La politique antisecte française repose sur la notion d’« état de sujétion psychologique », notion inscrite dans la loi About-Picard, dite « antisecte ». Cet état serait celui d’une personne qui, victime d’une « manipulation mentale », se verrait dépossédée de son libre arbitre. Ses pensées comme ses actes seraient dès lors soumis à une volonté extérieure qui pourrait les orienter à sa guise et conduire la personne ainsi asservie à des comportements contraires à son intérêt : dons d’argent et de biens, soumission sexuelle, suicide, etc.
Perspective effrayante !
Toute la politique du pays contre l’emprise sectaire est fondée sur cette idée de l’assujettissement par un tiers. Police, justice, publications de la Miviludes, rapports administratifs, associations ad hoc (Unadfi, CCMM, Fecris, etc.), un énorme maillage « préventif » et répressif a été mis en place progressivement depuis une vingtaine d’années pour attaquer des personnes ou des groupes dérangeants, qui sont présumés coupables et exposés à l’opprobre public, hors même décision de justice. Une justice qui, par ailleurs, est « sensibilisée » par les promoteurs de cette politique qui forment eux-mêmes les magistrats à leur vision.
Même un diplôme universitaire
Un diplôme universitaire a même été conçu pour diffuser cette approche partiale de la diversité spirituelle, présentée comme à priori nocive : « Emprise sectaire et processus de vulnérabilité », à l’université Paris V Descartes, Paris.
Passons sur le fait qu’aucun point de vue contraire n’est jamais exposé et que les intervenants sont tous des antisectes assumés, ce qui, à notre avis, discrédite l’entreprise sur le plan déontologique.
Ce que nous voulons souligner aujourd’hui, c’est que le prétendu « état de sujétion psychologique », tel qu’il est officiellement inscrit dans la fameuse loi About-Picard, n’a pas de base scientifique ni médicale !
De multiples travaux traitent de l’influence, de la pression psychologique, de la manipulation, d’abus de transfert, etc. Mais personne, à notre connaissance, n’a étudié « l’état de sujétion » dans lequel un individu serait « privé de son libre arbitre » au profit d’une autre personne.
Pour nous en assurer, nous avons sollicité les autorités pour savoir ce qui en était. Au vu des résultats de notre enquête, nous sommes convaincus que l’emploi de l’expression « état de sujétion » est un abus. En effet, c’est une croyance[1], un préjugé (donc un concept non validé rationnellement) et personne n’a démontré le contraire. Cette expression a-t-elle donc sa place dans une loi de la République ?
Voici à qui nous avons demandé des précisions :
– Conseil de l’ordre des médecins : pas de réponse.
– Académie de médecine (Bruno Falissard, directeur du Centre de recherche en épidémiologie et santé des populations, Inserm) : « A ma connaissance, l’Académie ne s’est pas prononcée sur ce sujet ».
– Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale ; relations avec les médias ) : « Pas trouvé d’éléments d’information dans nos différents supports ».
– Fédération française de psychiatrie (Bernard Odier, président) : « Vous posez une question dont les développements psychiatriques sont actuels et à venir. Le terme est administratif, juridique, avant d’être psychologique ce qu’il est aussi. Le terme sujétion décrit plutôt une relation qu’un état, tandis que la clinique psychiatrique est surtout individuelle. Cependant l’intérêt de la psychiatrie pour les aliénations conduit à ce que les psychiatres se penchent sur ces états de soumission, souvent de servitude volontaire ».
> Nous avons répondu et le président de la FFP nous a envoyé une deuxième réponse.
– Conseil constitutionnel (Service relations avec les médias) : La question, posée le 5 juillet 2016, a été « transmise au service juridique ». Depuis, aucune nouvelle ni réponse à nos sollicitations.
Voici comment nous avions présenté notre requête au Conseil constitutionnel :
« Suite à notre échange téléphonique, je vous communique la question que je souhaite poser au Conseil constitutionnel. C’est une question en deux temps.
1) – D’abord sur le principe :
Un concept irrationnel, ou non défini rationnellement, peut-il servir de base à une loi qui respecterait par ailleurs tous les critères de constitutionnalité ? Comme vous le voyez, il s’agit pour moi de savoir si la question d’une “base rationnelle” à un concept qui entre en jeu dans une loi peut être ou non un critère de constitutionnalité.
2) – Plus précisément, il s’agit du concept de “sujétion psychologique” (je ne parle pas de la suggestion), tel qu’il figure notamment dans la loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales”. En effet, d’après mes recherches, il n’existe pas de définition précise ni d’étude spécifique sur cette locution. Seules ont cours en France les explications de la Miviludes. Mais celle-ci ne donne aucune référence scientifique pour les définir. Par ailleurs, cette instance est un organisme administratif ; ses avis ne peuvent se substituer aux connaissances scientifiques ni faire office de juridiction.
D’où ma 2e question : La loi 2001-504 du 12/06/01 est basée sur le concept d’abus de faiblesse d’une personne en “état de sujétion psychologique”. Ce concept n’ayant pas de définition médicale ni psychologique précise, n’existe-t-il pas un risque manifeste d’arbitraire dans son interprétation par les juges, un risque contraire aux grands principes de notre pays ? Cette absence de définition précise ne peut-elle pas constituer un facteur d’inconstitutionnalité ? »
La réponse de F. J., avocat à la Cour :
« Il serait difficile qu’une loi véritablement irrationnelle soit conforme aux normes constitutionnelles ou conventionnelles. Ce qui pourrait, de prime abord, être considéré comme irrationnel ne l’est pas forcément par le droit.
En outre, il faut distinguer la définition des infractions pénales et les autres disciplines du droit. Les infractions pénales doivent être définies avec suffisamment de clarté pour être prévisibles. Mais cela ne veut pas dire qu’elles doivent être parfaitement claires.
La Cour européenne “rappelle que l’on ne peut considérer comme une « loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite ; en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé. Cela étant, elle reconnaît l’impossibilité d’arriver à une certitude absolue dans la rédaction des lois, ainsi que le risque de voir le souci de certitude engendrer une rigidité excessive. Beaucoup de lois se servent, inévitablement, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique”.
La clarté et la prévisibilité de la loi peuvent donc être améliorée par la jurisprudence lors de son application.
Par contre, un concept vraiment irrationnel ne pourrait pas faire l’objet d’une application et serait donc contraire aux principe de clarté de la loi.
A ma connaissance, la loi About-Picard et des textes du même genre (en Belgique par exemple) n’ont pas été censurés alors qu’ils se fondent sur des concepts subjectifs tels que la sujétion psychologique. Aux USA, en revanche, le concept de lavage de cerveau développé par certains experts a été considéré comme non scientifique. »
L’abus de faiblesse d’une personne en « état de sujétion psychologique » est mis en avant les autorités françaises pour dénoncer l’influence que peut avoir une personnalité charismatique ou un groupe spirituel sur des individus, en présentant cette influence comme une captation du libre arbitre. Or le concept d’état de sujétion n’a pas de base scientifique ni médicale reconnue. Il est pourtant inscrit dans la loi.
La création de ce nouveau délit, mal défini et impossible à caractériser objectivement, fragilise le texte de loi qui l’héberge. D’une certaine façon, il consacre l’arbitraire puisque, selon la croyance ou la formation de l’expert psychiatrique désigné, il pourra être retenu ou non pour accuser ou relaxer la personne ou le groupe accusé.
[1] Précision capitale : nous ne nions pas qu’il y ait des abus, des dérives et des attitudes inacceptables dans certains mouvements. Ce qui nous semble contestable, c’est la mise en œuvre d’une politique arbitraire, discriminatoire, basée sur une idée reçue (la captation du libre arbitre) et fonctionnant, selon notre observation, sans déontologie ni base scientifique ni régulation.