui souhaitent ouvrir un restaurant peuvent débuter leur activité tout en s’épargnant les désagréments liés aux contrôles inopinés des policiers ou d’autres services étatiques compétents. |
Bien que Rachelle ne balaie pas d’un revers de la main la nécessité de faire des démarches officielles pour l’enregistrement de son mini-resto, elle ne semble pas en faire une préoccupation première…
Construire un patrimoine malgré tout
« Les tâches que je fais au quotidien avec Claudine sont parfois épuisantes, déclare t-elle. Dans petit un coin de ma tête, je rêve d’acheter dans quelques années une ou plusieurs parcelles, sur lesquelles j’envisage soit de construire des maisons, ou bien de laisser mes enfants le faire dès qu’ils seront adultes ».
Un client nous confie que sa grand-mère paternelle faisait la même activité : « Elle l’a fait durant trente ans. Grâce à ses économies, elle a pu acheter et bâtir une maison au début des années 90 ».
Dans cette ruelle du 10ème arrondissement, il y a d’autres mini-restos, comme c’est le cas partout ailleurs. Rachelle ne craint par la concurrence : « Je me contente de ce que je gagne avec la grâce de Dieu ; je vendrai de la nourriture aussi longtemps que je le pourrais, même si je prends chaque jour une bonne dose de fumée due aux fagots de bois que j’utilise ». Elle s’inquiète des répercussions que cela pourrait avoir sur sa santé. Comme ces mini-restos pullulent un peu partout dans le pays, leur marge bénéficiaire s’est nettement réduite au fil des années. C’est pourquoi le rêve de Rachelle de se construire un patrimoine a parfois des airs de chimère.
Les restaurants formels
Les propriétaires des restaurants qui ont fait au préalable une déclaration à la Dgai n’ont pas à craindre la concurrence des mini-restos car ils ont leurs clients habituels. Ils proposent des prestations proches des standards internationaux, avec en plus des mets, des boissons alcoolisées et du vin. Une bonne partie d’entre eux est installé dans les quartiers les plus chics de Cotonou, d’autres sont disséminés aux quatre coins de la même agglomération, tout en veillant à être proche du centre ville. Ils proposent aussi de louer leurs locaux pour différentes manifestations ou de faire office de service traiteur à d’autres occasions.
Et le laxisme de l’Etat
Si ces milliers de mini-restos vendent depuis plusieurs décennies de la nourriture au public sans aucune autorisation, l’idée de les interdire n’effleure même pas l’esprit des services étatiques. Ainsi, c’est une question de santé publique qui est délaissée. Dans un pays pauvre comme le Bénin, ces mini-restos non officiels sont le lieu privilégié de ceux qui ne peuvent dépenser beaucoup dans les restaurants formels.