Un journaliste met en lumière les méthodes douteuses de Claude Allègre

Un petit livre, écrit dans l’urgence par un journaliste conscient de la responsabilité de sa profession, démontre que Claude Allègre trompe sciemment l’opinion publique avec la complicité des grands médias avides de polémiques.

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Sylvestre Huet est un journaliste scientifique qui connait bien le dossier. Journaliste à Libération depuis 1995, il a commencé à s´intéresser au réchauffement climatique en 1986, bien avant que celui-ci ne se manifeste et devienne une préoccupation majeure.

Après Stéphane Foucart, qui avait révélé dans Le Monde Le cent-fautes de Claude Allègre, ou Anne Bauer des Echos qui dénonçait « sa mauvaise foi et son simplisme » (Le climatosceptique en chef perd le Nord [1]), il décortique les propos de l´ancienne sommité du monde politico-scientifique qu´est Claude Allègre. Sa minutieuse enquête démontre en 186 pages que ce géochimiste est non seulement peu au fait de la science du climat et de sa géopolitique, mais surtout qu´il viole les principes élémentaires qui fondent la démarche scientifique.

Claude Allègre fait beaucoup d´erreurs, trop pour un ancien chercheur formé à la rigueur scientifique. Exemples :

  • « L´année 2007 a été l´année la plus froide depuis 50 ans ». Faux. La source citée par Allègre indique au contraire que 2007 se place au septième rang des années les plus chaudes depuis le début des relevés. (p. 23)
  • A propos de la conférence de Copenhague : « Pourtant pour les Etats-Unis et l´Europe, la volonté de réduire de 20% les émissions de CO2 en 2050 était un objectif certes ambitieux mais pas totalement hors de portée ». Tout est faux dans cette phrase. Pour les Etat-Unis, l´objectif n´est pas de 20%, et pour l´Europe, il est bien de 20%, mais en 2020, pas en 2050. (p. 19)

Si quelques erreurs sont excusables, leur répétition l´est moins, et la persistance dans l´erreur encore moins (p. 25).  Mais Claude Allègre ne s´en tient pas là. Sylvestre Huet le prend en flagrant délit de manipulation de données. Ainsi a-t-il produit à l’appui de ses thèses une courbe de température établie par Hakan Grudd, de l’université de Stockholm, mais la modifie pour le XXe siècle et l’extrapole pour le XXIe, procédé que l’intéressé qualifie de « trompeur et contraire à l’éthique ». (p. 41)

L´imposture se révèle également dans l´arrogance, voire la calomnie envers ses confrères chercheurs :

  • « J´ai été horrifié par – je suis désolé mais c´est le mot qui convient – par l´incompétence de Mann et de Jones » écrit Claude Allègre dans son livre page 127.
  • « Tous ces gens ne savent pas », déclare-t-il dans une émission de France 2 en parlant des mille chercheurs et universitaires français travaillant dans le domaine. (p. 180)
  • Evoquant un possible complot, Allègre écrit à la page 62 de son livre : « Et le malheureux chercheur qui avait fait cette découverte essentielle a été versé dans le corps des techniciens ». Retrouvé par l´auteur, le “malheureux” chercheur rétablit la vérité « Je n´ai jamais été versé dans le corps des techniciens (…) ». (p. 46)

Autre “mauvaise manière” de Claude allègre, il n´hésite pas à appeler en renfort des chercheurs qui, interrogés par l´auteur, se révèlent adhérer pour la plupart aux conclusions du GIEC (Groupe international d´étude du climat). (p.30)

Les erreurs et manipulations de Claude Allègre ne seraient-elles, comme se défend l’accusé, que broutilles mises en avant pour éviter de débattre des questions de fond ? [2] Sylvestre Huet est persuadé du contraire. « Il sait, j’en suis persuadé, à quels moments précis de son discours sur le climat il s’écarte de la vérité. Il sait parfaitement qu’évoquer un hiver froid ici et maintenant pour contester une projection climatique fondée sur la physique de l’effet de serre est une ineptie ». (p. 181)

Pourquoi Allègre est-il si populaire ?

La première raison, c’est qu’en abusant une opinion qui fait confiance à son formidable CV, il soulage une inquiétude profonde, tant les conclusions du GIEC sont lourdes de conséquence pour nos modes de vie occidentaux.

La deuxième, c’est la complaisance de la plupart des médias qui lui ont ouvert en grand colonnes ou micros au nom d’un droit au débat dont Jean-Marc Jancovici démontre par ailleurs l’inanité. « Seriez-vous d’accord pour votre propre rejeton que son prof de physique, après avoir enseigné que la lumière va en ligne droite, donne la parole à un autre prof expliquant qu’elle fait des zigzags – à preuve les éclairs d’orage ne sont pas rectilignes ? »[3]. Jancovici, convaincu de l’urgence qu’il y a à agir, poursuit en mettant les journalistes devant leurs responsabilités : « Les mots tuent plus sûrement que les armes, et c´est bien pour cela que vous jouez avec le feu en invitant des gens qui, “grâce à” l´ignorance de l´essentiel de mes concitoyens, qui n´auront jamais le temps et la compétence pour lire la production scientifique en direct, les entraînent vers leur propre malheur. »

Laissons la conclusion à Hervé Kempf, journaliste au Monde : « Une question que pose cette affaire est celle de l´éthique des médias en démocratie (…) A-t-on le droit de mentir effrontément ? Si l´on pèse son poids d´Audimat et que l´on va dans le sens de l´idéologie conservatrice, la réponse donnée par l´affaire Allègre est un oui tonitruant et très inquiétant ».

L´imposteur, c´est lui. Réponse à Claude Allègre. Sylvestre Huet. Stock (186 p, 12 €)


>> Sciences2, le blog de Sylvestre Huet
>> Allègre, la science confuse – Enquête de Télérama (10 mai 2010), qui revient sur certains antécédents de Claude Allègre.
>> Olivier Godard, De l´imposture au sophisme, la science du climat vue par Claude Allègre, François Ewald et quelques autres – Esprit, mai 2010
>> V. Anger-de Friberg défend C. Allègre : Claude Allègre, pour une vraie écologie – Agoravox (29 avril 2010)


Notes :

[1] Chef de file, Allègre l’est assurément. Vincent Courtillot, son successeur à la tête de l’IPGP (Institut de physique du globe de Paris), moins rugueux et plus “raisonnable” que son ami de 40 ans, vient dans Libération de confirmer son allégeance : « Son livre [l’Imposture climatique, ndlr] ne me paraît contenir que des choses exactes. » Sylvestre Huet consacre un chapitre à Vincent Courtillot (p. 121).

[2] Claude Allègre, Climat : les questions qui restent posées, Le Monde (4/03/10)

[3] Un éclair est un courant électrique, pas un rayon lumineux.

La laïcité n’est plus ce qu’elle fut !

Dans son dernier livre, Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson, Vincent Peillon ressuscite une figure méconnue de la IIIe République, Ferdinand Buisson (1841-1932), un des pères de la laïcité française. Salutaire retour aux sources qui dessine en creux le supplément d´âme qui fait défaut à notre Ve République finissante.

laïcité ferdinand buisson

 

Licencié ès lettres et agrégé de philosophie, Ferdinand Buisson s’exile volontairement en Suisse pour ne pas servir le régime de Napoléon III. Rentré en France après la chute du Second Empire, auteur d’un monumental Dictionnaire de Pédagogie, il prend une place éminente : inspecteur général de l’instruction publique en 1878, il est appelé par Jules Ferry à la direction de l’enseignement primaire, où il restera 18 ans. Il y rédigera les textes qui vont instituer l’école laïque.
Député de la Seine de 1902 à 1914, puis de 1919 à 1924, il prépare la loi de 1901 sur les congrégations puis celle de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, et se bat pour l´enseignement professionnel obligatoire et le droit de vote pour les femmes. Dreyfusard, il compte parmi les fondateurs de la Ligue des Droits de l’Homme. Il sera aussi président de la Ligue de l’enseignement et recevra le prix Nobel de la paix en 1927.

« C’est à l’homme de faire l’homme »

Après le grand rationalisme du 17e et le matérialisme du 18e, le 19e fut paradoxalement le siècle « du grand tourment religieux » (p41). « C’est dans ce contexte d’effervescence religieuse que la laïcité va trouver son premier élan, comme projet pour construire la religion universelle (…) dont la Révolution a besoin pour s’accomplir et la République pour se fonder » (p 43).

Protestant, philosophe, républicain, socialiste, pédagogue, Ferdinand Buisson fut le théoricien et le grand ordonnateur de cette parenthèse de l’histoire « où la République eut une religion » (p 18). Même si elle s’inscrivait dans une stratégie politique, son action n’en fut pas moins portée par de fortes convictions.

laïcité

Pour combattre le pouvoir d´une Eglise catholique contre-révolutionnaire et faire naître un esprit républicain, Ferdinand Buisson a cherché à séculariser la religion – Tympan de l´église Saint Pancrace à Aups (Var)

Fondateur en Suisse d’une nouvelle Eglise, l’Eglise libérale, ouverte à tous, sans dogme ni clergé, proposant, sur le modèle du Christ, « une vie plus sainte au-dedans, plus active au dehors » (p 24), ce fils de protestants est convaincu que l’homme aspire au divin, un divin immanent à la conscience. Il militera toute sa vie pour une religion laïque « de salut terrestre et de transformation sociale » (p 26).

La foi laïque de Ferdinand Buisson répond au besoin de créer cet esprit public qui a fait défaut à la Révolution puis a mené la République à sa perte, alors qu’il apparaît impossible de « protestantiser la France ou de démocratiser le catholicisme ». Il s’inscrit dans la lignée de penseurs nombreux qui, d’Edgar Quinet à Jean-Jaurès, ont conçu la laïcité pour faire pièce au pouvoir de l’Eglise catholique. Non pour extirper tout sentiment religieux, mais pour épurer la religion et en faire le socle de la morale et de l’ambition Républicaine.

Ferdinand Buisson rejette le positivisme, car il abandonnerait aux Eglises constituées le monopole de la transcendance. Mais Vincent Peillon souligne toute la difficulté et l’ambiguïté de sa position en se référant à Proudhon, pour qui il faut choisir entre l’Eglise et la Révolution : « si on garde un bout de religion, on garde toute la religion, c´est-à-dire l’Eglise et le catholicisme » (p 176).

C’est à l’homme de faire Dieu

Ferdinand Buisson en appelle à un christianisme originaire : « Foi en Christ et liberté pour tout le reste » (p 155). Il est viscéralement opposé à tout credo, qu’il soit religieux ou même moral (p 228). Il « craint par-dessus tout un catéchisme républicain, une orthodoxie laïque » (p 273). Il place la liberté de conscience, fondement de tous les droits et de toutes les libertés, au centre de sa « théologie ». La laïcité qu’il défend et installe dans l’école publique intègre ses deux convictions fondamentales : l’homme est religieux, l’homme est libre.

Très documentée, cette longue page d’histoire des idées conduit le lecteur de la Réforme à la Révolution en passant par les Lumières et lui fait vivre les nombreux débats autour de la naissance chaotique de la République au 19e siècle. Bien qu’il ne prenne pas explicitement partie, on sent chez l’auteur une grande proximité avec son confrère en philosophie et en politique, voire une vive sympathie pour ses idées, qu´il justifie dans une interview à Philosophie MagazineIl faut armer spirituellement la gauche »).

Vincent Peillon, Une religion pour la République : la foi laïque de Ferdinand Buisson, Seuil 2010, 278 pages, 19 €

>> NDLR : Les citations en italiques sont de Ferdinand Buisson, les autres de Vincent Peillon.

Qui s’intéresse aux modalités du débat public ?

Quand de grands débats comme le débat public nanotechnologies arrivent sur le devant de l’actualité, les polémiques sur la manière dont ils sont organisés vont bon train. Mais quand une proposition de loi visant à « l’organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société » s´invite à l’ordre du jour de l’Assemblée, ça ne semble plus intéresser personne, ou presque. Seule l´association Sciences & Démocratie a ouvert un débat sur le débat.

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Philippe Bourlitio, fondateur de Sciences et Démocratie. Photo J. Piard

 

 

Le 16 février dernier, l´Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi de Jean Leonetti relative à « l´organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société ». Elle concrétise les propositions  formulées par la Mission d’information sur la révision des lois bioéthiques dans son rapport du 20 janvier 2010. L’objectif est d’institutionnaliser la formule de débat public mise en œuvre lors des Etats généraux de la bioéthique de 2009 : débats locaux animés par les Espaces éthiques régionaux, conférence de citoyens préalablement formés, recueil d´opinions sur un site internet dédié.

La proposition de loi confie au Comité consultatif national d´éthique (CCNE) la responsabilité de décider de l’opportunité d’organiser un débat public en amont du travail parlementaire. Mais elle en fixe les modalités en imposant la tenue de conférences de citoyens.

Conférence de citoyens

Un jury citoyen (ou conférence de citoyens, ou panel de citoyens) est une assemblée temporaire désignée par tirage au sort ou choisie par une autre méthode aléatoire (démarchage dans la rue, etc.) pour orienter certaines décisions politiques. Le but est de renforcer la participation citoyenne dans les processus politiques et/ou d´éclairer la prise de décision dans des situations complexes en consultant un échantillon de la population. Historiquement, les jurys citoyens s´inspirent du modèle des jurés des Assises, d´où le nom de “jury” qui leur est souvent donné, en particulier dans les pays anglo-saxons, mais leur objectif est de faire des propositions plutôt que de juger des décisions déjà prises. Source : Wikipedia

L’adoption par l’Assemblée nationale de cette très succincte proposition de loi ne s’est pas faite sans débat. Même si tous les orateurs ont souligné la nécessité de favoriser et d’organiser la participation citoyenne, le groupe SRC (Socialiste, Radical, Citoyen) s´est abstenu en regrettant la précipitation avec laquelle cette initiative avait été lancée. De nombreuses insuffisances ont en effet été relevées par les députés de tout bord. Si certaines ont été corrigées par des amendements – en particulier l’implication de L´Office parlementaire d´évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST)[1] pour une meilleure articulation entre démocratie participative et représentative  –, la plupart n’ont pas trouvé de réponse satisfaisante :

  • Le champ d’application n’est pas assez large. Certains députés souhaiteraient l’étendre à d’autres questions sociales et sociétales que celles  « soulevées par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé » : OGM, déchets radioactifs…
  • La forme imposée – états généraux incluant des conférences de citoyens – est trop restrictive. Il y a d’autres manières d’associer le public aux décisions.
  • Les conférences de citoyens ne font pas de place aux corps intermédiaires, aux associations, ni à l’Etat. Elles soulèvent d’autre part un certain nombre de questions : comment assurer la représentativité des citoyens et la légitimité du panel ? Comment donner une formation neutre  de qualité aux citoyens en quelques jours ?
  • L’initiative d’organiser des débats devrait être laissée au Parlement. La CCNE ne présente pas de garantie de neutralité suffisante pour organiser des débats, puisqu’elle doit rendre elle-même des avis. Et comment va-t-on articuler le CCNE et la CNDP (Commission nationale de débat public) ?
  • Il ne faut pas tomber dans une « parodie de démocratie » avec des « citoyens alibi ». Les Etats généraux de 2009 ont été un débat d’experts « dirigeant les débats d’en haut », sans « véritable délibération collective ».

Ce débat parlementaire qui a précédé l’adoption des deux articles de loi n’a eu d´écho que dans les Echos. Et du côté de la société civile, la jeune association « Sciences et Démocratie » qui milite pour faciliter et développer la participation des citoyens aux choix scientifiques et technologiques est la seule à avoir réagi en demandant que la loi soit revue :

  • Elle remet en question le fait que le débat public ne soit envisagé que pour préparer l’examen de projets de loi déjà bien ficelés qui n’autoriseraient plus que des ajustements à la marge.
  • Elle met en lumière le fait que cette proposition de loi ne serait là que pour rendre acceptable la suppression prévue de l’obligation de réviser la loi de bioéthique tous les 5 ans et critique le caractère facultatif du débat public.
  • Elle regrette que le législateur, en donnant tout pouvoir d’initiative au CCNE (Comité consultatif national d´éthique), n’ait pas laissé de place à l’initiative citoyenne.
  • Enfin, sur les modalités du débat, elle ne se satisfait pas du texte qui « en dit trop ou trop peu (…). Ces démarches participatives peuvent présenter des biais de procédures qui en compromettent la régularité. Par exemple, il est possible d´orienter les conclusions des panélistes d´une conférence de citoyens via le choix des formateurs qui leur sont attribués et des personnes qu´elles peuvent consulter. Lors des Etats généraux de la bioéthique 2009, les organisateurs ont fait le choix de ne pas exposer les panélistes aux arguments des militants associatifs, pour éviter que les sentiments qu´ils n´auraient pas manqué d´éprouver lors de ces échanges ne brouillent leur jugement. Ce choix est tout à fait discutable ».

La proposition de loi est maintenant entre les mains du Sénat. Il est encore temps pour les citoyens de se manifester pour le faire évoluer, sans précipitation. Lors du prochain grand débat, il sera trop tard…

>> Dans un article publié le 18 mars sur Vivagora.org, Dorothée Benoit-Browaeys démontre que cette proposition de loi consacre la prééminence des tenants de la neutralité par rapport à ceux du pluralisme. « Pour les premiers, tout l’argumentaire des militants associatifs est mis hors jeu (hors formation) car il est vu comme susceptible de brouiller le jugement. Pour les seconds, les « savoirs situés » sont tout aussi légitimes que les « connaissances académiques », avec une utilité complémentaire de mise en contexte ».

>> A la fin de l´article publié le 20 mars sur son blog critique de sciences, Jacques Testart conclut que « ce texte n’est aucunement une avancée puisque la procédure n’est pas décrite, même grossièrement… ce qui permettra de neutraliser les demandes de véritables CdC (Conventions de citoyens) comme celles que nous souhaitons (Sciences Citoyennes) et de confirmer la fonction de leurre démocratique des propositions de plus en plus fréquentes pour la “participation” des citoyens aux choix de société…»


[1] L´Office parlementaire d´évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) est une structure commune à l´Assemblée nationale et au Sénat. Il a été à l´initiative de la toute première conférence de citoyens en France en 1998, qui portait sur les OGM.

Débat public sur les nanotechnologies : mal barré ?

La barre n’a pas toujours été facile à tenir tant les débats ont été houleux, au point d’avoir dû être écourtés, voire annulés pour certains. Mais c’était le premier sujet de société qu’abordait la Commission nationale de débat public (CNDP) plutôt habituée à traiter de projets d’infrastructure…

débat nanotechnologies

Nanorobot, vue d´artiste. Crédit : Ynse

Jet d’ammoniaque à Toulouse, chahut et airs de pipeau à Grenoble, huées et sifflets à Lille, dégradations à Orsay. Depuis son lancement le 15 octobre 2009 à Strasbourg, le Débat public Nanotechnologies a été régulièrement perturbé ou empêché, obligeant les organisateurs, pour redresser la barre, à mettre en place un système de retransmission video sur internet pour les 8 ou 9 débats restants.

La contestation du principe même du débat est menée par l’association Grenobloise Pièces et main d’œuvre (PMO) qui s’est fait connaître par des manifestations lors de l’inauguration en juin 2006 de Minatec, complexe scientifique consacré aux nanotechnologies.

Pièces et main d’œuvre, interviewé par Bastamag  : « La Commission nationale du débat public (CNDP) a été mandatée par le gouvernement pour une série de pseudo-débats sur les nanotechnologies, dix ans après la décision d’investir massivement dans ce domaine, trois ans après l’inauguration de Minatec, le “premier pôle européen de micro et nanotechnologies” à Grenoble, et alors même que le “Plan de relance” et le “grand emprunt” de Sarkozy font des nanos leur priorité. Il ne s’agit pas de permettre à la population des choix politiques, mais de les lui faire avaliser, après coup. Les décideurs (…) usent de procédures d’acceptabilité mises au point par des sociologues selon lesquels “faire participer, c’est faire accepter”. L’opération de communication du gouvernement, via les pseudo-débats de la CNDP, est une tentative pour étouffer cette contestation. Nous avons appelé au boycott et au sabotage de cette manipulation qui vise à faire croire à la population qu’elle à son mot à dire dans les plans étatico-industriels ».

Jean Bergougnoux, président de la Commission particulière du débat, dénonce « les méthodes totalitaires de ceux-là mêmes qui craignent que les nanotechnologies conduisent à une société totalitaire », faisant écho à un slogan entendu à Grenoble : « Les nanos, c’est pas vert, c’est juste totalitaire ! ».

La genèse du débat public sur les nanotechnologies

Présenté comme issu du Grenelle de l’environnement, il avait en fait déjà été promis par Dominique de Villepin en mai 2006. Mais la CNDP n’a finalement été saisie, par huit ministères, que le 23 février 2009, pour “organiser un débat public sur des options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies”.

Mais selon Sciences et Démocratie, « même des membres de la CNDP reconnaissent “qu´il a été conçu comme une opération d´information“. L´objectif était de tenter d´exorciser la peur du grand public et de rassurer le lobby technologique qui, comme le pointe Jean-Pierre Dupuy dans La marque du sacré (Carnets Nord, 2008, p115), a peur que les nanos ne subissent le même sort que les OGM.

Si les autres associations ou ONG partie prenantes du débat en ont accepté le principe, certaines n’en ont pas moins été très critiques ou ont quitté le débat en cours de route. Ainsi les Amis de la terre qui avaient fait le choix de participer à la consultation publique pour faire entendre leur opposition aux nanotechnologies et demander un moratoire, ont selon Basta, finalement jeté l’éponge. Ils estiment que le débat « s’enlise dans des rencontres d’experts partisans et peine à aborder les enjeux globaux, les risques et les finalités des “nanotechs” avec les citoyens  ».

De leur côté, deux associations en pointe dans les débats science-société, Vivagora et Sciences et démocratie (S&D), relèvent les nombreuses déficiences du débat de la CNDP.

Pourquoi intervient-il alors que des centaines de « nanoproduits » seraient déjà sur le marché et que le gouvernement investit des millions d’euros dans le développement des nanotechnologies ?

« Malgré 17 réunions, ce débat ne permet que d´esquisser les problèmes, non d´élaborer des solutions. Pouvait-on de façon réaliste espérer débattre de la question centrale de la protection des consommateurs en une heure par exemple ? C´est pourtant le temps qui lui a été accordé dans la séance d´Orléans. Les choix des organisateurs du débat sont évidemment en cause. En multipliant les thèmes et en donnant la possibilité à tout intervenant de prendre la parole sur le sujet de son choix, la CNDP réduisait fortement les chances de pouvoir discuter sérieusement du moindre sujet ». (S&D)

« Il y a un problème de méthodologie, estime Dorothée Benoit-Browaeys, de l´association Vivagora pour l´engagement des citoyens dans la gouvernance des technologies. Sur un sujet aussi vaste, le débat ne peut pas se réduire à quelques mois, l´information ne peut venir d´en haut et la séparation des rôles doit être claire ».

D’autres soulignent l’absence d’enjeu clair (A quoi vont servir ces débats ?) ou dénoncent la  restriction du débat aux options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies, et demandent que soit débattue l’utilité sociale des nanotechnologies de manière globale.

Nano : un sésame qui a perdu de sa magie !

Une des difficultés du débat sur les nanotechnologies est que son objet, les nanos, est difficile à cerner. Nanotechnologies, nanoparticules, nanomatériaux, une certaine confusion entoure l’utilisation des différents termes. Plébiscité au départ par chercheurs et industriels parce qu´il leur permettait d´accéder à des subventions, ce sésame a fini par devenir encombrant après avoir regroupé sous son label des projets ou des réalisations contestés.

Pour en savoir plus :

Quelles leçons peut-on déjà tirer ?

S´il est difficile d´approuver les tentatives répétées de sabotage visant à entraver une des rares institutions faisant de la démocratie participative au niveau national, on peut tout de même se réjouir que, sous la pression des évènements, la CNDP ait mis en place des moyens – vidéoconférence et internet – permettant d´étendre l´audience des débats. Pourquoi en effet organiser des débats locaux alors que les thèmes abordés étaient d’intérêt national ?

Il faudra aussi que les organisateurs de « grands débats » adaptent leurs pratiques à la complexité des nouveaux enjeux. De ce débat exemplaire, on peut déjà tirer au moins deux types d´enseignements.  

D´abord, le débat n’est possible que s’il y a volonté commune de débattre. Dans le cas des nanotechnologies, il n’y avait pas d’entente possible sur un « monde commun » entre le gouvernement qui demandait un « débat sur les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies » et PMO qui rejette en bloc « un monde entièrement piloté par la machine ».

Ensuite, l’éthique d´un débat ne peut reposer uniquement sur les participants. Les organisateurs, par leurs choix en amont et les moyens qu’ils allouent, conditionnent de manière prépondérante le bon déroulement d’un débat et l’atteinte des objectifs fixés. Ce que la Commission européenne appelle « le cadrage du débat ». Cela passe en particulier par :

  • La transparence sur les objectifs et l´absence de biais
  • La présence d’un enjeu. A quoi va servir la discussion ?
  • Le choix des acteurs et la répartition du pouvoir
  • Un bon phasage dans le temps (le débat ne doit intervenir ni trop tôt, ni trop tard)
  • Suffisamment de temps pour l´information, l´expression de tous les points de vue, l’échange, la maturation, la recherche de consensus…
  • Des moyens en adéquation avec les objectifs.

Les agrocarburants sont là (I)

On ne le sait pas toujours, mais nos réservoirs contiennent déjà des agrocarburants, le plus souvent mélangés aux carburants habituels, essence et surtout gazole. En 2008, ils y ont été introduits à hauteur de 5,7 %. Mais alors qu’ils sont largement contestés, leur proportion va encore augmenter en France jusqu’à atteindre 10% en 2015.

colza agrocarburant biocarburant

Le diester de colza est le biocarburant le plus utilisé en France. Il présente une meilleure efficacité que le bioéthanol, mais demande le double de surfaces agricoles – Crédit photo : Jean

Biocarburant ou agrocarburant ? Bien que l’Assemblée nationale ait tranché en faveur de l’appellation biocarburant, il n’est pas illégitime de parler d’agrocarburants pour les carburants de première génération qui sont tous issus de l’agriculture : éthanol de blé et de betterave et diester de colza constituent en effet l’essentiel de la production française. Il faudra attendre les carburants de deuxième et troisième génération [1] qui ne sont encore qu’au stade de la recherche ou du développement, pour s’affranchir de l’agriculture.

Le diester, plus discret que l’éthanol, mais très présent

En France, on parle de diester ou d’EMHV (ester méthylique d’huiles végétales) plutôt que de biodiesel, car il s’agit essentiellement d’ester – de colza surtout et de tournesol, un peu. Il représente plus de 80% des agrocarburants consommés, mais passe totalement inaperçu car il est ajouté au gazole en toute discrétion, à hauteur de 7% maximum (6% en 2008).

De son côté, le bioéthanol qui ne représente que moins de 20% des agrocarburants, est présent dans quatre carburants commerciaux : les usuels SP95 et SP98 et deux petits nouveaux – le SP95-E10 et l’E85 :

  • Le SP95-E10 introduit en avril 2009 va permettre d’augmenter les doses d’éthanol dans l’essence, mais n’est utilisable que dans les véhicules sortis des chaînes postérieurement à 2000.
  • L’E85 requiert quant à lui des véhicules spécialement adaptés – dits Flexfuel – et reste pour cette raison très confidentiel en France, malgré le battage médiatique lors de son lancement en 2007 et son prix incitatif.
France : où trouve-t-on les agrocarburants ?biocarburant agrocarburantL´éthanol peut être mis dans l’essence, soit pur, soit sous forme d’ETBE (obtenu en faisant réagir 47% d´éthanol avec 53% d´isobutène). En 2008, 65% de l’éthanol a été introduit sous forme d’ETBE, qui présente un certain nombre d’avantages techniques et permet d’en incorporer plus, mais présente une moins bonne efficacité énergétique et un bilan CO2 également moins bon (- 10%).

Les prix sont donnés à titre indicatif. Ils ont été relevés en décembre 2009 sur www.prix-carburants.gouv.fr pour un hypermarché de province. Ils doivent être examinés en gardant à l´esprit qu´un litre d´éthanol a un pouvoir énergétique réduit d´un tiers par rapport à un litre d´essence. Ainsi, un litre d´E10 doit coûter au moins 2 cts de moins que le SP95 pour être intéressant, un litre d´E85 au moins 33 cts de moins.

Bilans énergétique et écologique mitigés pour le diester, insuffisants pour l’éthanol

Dès sa publication le 7 octobre 2009, la synthèse de l’Ademe sur « l´analyse de cycle de vie des biocarburants première génération » a été si fortement contestée, en particulier par le Réseau Action Climat-France, qu’elle a été immédiatement retirée et que les détails de l’étude n’ont pas été rendus publics.

Cette étude visait à préciser et compléter des études antérieures qui ne prenaient pas suffisamment en compte les changements d’affectation des sols induits par les agrocarburants. La destruction de prairies ou de forêts peut en effet entraîner un déstockage massif de CO2 et l’inversion de bilans apparemment positifs. Il faut ainsi 200 ans pour que de l’éthanol de blé cultivé à la place d’une forêt tempérée compense les émissions de CO2 entraînées par sa  destruction.

Agrocarburants : deux filières concurrentesbiocarburant agrocarburant(Mtep = megatep, ou million de tonnes équivalent pétrole)

Il y a plusieurs méthodes pour faire les bilans énergétiques et de gaz à effet de serre du « puits à la roue », et donc forcément des désaccords. Les chiffres retenus ici (Etude européenne JCR/EUCAR CONCAWE mise à jour en 2006) ont été établis selon la méthode de substitution, ou des impacts évités, qui est, selon l’Inra, la seule satisfaisante.

Les rendements à l’hectare indiqués ci-dessus ne tiennent pas compte des coproduits. Les drèches, pulpes et tourteaux [2] issus des cultures d’agrocarburants permettent pourtant de réduire les surfaces cultivées pour l’alimentation animale.

Si l’on fait abstraction du changement d’affectation des sols, on voit que le biodiesel est nettement plus performant que le bioéthanol. Le biodiesel nécessite en effet beaucoup moins d’énergie fossile « du champ à la roue » que son concurrent et est également à l’origine d’émissions de CO2 plus faibles. L’écart se creuse encore quand on le compare à l’ETBE, forme sous laquelle sont utilisés les deux tiers du bioéthanol produit en France.

Que le biodiesel soit plus attractif est plutôt une bonne nouvelle, car la France manque de gazole et croule sous les excédents d’essence. Mais, toute médaille ayant son revers, le rendement à l’hectare du biodiesel est environ deux fois moindre que celui du bioéthanol. Le risque est donc plus grand que l’extension des cultures d’oléagineux entraîne directement ou indirectement des destructions de forêts.

Les agrocarburants : un moyen trop cher de réduire le CO2

Les agrocarburants coûteraient 160 € par tonne de CO2 évitée. C’est très cher, sans commune mesure avec le prix de 17 € sur lequel est basée la taxe carbone. Même si celle-ci doit atteindre progressivement 100 € d´ici 2030, on est loin du compte, d’autant qu’il existe des moyens plus abordables pour réduire les émissions de CO2 et que la plupart des mesures d’économie d’énergie permettent même de gagner de l’argent.

Au niveau de l’Union européenne, l’incorporation de 5,75% d’agrocarburants coûte 10 milliards d’euros pour un bénéfice de 3,2 milliards. Le manque à gagner pour l’Etat français a été de 720 M€ en 2008, correspondant aux dégrèvements fiscaux institués pour que le prix à la pompe reste compétitif.

Même si l’évolution à la hausse du prix du baril va tôt ou tard rendre inutile le soutien financier des états, il est à craindre que les prix des denrées alimentaires s’alignent alors sur les prix du pétrole, faisant resurgir durablement les pénuries apparues en 2008.

En savoir plus :

>> Biocarburants : Audition publique de l’Office parlementaire des choix techniques et scientifiques

>> Agrocarburants, cartographie des enjeux. Réseau Action Climat-France et Fondation Nicolas Hulot

>> Bioéthanol – Le carburant qui voit la vie en vert (Le point de vue des betteraviers, des céréaliers et des producteurs d’alcool agricole).

>> Diester, le diesel vert (Le point de vue de la filière française des huiles et protéines végétales).


>> Voir aussi dans Ouvertures : Biocarburants contre agrocarburants, Les agrocarburants sont arrivés trop tôt !


[1] Les carburants de deuxième génération seront fabriqués à partir de matières premières non alimentaires (bois, déchets agricoles …), ceux de troisième génération à partir d´algues.

[2] Les drèches, coproduit des céréales, les pulpes des betteraves et les tourteaux des oléagineux sont utilisés pour nourrir les animaux d´élevage.

Les agrocarburants sont arrivés trop tôt ! (II)

Les agrocarburants se sont installés dans le paysage agricole et industriel. Après avoir pris une place importante au Brésil, ils progressent aux Etats-Unis et sont poussés en avant par l’Union européenne.  Le point commun de ces politiques est qu’elles ont été lancées sans véritable stratégie ni étude d’impact global. Autrement, on aurait sans doute attendu les biocarburants de 2e ou 3e génération – dont l’automobile du futur ne pourra se passer – et, à court terme, privilégié des utilisations plus efficaces de la biomasse.

Il y a trois raisons de faire des biocarburants :

  • réduire la dépendance énergétique
  • fournir de nouveaux débouchés à l’agriculture
  • réduire les émissions de CO2

En France, les agrocarburants ont d’abord été vus comme un moyen d’utiliser les jachères imposées par l’Union européenne pour enrayer la surproduction agricole tout en jetant les bases d’une filière prometteuse. La fin annoncée du pétrole et son fort handicap CO2 semblaient en effet plaider en leur faveur.

Mais c’était compter sans :

  • la crise alimentaire de 2008 qui a subitement révélé que les agrocarburants allaient ôter le pain de la bouche de centaines de millions d’habitants des pays du Sud ;
  • la prise de conscience que la mise en culture des agrocarburants allait souvent se traduire au bout du compte par une déforestation très coûteuse en CO2 ;
  • la réalité de rendements énergétiques et donc de bilans CO2 moins attrayants que sur le papier.

Un nouveau pavé dans la mare

Récemment, une étude américaine  a porté un nouveau coup aux agrocarburants en montrant qu’il valait mieux utiliser la biomasse pour faire de l’électricité plutôt que des carburants. Quelque soient les scénarios étudiés, ses auteurs ont calculé [1] que si l’électricité produite était utilisée dans une voiture électrique, celle-ci pourrait faire bien plus de km qu’une voiture alimentée avec l’éthanol produit avec la même biomasse (+81% en moyenne). La filière électrique est également bien plus favorable en termes de CO2.

Mais ce que ne dit pas cette étude, c’est que la biomasse peut être utilisée de manière encore plus efficiente que pour faire rouler des voitures électriques :

  • le bois peut être utilisé comme matériau de construction, avec le double bénéfice de prolonger le stockage du carbone et d’éviter les émissions de CO2 liées à la fabrication du ciment.
  • le bois et les résidus végétaux peuvent être utilisés directement pour le chauffage. Si le chauffage au bois est assez répandu, qui sait qu’on peut se chauffer au blé ?
biocarburant agrocarburant
Crédit photo : Rimager

Certes, mais alors, comment fait-on rouler nos autos sans émettre de CO2 ? Pour répondre à la question, prenons un peu de recul.

La voiture du futur sera « hybride rechargeable »

Il est difficile de prédire combien d’années il faudra pour y parvenir, mais il est certain que la voiture du futur sera verte : zéro CO2, zéro polluants, silencieuse.
Un certain nombre de solutions sont en lice, mais le rapport Syrota (Octobre 2008) nous indique que « le véhicule hybride rechargeable, qui cumule les avantages du thermique et de l’électricité sans en avoir les inconvénients les plus importants, a toutes les chances d’être le véhicule de l’avenir ». Ce sera en fait un véhicule électrique, dont l’autonomie sera augmentée par un moteur thermique et un réservoir de carburant. Ce carburant sera forcément liquide, pour laisser le plus de place possible aux batteries, ce qui exclut les gaz – gaz naturel, biogaz, hydrogène…

Mais avant d’en arriver là, on devrait assister à un double mouvement :

  • d’un côté, on devrait voir la consommation des véhicules à essence et diesel divisée par deux, essentiellement par la réduction de la puissance et du poids des voitures. Relégués aux oubliettes les 4×4 et les grosses berlines allemandes, par le bonus-malus,  la directive européenne sur les émissions de CO2, la taxe carbone…
  • de l’autre, « l’électricité sera progressivement introduite dans la motorisation, de plus en plus hybridée ».

Donc, à moins d’une percée technologique sur les batteries, permettant d’envisager la voiture électrique pour les grands trajets (autonomie de plusieurs centaines de km, recharge rapide), il apparaît que les carburants liquides resteront longtemps indispensables, mais en quantité bien moindre qu’actuellement. Et, réchauffement climatique oblige, ces carburants devront progressivement s’affranchir de leur origine pétrolière ou fossile [2].

En résumé, en Europe, on va avoir de moins en moins besoin de carburants, d’une part parce que la consommation des voitures classiques va être divisée par deux, d’autre part parce que les voitures électriques vont gagner de plus en plus de terrain pour les petits trajets. Mais ce carburant devra être liquide et ne pas émettre de CO2.

Utiliser la biomasse autrement

Les biocarburants de première génération ne répondent pas à ce cahier des charges, car leur gain en termes de CO2 est loin d’être suffisant. Il pourrait même être nul, voire négatif, si on prend en compte le changement dans l’utilisation des terres qu’ils induisent (voir la polémique entourant le rapport de l’Ademe sur l’analyse du cycle de vie (ACV) des biocarburants de première génération). On en est donc actuellement réduits à parier sur la deuxième, voire la troisième génération.

En attendant, la biomasse serait utilisée beaucoup plus efficacement en substitution d’autres énergies fossiles que l’essence ou le gazole :

  • le fioul domestique peut céder la place au bois pour le chauffage et être utilisé comme  gazole, dont la France est actuellement obligée d’importer d’importantes quantités [3].
  • le gaz naturel peut être remplacé par du biogaz dans les centrales électriques, avec l’avantage de pouvoir restituer aux sols le compost issu de la fermentation anaérobie [4]
  • en remplaçant le béton dans la construction par du bois, on évite de brûler du pétrole ou du charbon dans les cimenteries.

Même si on peut regretter que l’automobile ne soit pas le bon débouché pour la biomasse, il ne faut pas perdre de vue que d’autres voies sont activement développées pour réduire son empreinte carbone : amélioration de l’efficacité énergétique et voiture électrique.

>> Voir aussi dans Ouvertures : Biocarburants contre agrocarburants, Les agrocarburants sont là


[1] Ils ont procédé à une analyse du cycle de vie, prenant en compte toutes les étapes, y compris la fabrication des voitures. Pour la production d’électricité, ils n’ont pas retenu l’hypothèse de la cogénération qui pourrait encore accroître l’avantage de la filière électrique en valorisant la chaleur produite dans la centrale.

[2] Bien que l’on sache fabriquer des carburants liquides à partir de gaz ou de charbon, ces voies sont condamnées par les fortes émissions de CO2 qu’elles supposent.

[3] La France (et plus généralement l’Europe) est excédentaire en essence et déficitaire en gazole. Le gazole et le fioul domestique étant, à quelques additifs près, des produits identiques, toute réduction de la consommation de fioul permet de réduire notre déficit en gazole.

[4] Le prélèvement de biomasse appauvrit les sols et nécessite l’apport d’engrais. En restituant le compost issu de la génération de biogaz, on réduit la perte d’humus.

Google Sidewiki, pour mettre son grain de sel partout

Sidewiki est un volet de commentaires potentiellement présent sur toutes les pages web. En lançant ce nouvel outil, dont le caractère révolutionnaire n´a pas été réellement perçu, Google risque de s´attirer les foudres des propriétaires de sites allergiques au dialogue ou désireux de rester maîtres de leur image.

sidewiki commentaires débat

De quoi s’agit-il ?

Pour visualiser le volet de commentaires Sidewiki ou poster un commentaire, il suffit d’avoir la dernière version de la barre d’outils Google (Google toolbar). Si une page a déjà été commentée, un double chevron >> apparait dans la marge gauche du navigateur. En cliquant dessus, on ouvre Sidewiki qui, comme son nom l’indique, vient se mettre sur le côté de l’écran.

Ce n’est pas à proprement parler un wiki, car on ne peut bien sûr pas modifier le contenu de la page web, ni les commentaires des autres. On peut par contre, modifier à volonté ses propres commentaires. J’en ai posté quelques-uns en marge de cet article pour illustrer le fonctionnement de l’outil et vous permettre de le tester.

Comment installer sidewiki ?

Une fois installée la barre d´outils Google pour Internet Explorer ou Firefox (sidewiki pour Google Chrome n´est pas encore disponible), celle-ci doit apparaître dans la partie supérieure de l´écran.
Si ce n´est pas le cas, cochez “Barre d´outils Google” dans le menu Affichage/Barres d´outils. Ensuite, pour poster un commentaire, il suffit de cliquer sur le bouton sidewiki.

sidewiki

Quelles sont les intentions de Google ?

En s´installant chez les autres sans rien demander, qu’ils aient déjà leur propre système de commentaires ou non, qu’ils le souhaitent ou non, Google adopte la stratégie du coucou. Gageons que les propriétaires de sites ne vont pas se laisser faire par l´intrus qui ne s´est pas forcément blindé au niveau juridique comme le laissent à penser les actions en justice que suscite l’offensive de Google Books.

Mais le véritable risque de leur stratégie est qu’elle ne prenne pas. Il faudra en effet une masse critique d’utilisateurs pour que ça marche.

Il est parfois difficile de comprendre quels intérêts se dissimulent derrière certains outils offerts par la firme de Mountain View, et celui-ci n’échappe pas au questionnement. Est-ce un nouveau moyen d’introduire de la pub sur les écrans ? Pour l’instant, elle est absente.

Comment va-t-il être utilisé ?

Malgré ses grandes qualités, Sidewiki ne présente a priori pas un intérêt décisif pour commenter des pages qui en offrent déjà la possibilité, si ce n’est pour contourner la  modération. L’audience de Sidewiki restera en effet par construction toujours plus faible que celle de la page consultée.

C’est par contre un moyen de pression formidable sur des sites institutionnels ou commerciaux, publics ou privés, actuellement fermés à tout dialogue. Les militants,  consommateurs, etc… ne devraient pas tarder à s’en rendre compte et à s’engouffrer dans la brèche.

Sidewiki peut-il être utilisé pour débattre ? Tout dépend de son audience. Mais ses atouts  indéniables par rapport aux systèmes actuels de commentaires et sa présence dans la déjà populaire barre d´outils Google devraient contribuer à le faire adopter par ceux qui aiment débattre. Des débats pourront alors être organisés en marge de sites ou de pages web existantes ou sur des sites dédiés.

Pour en savoir plus :

>> Google a annoncé le 2 septembre 2011 qu´il mettait fin à Sidewiki.

Les citoyens du monde hyperconcernés par le réchauffement

Deux mois avant le sommet de Copenhague, une initiative danoise a rassemblé 44 panels de 100 citoyens dans 38 pays autour de la question du réchauffement climatique. Qu´ils habitent dans des pays développés ou non, ils ressentent tous l´urgence d´un accord au niveau mondial, mais ce sont les habitants des pays les plus pauvres qui sont le plus sensibles à l´impact du réchauffement.

C´était samedi 26 septembre 2009 à la Cité des sciences de Paris et dans 37 autres pays, sur tous les continents. Chacun des 4400 citoyens devait répondre aux mêmes 12 questions et émettre des recommandations élaborées collectivement.

Cette conférence de citoyens mondiale, une première, a révélé une opinion publique moins timorée et plus ambitieuse sur les objectifs de réduction que ses représentants. Alors que ceux-ci visent un objectif d´au plus 25% avant 2020, les panels de citoyens les désavouent massivement : 58% veulent réduire les émissions de 25 à 40% et 31% souhaitent faire mieux que 40%. Et ils sont prêts à mettre la main au porte-monnaie, y compris les habitants des pays les moins développés. En moyenne, seuls 20% ne veulent pas entendre parler d´augmentation du prix des énergies fossiles.

Un monde de diversité !

Quand on compare entre elles les réponses des différents panels à la question 4.1 relative au prix des énergies fossiles, on constate une très grande dispersion des résultats.

réchauffement climatique COP15

Si on n’est pas vraiment surpris d’apprendre que 36% des français pensent que le prix des combustibles fossiles ne devrait pas être réglementé – le débat sur la taxe carbone vient d’avoir lieu – d’autres résultats sont plus étonnants.

Ainsi, ce sont les citoyens des pays les plus pauvres qui sont le moins réfractaires à l’idée de l’augmentation du prix de l’essence. Et les 10 pays les plus réticents sont tous des pays riches. Serait-ce là une nouvelle illustration de l’égoïsme des riches face à la générosité des pauvres ? Ou simplement le reflet des parcs automobiles de ces pays ? Dans un pays riche, la plupart des gens possèdent une voiture, mais beaucoup peinent à en faire le plein, alors que dans les pays pauvres l’essence n’est pas, pour la plupart, un produit clef dans leur budget. Ou encore la conséquence du fait que l’essence n’est pas taxée – elle est parfois même subventionnée – dans un  certain nombre de pays pauvres ?

La réaction des Suédois interpelle également. Personne là-bas ne semble remettre en cause la taxe carbone introduite en 1991 au taux de 27 €/tonne de CO2, et régulièrement augmentée – actuellement 100€ (La France va démarrer à 17€).

L’explication des différences importantes au sein d’un même pays ou de pays de même niveau de vie doit être trouvée, au risque de jeter la suspicion sur la représentativité des panels ou la manière dont ont été conduites les séances. Pourquoi, en effet, les suisses de Lugano (45% de non) sont-ils plus réticents que ceux de Berne (5% de non), les américains du Colorado (43%) plus que ceux de Boston (14%) ?

Certes, la question était mal formulée (Question : « Est-ce que le prix du combustible fossile devrait être augmenté ? » Réponse proposée : « Non, il ne devrait pas y avoir de réglementation de prix »). Au point que JM Raoult, citoyen de Chalon sur Saône, m’a avoué avoir hésité sur son interprétation. Mais est-ce la seule explication à l’étrangeté de certains des résultats ? Le rapport final annoncé pour le 19 novembre 2009 devrait fournir des éléments d’analyse.

Après avoir débattu des questions posées et s´être prononcés par vote, les 100 citoyens français sélectionnés par la SOFRES ont élaboré ensemble des recommandations dont trois ont été retenues :

   1. Développer l´éducation à l´environnement
   2. Créer un organisme mondial indépendant neutre
   3. Créer un fonds monétaire mondial pour le climat

Les résultats détaillés de cet exercice de démocratie participative assez exceptionnel peuvent être consultés sur les sites COP15 pour la France et wwviews pour l´ensemble des pays (en anglais). Puissent les politiques entendre cette voix globale sur un sujet qui ne l´est pas moins !

Fondamentalisme religieux : anatomie d´un désastre

« Alors que le christianisme est la religion de la sortie de la religion, l´islam est la religion du retour vers la religion. »

En retournant cette célèbre formule de Marcel Gauchet [1], Enyo ne fait qu´exprimer un constat : l´islam gagne du terrain. Mais pourquoi assiste-t-on à un regain de ferveur et à des conversions en nombre, aussi bien dans les pays musulmans qu´au sein des pays occidentaux ? L´explication, l´auteur nous la fait découvrir en décryptant l´actualité récente au regard de l´histoire multiséculaire de la confrontation entre islam et chrétienté. Fine connaisseuse du monde islamique, elle tente de nous convaincre que le vrai danger pour les démocraties n´est pas tant le terrorisme islamiste que l´action en profondeur des fondamentalistes. Dans cette guerre qui ne vise, ni plus ni moins, qu´à imposer la charia [2] dans le monde entier, les actions les plus spectaculaires ne sont pas forcément les plus destructrices.

Elle nous invite à comprendre que le néo fondamentalisme n´est pas une aberration de l´islam, mais en constitue un moment historique. Il est un sous-produit de la mondialisation, qui fournit les conditions et les outils du renforcement de cette citoyenneté religieuse universelle qu´est l´oumma. Le succès des fondamentalistes repose sur un discours qui, bien que simpliste et inculte, répond à une attente insatisfaite de la majorité des musulmans.

Le problème pour les démocraties, c´est que la charia est incompatible avec la notion de contrat social qui est au principe de leur fonctionnement et implique un individu autonome, libre de ses choix. Lutter contre l´extension de toute forme de souveraineté islamique passe donc aussi par le renforcement de la souveraineté démocratique. Ce que les Etats-Unis, et à un moindre degré l´Europe, ont tendance à négliger en se concentrant sur la lutte antiterroriste.

Même si l´auteur, issue des services de renseignement d´un pays dont elle tait le nom,  cautionne des méthodes contestables, elle appelle à une revitalisation de la « force civique » et de la solidarité, sans céder à la tentation de l´apaisement, litière de tous les renoncements.

Enyo, Anatomie d´un désastre – L´Occident, l´islam et la guerre au XXIe siècle, Denoël Impacts, Paris, 2009, 387 p, 24 €.

>> Présentation de l´éditeur et commentaires de lecteurs

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[1] Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion, Gallimard, Paris, 1985

[2] Le salut annoncé par le prophète se gagne par la conformation à des normes à décliner selon la voie (charia) qui passe par l´entière soumission au pouvoir infini de Dieu (p 88). La parole de Dieu seule pourvoit à l´organisation sociale (p 125).

Taxe carbone : beaucoup de questions !

La situation s´est inversée. Alors qu´un large consensus s´était dégagé à l´issue du Grenelle de l´environnement sur la nécessité d´un signal-prix pour orienter nos comportements et nos décisions économiques, l´arrivée d´un nouvel impôt a bien du mal à passer dans l´opinion. Et c´est Nicolas Sarkozy, le même qui avait souhaité temporiser en n´incluant pas ce dossier dans le paquet Grenelle I, qui en est maintenant le plus fervent supporter. Mais à quel prix ?

Cet article, écrit à l´issue de la conférence d´experts du début juillet 2009, permet de mesurer à quel point les enjeux se sont déplacés. Alors que la le principal débat portait sur la manière d´utiliser les recettes, cette question est maintenant reléguée au second plan puisque les recettes attendues ont considérablement diminué : de 32 € la tonne de CO2, prix préconisé par la commission Rocard, on est passé à 17 €.

Michel Rocard conférence experts contribution climat énergie

L´idée de taxe carbone n´est pas nouvelle. A l´annonce de sa nomination comme président de la conférence d´experts des 2 et 3 juillet, Michel Rocard s´est plu à rappeler qu´elle avait été préconisée en 1989 par la mission effet de serre qu´il avait créée quand il était premier ministre. « Cela fait donc 20 ans que l´on en parle et on n´a pas osé parce que c´est une affaire énorme ».

Cela peut en effet devenir une affaire énorme si, à l´instar de la Suède, on en profite pour remettre à plat toute la fiscalité, dont il pointe l´incohérence actuelle : « La TIPP qui freine nos consommations de pétrole (ressource non renouvelable, importée en totalité et dont la consommation crée le changement de climat), ne représente que 3,5% de nos prélèvements obligatoires ; simultanément, la main d’œuvre qui est renouvelable, que nous n’importons pas et dont la sous utilisation coûte budgétairement très cher (sans parler de son coût social non monétarisé) sert d’assiette à 38% de nos prélèvements… »

Taxe carbone ou quotas d´émission négociables ?

Certains, dont Michel Rocard, voudraient faire la peau du système des quotas d´émissions et du marché de permis associé : un dispositif complexe, instable, et qui laisse une trop large place à la négociation et aux exemptions. Il vient d´être reconduit par l´UE dans le cadre du paquet climat énergie, visant une réduction de 20% des émissions de CO2 à l´horizon 2020[1],  voire 30% si les autres pays s´engagent suffisamment à Copenhague. Les réalistes rappellent qu´en France ce système qui ne s´applique qu´aux gros émetteurs de CO2, production d´électricité et industrie lourde, ne couvre qu´environ un tiers des émissions. Ils prônent la coexistence entre les deux systèmes dont les domaines d´application sont différents. La Contribution climat énergie (CCE), elle, s´appliquera aux émissions dites diffuses des transports, du chauffage, de l´agriculture et des PME qui représentent les deux tiers du total. Pour celles-ci,  les pays membres de l´UE gardent la  liberté du choix des moyens. Seul l´objectif est fixé : -14% pour la France et l´Allemagne[2].

Faut-il affecter les recettes de la CCE ou les banaliser ?

Au taux de 32 €/tonne de CO2, les recettes de la Contribution climat-énergie devraient s´élever à 9 milliards d´euros la première année. C´est l´ordre de grandeur du trou à combler dans les finances locales suite à l´annonce par Nicolas Sarkozy de la suppression d´une part importante de la taxe professionnelle. Mais même si l´idée de saisir cette opportunité a été évoquée à plusieurs reprises, il semblerait qu´elle soit maintenant abandonnée.

CCE et TIPP : quelques ordres de grandeur

Pour commencer, la tonne de CO2 serait valorisée à 32 €, soit 9 centimes par litre de gazole.

A titre de comparaison, la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers) est actuellement de 43 centimes par litre pour le gazole et 61 centimes pour le super.

Autre point d´ancrage, la CCE pèserait 17$ par baril en 2010, 52$ en 2020, à comparer au cours du pétrole brut qui a fluctué entre 35 et 145 $ en 2008-2009.

Contribution climat énergie

TIPP = Taxe intérieure sur les produits pétroliers
TICGN = Taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel
TICC = Taxe intérieure de consommation sur le charbon

Réformer la TIPP (Taxe intérieure sur les produits pétroliers), réduire les charges qui pèsent sur la main d´œuvre, distribuer un chèque vert, créer un fonds d´aide à la recherche et à l´investissement, aider les pays en voie de développement… Ce ne sont pas les idées qui manquent. Mais derrière leur foisonnement, on voit s´affronter deux conceptions qui semblent à première vue irréconciliables.
Les uns, dont le point de vue est représenté par Michel Taly, avocat fiscaliste, veulent sanctuariser les recettes de la CCE, arguant du fait que son objectif est particulier. Le fond autonome ainsi constitué serait mieux à même de servir la logique de la lutte contre le réchauffement.
Les autres veulent au contraire la verser au pot commun, insistant sur le fait que ce ne serait que le premier pas d´un indispensable verdissement de la fiscalité, rejoignant les remarques préalables de Michel Rocard.

Redistribuer ou aider ?

Cette problématique se décline sur le terrain de la compensation de la perte du pouvoir d´achat pour les ménages. Ainsi, dans la logique d´un fond bien identifié, la Fondation Nicolas Hulot propose de restituer aux ménages la totalité des 3.5 milliards de leur contribution sous forme d´une allocation universelle de 130 € par an. Ce mécanisme, qui n´enlève rien au caractère incitatif de la CCE, doit aider à faire passer une mesure a priori impopulaire, sans coût net pour la collectivité. Les riches qui consomment beaucoup d´énergie seraient perdants, les pauvres a priori gagnants. Dans la logique du pot commun, on se limiterait par contre à des mesures d´accompagnement pour aider les ménages les plus touchés, en particulier ceux qui habitent à la campagne ou dans de lointaines banlieues. Ceux-ci n´ont en effet, en tous cas à court terme, aucune alternative aux longs trajets en voiture ni les moyens de changer leur chauffage individuel, majoritairement au fioul.

La question se pose également pour les entreprises. Faut-il compenser les coûts supplémentaires induits par cette nouvelle taxe ? Celles qui ne sont pas exposées à la concurrence internationale peuvent la répercuter dans leurs prix et transmettre le signal prix aux consommateurs. Mais les autres ? L´idéal serait évidemment que tous les pays de l´Union européenne se rallient à la Suède, un des premiers pays à avoir institué une taxe carbone en 1991, comme l´a souhaité son premier ministre en prenant la présidence tournante de l´UE. En attendant, la solution la plus consensuelle consisterait à abaisser les charges sociales patronales de 0.5  points, un montant équivalent à la contribution des entreprises (5,2 milliard €). Même si cette compensation serait très inégalement partagée[3], elle aurait au moins le mérite, comme l´ont montré les modèles des économistes, de donner un coup de pouce au PIB. C´est le fameux deuxième dividende. La CCE serait ainsi doublement gagnante, pour l´environnement et pour l´économie.

Le CO2 uniquement ?

Le CO2 est le gaz qui contribue le plus à l´effet de serre. Du coup, on a tendance à oublier les autres. Mais il y a fort à parier que cet oubli soit politique, car le CH4 (méthane) et le N2O (oxyde nitreux) sont essentiellement liés à l´activité agricole et que le domaine est sensible. Quelques voix opiniâtres sont heureusement là pour rappeler qu´il serait possible et souhaitable de taxer les engrais, les têtes de bétail et les déchets agricoles.

Un autre sujet de discussion est le traitement de l´électricité. Sa production étant soumise aux quotas d´émissions, elle ne devrait logiquement pas être taxée. Mais si la taxe carbone a été rebaptisée “Contribution climat énergie”, c´est aussi parce que certains souhaitent que toute énergie soit taxée, et en particulier l´électricité “made in  France” qui émet peu de CO2. La Fondation Nicolas Hulot craint en effet que les français ne se replient trop massivement sur une électricité devenant de plus en plus compétitive par rapport au gaz et au pétrole. Si le prix de l´électricité augmente aussi, les utilisateurs seront incités à l´économiser.

Pour en savoir plus

Le site officiel de la conférence d´experts : www.contributionclimatenergie.fr

Le rapport de la commission des finances du sénat sur la fiscalité environnementale

Deux débats méthodiques sur hyperdebat : Faut-il taxer le carbone ? et Contribution climat-énergie : quelles modalités ?

Deux sites de l´association TAxeCArbone : TACA et Arguments pour une écotaxe


[1] Par rapport à 1990

[2] Par rapport à 2005. Pour la totalité des émissions, diffuses ou non.

[3] Le transport routier recevrait en particulier beaucoup moins que ce qu´il contribuerait. Cela explique que la FNTR (Fédération nationale des transports routiers) ait pris position contre la CCE.