Le monde à l’envers ! C’est une instance émanant du monde de la pub qui demande une clarification entre information et communication… La presse, en l’occurrence le quotidien pour enfants L’Actu, continue d’éditer des suppléments subventionnés par les entreprises ou lobbys divers, en ne le disant pas toujours honnêtement.
Récents exemplaires de L´Actu. |
Dans les colonnes d’un journal, comment bien distinguer la partie rédactionnelle, réservée aux journalistes, et le contenu publicitaire, relevant théoriquement des seuls communicants ? En indiquant “publi-rédactionnel” ou “publi-reportage” en tête des encarts ou suppléments ayant l’apparence d’articles mais faisant la promotion d’une cause, d’un produit ou d’une entreprise.
Ce n’est pas un scoop, c’est même un usage de la presse. Pourtant, il se perd parfois. Pas toujours sous la pression des annonceurs ayant acheté les emplacements. Car certains journaux jouent avec le “feu”, demandant à leurs journalistes de rédiger les suppléments subventionnés par les entreprises sans faire apparaître la mention “publi-rédactionnel”. Ainsi, ils enfument les frontières entre communication et information – et leurs lecteurs au passage, tout en abîmant leur crédibilité.
Play Bac, l’éditeur du quotidien pour enfants L’Actu, l’a récemment appris à ses dépens. Dans deux décisions du 28 avril 2009, le Jury de déontologie publicitaire (JDP), qui dépend de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité (Arpp), lui a reproché de ne pas avoir affiché clairement ladite mention sur des suppléments diffusés en 2008 et financés par l’électricien EDF et le groupe Areva, constructeur de centrales et fournisseur de combustible nucléaire.
Intitulés “La centrale nucléaire” et “Atome, réacteur, stockage, tout comprendre du nucléaire”, ces cahiers présentaient de façon pédagogique toute la chaîne de production d’électricité nucléaire, depuis la fission jusqu’au retraitement des déchets. Mais ils servaient aussi les intérêts d’EDF, « premier producteur mondial d’énergie nucléaire». On y louait le «réacteur de troisième génération EPR», tandis que les énergies renouvelables passaient à l’as. Une expression discrète figurait en tête : «en collaboration avec »… Areva ou EDF, c’est selon.
Le JDP estime que l’éditeur de L’Actu n’a pas respecté les recommandations de l’Arpp : « Lorsqu’il s’adresse aux enfants, le caractère publicitaire du message doit être rapidement identifiable. »
Et si, pour les enfants, la formule « en collaboration avec » était plus parlante que “publi-reportage” ? Le débat sémantique peut avoir lieu, mais cela ne doit pas nous écarter du problème central : la pratique du supplément réalisé en interne et payé par l’extérieur remet gravement en cause la crédibilité médiatique. Le JDP ne s’y trompe pas, qui tape sur les doigts de Play Bac : « La nécessité de distinguer la publicité du contenu rédactionnel est fondamentale pour garantir la loyauté à l’égard du consommateur/lecteur et relève du respect de l’obligation de pleine transparence due par la publicité au public. »
Presse : « Déontologie ? Vous avez dit “déontologie ?” » Le monde à l’envers disions-nous ! Dans cette affaire, heureusement que le Réseau « Sortir du nucléaire » fut vigilant et qu’une instance déontologique voulut bien étudier la question. Ce n’était pas gagné, l’Arpp ne s’étant muée que très récemment (en 2008) en instance d’auto-régulation ouverte à la société civile : voir ici la composition du Jury de déontologie. Auparavant, l’Arpp s’appelait Bureau de vérification de la publicité (BVP) et avait un droit de regard sur les seules publicités de ses entreprises adhérentes. En se réformant, elle a étendu son champ d’action. Dans le cas de L’Actu, son Jury de déontologie s’est de fait mêlé des oignons de la presse. Rien de plus logique quand on sait que cette dernière ne s’occupe que très peu de ses affaires déontologiques. Pas encore de charte inscrite dans la convention collective – donc opposable aux employeurs-, encore moins d’instance de régulation chargée de la faire respecter. Le président de l’Arpp, Jean-Pierre Teyssier, en est persuadé : « Si la presse ne va pas sur ce terrain-là, elle en pâtira, et d’autres le feront ». Qu’on se le dise : la critique constructive des médias ne vient pas toujours d’où on l’attend. |
Les cahiers spéciaux de L’Actu vont poursuivre leur bonhomme de chemin. « Le document reste pertinent pour les enfants, plaide le service de communication d’EDF. Il sera distribué dans les centres d’information des centrales nucléaires. » Cette fois-ci, avec la mention “publi-rédactionnel”.
Qu’en dit le groupe Play Bac ? « C’est un contenu rédactionnel utile pour nous car, sur le secteur de la jeunesse, le marché publicitaire est très étroit, explique la directrice de sa branche “partenariat”. EDF a financé les coûts de fabrication et d’acheminement. »
On ne saurait s’empêcher de penser qu’il s’agit aussi d’instaurer de bonnes relations avec deux entreprises riches, sources potentielles de recettes publicitaires ou de retombées en termes d’image. EDF annonce d’ailleurs la parution d’une série du jeu pour enfants Les Incollables sur le thème des énergies, qui abordent aussi les énergies renouvelables. Ils sont déjà en ligne sur le site du Commissariat pour l’énergie atomique (CEA).
Nota bene : Play Bac est le créateur et éditeur des Incollables. Incorrigible !
>> Le document réalisé “en collaboration avec EDF” comporte désormais la mention “PUBLI-REDACTIONNEL”.