Rudolf Steiner était-il un charlatan ou un génie universel ? Le clown suisse Dimitri, élevé dans un milieu anthroposophe et passé par l´école Steiner de Zürich, est un adepte du fondateur de l´anthroposophie qui fut également l´initiateur de l´agriculture biodynamique. Rudolf Steiner aurait eu 150 ans le 25 février 2011.
– Seriez-vous le clown que nous connaissons si vous n’aviez pas fréquenté l’école Steiner ?
Le clown Dimitri dans le “civil”… |
– Dimitri : Drôle de question. Je crois que je serais de toute façon devenu ce que je suis. Peut-être un peu différent, mais je ne crois pas qu’une école peut véritablement influencer le métier ou le destin à ce point.
– L’école Steiner est pourtant très différente de l’école publique. Par exemple on n’y met pas de notes, on y dispense un apprentissage pratique et en douceur, sans pression, en mettant l’accent sur des matières telles que la musique et l’art. Tout cela vous a-t-il convenu ?
– C’est précisément pour cette raison que mes parents m’ont envoyé faire ma 10e année scolaire à l’école Steiner de Zurich. Il n’y avait encore rien de tel au Tessin. De plus, ma jeunesse a baigné dans l’anthroposophie. Mes parents étaient artistes et j’ai pu faire de la musique.
Je venais de la campagne, d’Ascona. Et la ville m’a fait du bien, mais aussi les camarades que j’ai eus. Je suis du reste toujours en contact avec quelques-uns d’entre eux, comme Klaus Knuth, le fils du célèbre acteur Gustav Knuth.
Les écoles Steiner et Waldorf sont très importantes dans notre monde actuel, parce qu’elles n’offrent pas seulement un enseignement intellectuel, mais aussi sur la musique, les aspects humains, la créativité. Et cela fait ses preuves, car les élèves des écoles Steiner font de merveilleux résultats et se débrouillent partout.
– Et dans votre école, y a-t-il quelque chose qui ne vous a pas convenu ?
– Non, même si j’entends des critiques ici ou là. Bien sûr, il peut toujours y avoir un enseignant qui n’a pas un bon contact avec les élèves, mais cela arrive dans n’importe quelle école.
– Vous vous êtes donc senti bien préparé pour la vie ?
Affiche d´un spectacle de Dimitri. |
– Absolument. Mais aussi bien sûr parce que ma mère était anthroposophe et que cela a imprégné toute mon éducation. De plus, il y avait beaucoup d’anthroposophes parmi nos amis. Ce n’est pas seulement l’école qui compte, mais tout l’environnement.
Nous-mêmes, nous avons du reste envoyé nos enfants à l’école Steiner et n’avons qu’à nous en féliciter.
– Etes-vous un adhérent ?
– J´ai toujours une hésitation à le dire ainsi. Je ne suis pas membre de la Société anthroposophique, car j’aime ma liberté et mon indépendance. Mais ce qui est beau, c’est que l´anthroposophie ne se limite pas à cela.
On ne se sent jamais obligé d’une quelconque façon d’y adhérer. Cela offre une liberté merveilleuse.
– Vous n’avez donc pas l’impression que l’anthroposophie est une secte, comme on le dit parfois ?
– Non, je n’ai jamais eu cette impression. J’ai aussi connu des anthroposophes purs et durs. mais je trouve cela pardonnable. Dans toutes les religions, dans toutes les philosophies, il y a en effet des gens qui adoptent une voie fondamentaliste. Mais 95% des anthroposophes que j’ai connu sont des gens merveilleux, ouverts avec qui on peut parler de tout.
– Cependant il y a quelques ombres au tableau. Avec ses propos sur la supériorité créative et intellectuelle de la race blanche, Steiner a été taxé de racisme. Qu’en pensez-vous ?
– J´ai aussi suivi tout cela, je l’ai lu et l’ai entendu. Les interprétations des propos de Steiner selon lesquels les Noirs seraient une race différente, qu’ils seraient moins intelligents, m’attristent beaucoup. Car il ne dit pas du tout que ceux-ci auraient moins de qualités humaines, mais il dit qu’ils ont une autre culture, un autre passé. C’est si facile d´interpréter à tort. Et je trouve mesquin de sortir les phrases qui pourraient éventuellement avoir des accents racistes.
Rudolf Steiner. Photo : RDB. |
– D’autres reprochent à Rudolf Steiner de ne pas être « chrétien »…
– Steiner a beaucoup écrit sur le Christ et la chrétienté et il a contribué à consolider la communauté chrétienne. Je pense qu’il n’y a pas plus chrétien que Rudolf Steiner. Beaucoup de critiques proviennent de gens qui ne l’ont jamais lu.
– Ce n’est pas une mince affaire de le lire, car il a énormément écrit.
– Oui, c’est incroyable. Très jeune, j’étais déjà intéressé par les questions spirituelles, comme l’initiation dans l’Egypte ancienne, les Tibétains, les bouddhistes, les moines, les yogis.
Là-dessus, Steiner était très clair. Il avait un don merveilleux pour expliquer des choses selon plusieurs aspects. Même moi, comme clown, comme naïf imbécile, je le comprends.
Photo : Christian Altorfer, Zürich. |
– Il est vrai que Rudolf Steiner s’intéressait à tout, pas seulement au domaine spirituel mais aussi à l’agriculture biodynamique, ou à la médecine.
– Oui, l’agriculture biodynamique a commencé très tôt. Et ce n’est qu’aujourd’hui que l’on constate que l’agriculture biologique, sans chimie, est la seule solution. On oublie que Steiner en a parlé il y a déjà 80 ou 90 ans.
De même en médecine. Je suis très impressionné de voir comment les médecins de la Clinique Lukas d’Arlesheim (Suisse) trouvent leurs propres solutions tout en pratiquant la médecine moderne. Ils ne sont pas opposés à une opération indispensable, mais ils soignent aussi avec d’autres moyens.
– Pour revenir à Rudolf Steiner, le décririez-vous comme un des derniers génies universels de notre temps ?
– Il a été une des personnalités les plus importantes. Je ne sais pas s’il faut le qualifier de philosophe, d’innovateur, de précurseur, de penseur, d’écrivain, de poète ou d’artiste.
En tant que clown, je mentionnerais la grande sculpture en bois exécutée par Steiner et que l’on peut voir au Goetheanum de Dornach. Au centre, il y a la grande figure du Christ et, en haut à gauche, l’humour du monde.
Je trouve cela magnifique, cela me donne du grain à moudre puisque l’humour est essentiel pour un clown. Or l’humour était extrêmement important pour Steiner.
(Avec l´aimable autorisation de swissinfo.fr. Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger)