Harubuntu vient du Kirundi et signifie « A cet endroit, il y a de la valeur ». Décerné par l’ONG belge Echos Communication*, ce prix fait connaître au public des personnes résidant sur le Continent noir qui y prennent des initiatives pour le développement local. L´ONG est partenaire de Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique (CGLUA), qui a organisé le sommet «Africités 5» en décembre 2009 à Marrakech au Maroc. Les prix ont été remis aux différents lauréats du concours lors de ce sommet. Portraits croisés.
Porteurs d’espoir et créateurs de richesses africains, ils témoignent du potentiel de l’Afrique. En osant exprimer ce qu’ils ont d’unique, ils contribuent à faire évoluer le regard de tous, et particulièrement celui des Occidentaux, sur “l’excellence” africaine.
« Travailler sur les croyances et les blocages humains »
• Prix Autorité locale. – Mostafa Maataoui (Maroc). Grâce à Mostafa Maataoui, maire de Sidi Bouhmedi, ce territoire communal de 4 600 habitants est devenu un laboratoire de recherche scientifique expérimentale. Face aux aléas climatiques, des alternative durables sont mises en place pour permettre aux habitants de s’adapter aux défis socio-économiques de notre temps.
« Derrière tout projet, explique Mostafa, il y a un individu, une psychologie. On a beau faire des plans de développement, si on ne travaille pas sur les croyances, sur les blocages humains, cela ne fonctionne pas. » Pour mettre sa réflexion en pratique, le maire de Sidi Boumehdi, réélu pour la troisième fois en juin dernier, a signé une convention avec Echos Communication pour mener une expérience originale de coaching territorial auprès des acteurs locaux. Objectifs : mobiliser les habitants pour qu’ils prennent en main leur propre développement.
Pour lui, l’avenir est du côté de l’élevage ovin, la culture de plantes aromatiques, la production d’huile de figues de Barbarie, les productions vivrières, l’arboriculture ou encore le tourisme vert. « Nous devons privilégier une orientation écologique, respectueuse de la diversité, et remettre au goût du jour d’anciens savoirs traditionnels ».
Mostafa Maataoui est à l’origine des premiers partenariats pour un projet de développement intégré avec le Centre de recherche agronomique de Settat. De nouvelles semences plus résistantes sont introduites. Parallèlement, des cours d’alphabétisation sont proposés. La dynamique est lancée, axée sur la coopération internationale et la décentralisation.
En 17 ans, les choses ont bien changé. Le village est presque totalement électrifié. L’eau potable arrive petit à petit dans les maisons. Des routes ont été construites. Le budget du village a été multiplié par quatre pour atteindre 2 millions de dirhams (environ 175 000 €).
Un riche fermier qui aide sa communauté
• Prix Entreprenariat. – Serge Vyisinubusa (Burundi). Depuis février 2009, le village de Manyoni, au sud du Burundi, bénéficie d’une centrale hydroélectrique qui fournit gratuitement de l’électricité à tous les villageois. Un ouvrage simple et original, construit avec des pierres et des madriers. Un système de captage dévie un ruisseau et le prolonge par un canal long de 219 m fait de vieux fûts. Au point de chute, un tuyau jette l’eau sur une turbine qui active un alternateur qui à son tour produit un courant de 10 kW acheminé jusqu’au village par une ligne électrique d’1 km.
Lauréat d’une école de commerce et de gestion des coopératives en 1979, Serge Vyisinubusa est aujourd’hui à la tête d’une entreprise agropastorale qui compte 161 employés. Modeste, courtois, franc et d’un abord simple, l’homme se dit au service de sa communauté.
Sa notoriété lui a permis de créer l’association pour le développement intégré (ADI), une sorte de banque rurale qui gère et distribue sans intérêt des crédits semences. « En s’inscrivant, chacun précise la quantité dont il a besoin. Par exemple, un paysan qui emprunte 5 kg de haricots remboursera autant en nature, après la récolte. Nous ne faisons pas de bénéfice, car il s’agit d’un fond destiné à aider ceux qui ne disposent pas de ressources» explique t-il.
Dans le même esprit, il a initié en 2002 un autre système de crédit destinés aux agriculteurs, dont le crédit fumier qui consiste à prêter un à quatre bœufs à ceux qui le désirent, selon leur capacité à accéder au pâturage. Dans le secteur de l’éducation, Serge Vyisinubusa s’est porté volontaire pour garantir un crédit en faveur des élèves dont les familles sont pauvres. Il offre également, pendant les vacances, des jobs à la ferme aux élèves du secondaire. Payés 1 $ par jour pour un mois de travail, ces élèves ont contribué l’été dernier à la réhabilitation de la route Matana-Manyoni, longue de 20 km.
U. G., 14 ans : « Je n’ai plus peur de dire non à mes parents quand ils sont contre la morale ! »
• Prix Société civile. – Jacqueline Uwimana (Rwanda). « Aujourd’hui je n’ai plus peur de dire non à mes parents quand ils veulent m’inculquer des idéologies négatives ou lorsqu’ils me donnent des ordres contraires à la morale. Voilà pourquoi j’ai refusé d’empoisonner un ami, comme le voulait ma mère, sous prétexte que son oncle serait responsable de la mort de membres de notre famille lors du génocide de 1994 », témoigne U.G., 14 ans, de Muhanga, au sud du Rwanda, qui estime que l’histoire de ses parents n’est pas la sienne.
Ce changement d’attitude est le résultat du “sentier de la paix”. Un projet dont l’objectif est d’aider les jeunes à défendre leurs idées et convictions et qui est mis en place par Umuseke, une association sans but lucratif. Créée en janvier 2000, celle-ci apporte aux jeunes une nouvelle façon de penser et de faire face aux sources de conflits. Elle leur permet de prendre leurs responsabilités et de s’engager à contribuer au bien vivre ensemble.
Pour Jacqueline Uwimana, la fondatrice et coordinatrice d’Umuseke, « l’adulte, l’autorité administrative, les parents, l’enseignant, les religieux… n’ont pas le monopole de la vérité et n’ont pas toujours raison ».
Dès sa création, Umuseke a mis à la disposition des écoles et des centres de jeunes du matériel pédagogique sur trois thèmes : paix, droits et citoyenneté. Des expositions itinérantes se tiennent dans les écoles de Kigali ainsi que dans les différentes provinces. Enseignants, encadreurs du sentier de la paix et élèves se retrouvent au cours d’activités parascolaires, pour échanger sur le guide pédagogique réalisé par Umuseke.
En juin 2009, près de 40 000 élèves de 10 à 20 ans et 1150 enseignants du Rwanda et de l’est de la RD Congo ont ainsi été formés et sont devenus à leur tour des acteurs de changement au sein de leurs communautés. De plus, des clubs d’échanges entre jeunes de la région des Grands Lacs se sont constitués et ceux-ci deviennent des leaders d’opinion dans leurs villages.
S’affranchir de la médiocrité pour devenir responsables
• Coup de cœur. – Mireille Rolande Critié (Côte d’Ivoire). « Il faut d’abord que les Africains arrivent à s’affranchir de certaines réalités néfastes telles les guerres, les contestations d’élections, la médiocrité des systèmes scolaires pour devenir des hommes responsables, soucieux du devenir de l’Afrique, capables d’assumer leur histoire passée et prêts à relever le défi de l’avenir », affirme Mireille Rolande Critié-Thobouet, responsable du Presci (Projet d’éducation scolaire à la citoyenneté et à la paix) au Centre de recherche et d’action pour la paix (Cerap). « Lorsqu’on aura franchi cette étape du développement humain et social, nous entamerons avec aisance le développement économique », ajoute-t-elle.
Arrivée au Cerap en 2007, cette jeune dame, diplômée en droits de l’homme et en gestion des conflits, prend la responsabilité du Presci qui avait vu le jour à un moment où le pays traversait une crise sociale et militaro-politique. Après l’échec de l’ECM (Éducation civique et morale), ce projet ambitionne le changement de mentalité des élèves par une éducation à la responsabilité citoyenne, à la culture de la paix et aux valeurs morales.
Pour atteindre les objectifs du Presci, financé par le Secours catholique/Caritas France, des villages dits de la paix ont été créés dans 37 écoles de 8 villes. Ils sont animés par les élèves, sous la supervision de professeurs ou d’éducateurs ayant bénéficié de divers modules de formation.
Le projet de Mireille s’exporte déjà, grâce aux formations que dispense le Cerap aux enseignants du Celaf, Centre lasallien africain, à Abidjan. Un guide pédagogique pratique devrait bientôt paraître.
L’engagement d’un groupe d’animateurs communautaires
• Coup de cœur. – Assane Awe (Sénégal). Depuis 2002, le centre Arafat Excellence s’est lancé dans une initiative de développement communautaire, avec l’accompagnement des populations défavorisées de Grand Yoff, en périphérie de Dakar, la capitale. Scolarisation, alphabétisation, assainissement, santé et micro-crédit sont autant d’activités menées et réussies dans ce quartier, grâce à l’engagement d’un groupe d’animateurs communautaires.
Le centre Arafat Excellence est né des cendres du Projet de nutrition communautaire (PNC), lancé en 1994 par le gouvernement du Sénégal, avec l’appui des partenaires au développement, pour répondre aux besoins nutritionnels des populations de cette zone périurbaine. Dès le départ, l’actuel centre a été sélectionné comme prestataire de services. Au cœur des activités, des séances d’entretien individuel pour identifier les besoins, pesées pour les nourrissons malnutris, distribution de suppléments nutritionnels.
À la suite de l’arrêt du PNC, en 2002, le centre Arafat a poursuivi l’activité en mettant en place un programme de renforcement de la nutrition (PRN), en faveur des femmes enceintes et des enfants de zéro à trois ans. Il a prolongé ses activités dans l’éducation, avec la mise en place d’un programme d’enseignement maternel et le lancement d’un volet enseignement moyen secondaire. Pour encourager la scolarisation des enfants, le centre applique des prix très bas, en rapport avec le niveau de vie des populations du quartier et la saturation des écoles publiques.
Parallèlement à ces actions, le centre a également développé des activités pour faciliter l’accès au crédit, pour la gestion de l’environnement et la santé communautaire (lutte contre le sida et paludisme).
Faciliter le contact entre élus et populations
• Coup de cœur. – Emmanuel Kabengele (RDCongo). Dans le Kasaï oriental, au centre de la RD Congo, Emmanuel Kabengele Kalonji et son ONG œuvrent pour la promotion des droits de l’homme. Entre autres activités, l’organisation réalise des études, des rencontres entre politiques et société civile, sensibilise la population. Différents projets pour un même credo : la conscientisation mène à la démocratie.
Juriste de formation, Emmanuel Kabengele Kalonji es
devenu une référence en matière de défense des droits de l’homme dans le Kasaï oriental, en RD Congo. Plus jeune, il fut président des étudiants. Ensuite il se maria avec un
juriste avocate qui est agent à la Monuc dans la section Droits de l’homme. La justice est donc un thème qui lui tient à cœur. L’homme mène d’ailleurs son combat sur plusieurs fronts : vice-président de la société civile de sa province, il est aussi directeur du Centre d’études et de formation populaires pour les droits de l’homme (Cefop/Dh).
Le Cefop, créé en 1994, a son siège à Mbuji Mayi, chef-lieu de la province du Kasaï oriental au centre de la RDC. L’ONG travaille sur deux volets : droits de l’homme et éducation civique.
« Le premier volet se réalise au travers d’un monitoring quotidien de la situation des droits de l’homme, notamment via des enquêtes, des plaidoyers, une assistance juridique », explique Emmanuel. Différents rapports sont ainsi publiés sur des thèmes variés.
En 2008, l’ONG a mis en place un programme de concertation entre les organisations de la société civile et les élus nationaux et provinciaux. Ce projet d’éducation à la citoyenneté est innovant par le fait qu’il rapproche les élus de la population. En créant un cadre de dialogue entre les deux parties, il permet aux citoyens de faire passer des messages à leurs élus et à ces derniers de mieux comprendre les besoins de leur électorat.
Dans le volet « droits de l’homme », deux projets ont eu lieu en 2008. L’un concernait le déblocage de cas en justice. L’autre visait à lutter contre l’impunité des auteurs de violation de droits de l’homme.
Le jour même où il recevait son prix à Marrakech, Emmanuel apprit que sa maison avait été incendiée…
> Dakar, la capitale sénégalaise, accueillera en 2012 le sixième Forum panafricain des collectivités et gouvernements locaux d’Afrique (Africités). Thème : la gouvernance locale en Afrique.
* Echos Communication est désormais présidée par Pierre Moorkens, également président de la Fondation M qui finance Ouvertures.