A Cotonou, la plus grande agglomération du Bénin, comme dans toutes les autres villes du pays, les stations services sont peu nombreuses et l´essence légale est deux fois plus chère que celle des contrebandiers. Voitures et motos s’approvisionnent donc surtout chez des vendeurs qui évoluent en marge de toute légalité et en toute insécurité.
Transport d´essence clandestin en provenance du Nigéria voisin. Photo : ebeninois.com |
En parcourant le Bénin du nord au sud et d’est en ouest, on voit ces nombreux étalages sur lesquels sont disposées des bouteilles de différentes capacités contenant de l’essence. Devant ces étals, composés d’un parasol de fortune et d’une ou deux tables, figurent également des bidons ou un petit tableau où est marqué le prix du produit : « Sèche 275, mélange 300 ». Mais ce prix en Fcfa (la monnaie locale) fait parfois du yo-yo. En effet, il dépend de l’évolution de la situation sociale du Nigéria considéré au Bénin comme le « grand voisin de l’est » et avec qui il partage une frontière de 773 km.
Fraudeurs brûlés vifs sur leur moto
Mais ce pays est surtout le 5ème producteur de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) et le 10ème au niveau mondial. Le prix à la pompe dans les stations services béninoises quant à lui est actuellement le double de celui du circuit informel, en raison essentiellement des taxes dont s´exonère le circuit informel, et il est régulièrement ajusté par le gouvernement qui tient compte du prix du baril au niveau mondial. La commercialisation de l’essence de contrebande, dont dépendraient directement ou indirectement deux millions de personnes, a toujours été tolérée par les gouvernements successifs et ce en violation de la loi, car ceux-ci ont toujours été tétanisés à l’idée de l’explosion sociale qui pourrait découler d’une lutte plus active contre ces fraudeurs.
L’essence du secteur informel représente, de source officielle, 75% de la consommation du pays tandis qu’il ferait perdre à l’Etat 30 millions d’euros par an.
Etalage d´essence clandestin dans la capitale. Photo: Bernado Houenoussi. |
L’essence de contrebande est le fruit d’une filière venant du Nigéria où subsiste un réseau d’approvisionnement bien organisé. Ceux qui revendent ce produit dans les coins et recoins des villes du Bénin ne sont que la partie immergée de l’iceberg. Régulièrement, ils sont approvisionnés par des intermédiaires qui disposent notamment de motos Vespa, dont ils ont spécialement aménagé les réservoirs afin de pouvoir y stocker un maximum de litres d’essence.
De la frontière entre le Bénin et le Nigéria, ces intermédiaires transportent dans tout le pays leurs cargaisons d’essence à leur risque et à celui qu’ils font courir aux différents usagers de la route. Les drames d’ailleurs ne manquent pas. Les images de fraudeurs brûlés vifs sur leurs motos diffusées par les chaines de télévision ne produisent à chaque fois qu’un électrochoc passager au sein de l’opinion publique.
Incendie qui s´est déclaré lors du remplissage frauduleux d´un bidon. Photo : Golfe TV.
Pour payer ses fournitures scolaires
En ce matin du mois d’août, une période marquée comme à l’accoutumée par une forte fraicheur, il est 8 heures. Nous sommes dans l’un des quartiers de la périphérie de la capitale. Kuassi, un quadragénaire corpulent, porte une chemise jaune : la tenue des motos-taxis de la ville, appelés zémidjan, ce qui veut dire « Emmène-moi vite », dans une langue parlée au sud du Bénin. Mais les apparences sont trompeuses, car il est le propriétaire de l’étalage d’essence devant lequel il est debout en ce début de matinée. Il donne les dernières consignes à Samson, un élève du collège à qui il confie son étalage depuis le début des vacances scolaires. Il profite ainsi de la journée pour gagner de l’argent avec son autre activité de zémidjan : « L’année dernière à la même époque, c’est mon fils ainé qui était à la place de Samson. Mais dès que l’année scolaire débutera, ce sera de nouveau ma compagne qui prendre en charge la vente », nous déclare-t-il.
Quant à Samson, il aurait bien pu s’inscrire pour les cours de vacances organisés durant le mois d’aout par les établissements scolaires de la ville. Mais la perspective de gagner 2 à 3 € à la fin de chaque journée a été plus alléchante. Il compte payer ainsi ses fournitures scolaires pour préparer la prochaine rentrée : « Je suis l’aîné de la famille. Mon père est mort depuis deux ans. Nous sommes trois et ma mère en fait déjà beaucoup », confie-t-il.
Pallier l’incapacité du secteur formel
Il est facile pour n’importe qui de vendre de l’essence de contrebande : un budget d’une centaine d’euros est largement suffisamment pour cette activité parfois funeste. Par exemple quand certains vendeurs entreposent des centaines de litres d’essence dans leur maison. Résultat : un incendie avec à la clé des dégâts matériels et un drame humain qui pouvait être évité.
Avant de démarrer sa moto, Kuassi conjure le mauvais sort et espère ne jamais vivre un tel évènement. Même à la nuit tombée, certains de ces étalages continuent de vendre de l’essence en se servant soit de l’éclairage public quand il fonctionne, ou bien grâce à une lampe rechargeable, ou très souvent en se connectant au compteur électrique d’une maison voisine. Disponible donc 24h sur 24, l’autre terreau fertile à la commercialisation de l’essence de contrebande est lié à l’incapacité des stations service du secteur formel à satisfaire une demande qui est forte.
A chaque fois que les autorités béninoises ont voulu, même timidement, lutter contre les fraudeurs, bon nombre de Béninois ont rétorqué qu’il faudrait au préalable que le nombre des stations officielles soit nettement revu à la hausse. Et le prix à la pompe fixé par le gouvernement est jugé exorbitant par beaucoup. Dans un pays où les chiffres officiels du taux de chômage sont inconnus, Kuassi et ses centaines de milliers d’autres compères peuvent réaliser grâce à ce système D une marge bénéficiaire largement supérieure au Smig fixé à environ 45 € au Bénin.
Le flop des mini-stations service
Après son élection en mars 2006, Boni Yayi, le président béninois, a annoncé à grands renforts médiatiques qu’il allait combattre activement la vente illégale de l’essence. Il a encouragé l’installation de mini-stations proposant une partie des prestations des stations-service classiques. Officiellement reconnues par les services étatiques, elles devaient surtout vendre de l’essence aux usagers. Un projet de financement de la construction de micro-stations a été lancé en octobre 2008 pour la reconversion des vendeurs du secteur informel. D’un coût de 1.200.000 €, ce projet consistait principalement à la mise à la disposition des bénéficiaires de crédits à un taux de 10% l’an avec une rétrocession de 50% des intérêts payés à ceux qui auront remboursé intégralement le crédit octroyé.
Il faut 23.000 € pour devenir propriétaire d’une mini-station, une caution qui a rebuté beaucoup d’acteurs du secteur informel. Aussi, bien que nombre de ces mini-stations se soient installés, leurs recettes sont très faibles et certaines ont dû fermer depuis.
Les nombreux transvasements de l’essence de contrebande engendrent une pollution des eaux de ruissellement et une pollution atmosphérique par les vapeurs dégagées. Selon Grégoire Akofodji, ministre béninois du commerce en 2008, « le trafic des produits pétroliers est à l’origine du développement des maladies cardio-vasculaires, hypertension artérielle, réduction progressive de l’intelligence, des dépressions, des fatigues physiques et psychiques ».