Plusieurs millions de Français sont toujours exposés aux risques industriels. Malgré une loi prise en réaction, sur les sites à haut risque technologique peu de choses ont évolué.
Silo avec maison au pied à Nogent-sur-Seine. La prévention des risques industriels est un peu à l´image de cette photo surréaliste (non truquée) : on prévient mais on ne change pas grand chose et le danger, lui, demeure bien réel pour les riverains. Crédit photo : Marion Legros. |
« Aujourd’hui, les riverains sont victimes d’une triple peine : ils subissent des nuisances au quotidien, vivent en étant exposés à un risque parfois mortel et doivent en plus payer pour s’en préserver », s’indigne France Nature Environnement (FNE). En effet, dix ans après la catastrophe d’AZF à Toulouse en septembre 2001 (31 personnes sont tuées, 2 500 blessées, 15 000 traumatisées, plus de 25 000 logements endommagés), l’essentiel des prescriptions de la loi de 2003 sur la prévention des risques technologiques et naturels n´est toujours pas appliqué.
Les plans de prévention des risques : une « mesure pionnière »
A l’occasion de la commémoration, cet automne 2011, de la catastrophe, le ministère de l’écologie a publié son bilan des « actions mises en œuvre depuis l’accident » :
– « 1 600 études de dangers ont été instruites suivant de nouvelles exigences, et les investissements réalisés par les industriels pour réduire le risque à la source se sont élevés à des montants annuels de 250 à 300 M€. Ces actions ont déjà permis de réduire d’environ 350 km² la superficie des zones exposées au risque ».
– « Une nouvelle politique de maîtrise de l’urbanisation autour des sites à haut risque : mesure pionnière en Europe, les Plans de Prévention des Risques Technologiques (PPRT) ont été créés pour limiter, autour des 630 établissements Seveso, l’exposition de la population aux conséquences des accidents. Au 1er juillet 2011, plus de 90% des PPRT étaient prescrits et plus d’un quart approuvés ».
A quoi il faut ajouter « une augmentation des effectifs de l’inspection des installations classées, une meilleure information et implication de la population et la mise en place d’un dispositif assurantiel catastrophes technologiques ».
La prévention des risques industriels est « dans l’impasse »
L’analyse faite par France Nature Environnement est bien plus alarmante : « Dix ans après AZF, la prévention des risques industriels en France est quasiment dans l’impasse. L’action des pouvoirs publics et les efforts menés par les industriels pour prévenir un nouvel accident majeur ne sont pas à la hauteur.
La Rochelle, ensemble de stockage pétrolier de 48 cuves. Il y a des silos à 100 m de ces cuves et 2 autres sites Seveso. 30 m séparent les habitations des cuves. Un comble, selon FNE, la mairie vient de donner un permis de construire tacite à l’industriel pour mettre 4 cuves supplémentaires, au pied des silos, là où il y avait une zone tampon auparavant. Le maire était le rapporteur de la loi Post AZF de 2003... Crédit photo : Marc Sénant. |
« Sur les 420 plans de prévention des risques technologiques [pour les 630 établissements concernés, certains sites pouvant compter plusieurs établissements] prévus par la loi de 2003, moins d’1 sur 4 est aujourd’hui approuvé. La protection absolue souhaitée en 2001 est aujourd’hui toute relative puisque le monde industriel rechigne à investir dans la sécurité et négocie une sécurité au rabais. Pire encore, selon la loi de finances 2011, les riverains de sites dangereux doivent financer 70 % des travaux [alors qu’il était prévu au départ qu’ils ne financent que 60%] pour protéger leur habitation des risques d’incendie, d’explosion, de nuage toxique, ce qui représente en moyenne plus de 10 000 € par foyer ».
« Cette situation est apocalyptique, s´effraie Yves Blein, président de l´Association nationale des communes pour la maîtrise des risques technologiques majeurs (Amaris). Si on en reste là, la loi Bachelot sera un échec total. Concrètement cela signifie que les travaux de sécurité des logements ne seront jamais faits. La majorité des habitants n’en ont pas les moyens. »
FNE demande de son côté que « les industriels, souvent de grands groupes multinationaux ou leurs filiales, engagent beaucoup plus de moyens dans la réduction des risques à la source, afin de réduire le nombre d’expropriations prévus par les PPRT. Et, « pour chaque PPRT, l’association considère qu’une fois les investissements menés et financés par l’industriel, il est plus judicieux que l’Etat finance des mesures supplémentaires de réduction des risques dans l’usine plutôt que des expropriations ou des travaux chez les habitants, dont on ignore s’ils seront une protection suffisante ».
Pour un Grenelle du risque industriel
L’avocat spécialisé dans l’environnement Arnaud Gossement suggère tout simplement l’abrogation de cette loi de 2003 qui « n´est favorable, ni à l´écologie, ni à la sécurité publique, ni aux industriels eux-mêmes, trop souvent stigmatisés. En réalité, les industriels sont eux aussi victimes de ce cadre juridique qui se caractérise par la profusion des textes, décrets, arrêtés, circulaires et guides auxquels il faut ajouter une jurisprudence particulièrement abondante ».
Pour lui, « le bilan d´AZF restera le même tant que nous n´aurons pas procédé à une réforme profonde du droit des installations classées. Pour y parvenir, le format du Grenelle est sans doute le plus adapté. Malheureusement, le gouvernement a jusqu´à présent refusé de procéder à un véritable Grenelle du risque industriel ».