Jean-François Mancel, député UMP de l’Oise, vient de déposer à l’Assemblée nationale une proposition de loi visant à créer un conseil national de déontologie journalistique, ainsi qu’un code de déontologie journalistique. La profession qui, en France, a toujours refusé de s’organiser pour assurer une régulation nationale, ne devrait pas apprécier un tel projet.
« [La proposition] institue le conseil national de déontologie journalistique auquel adhèrent obligatoirement tous les journalistes professionnels et assimilés ainsi que les éditeurs de presse et fixe ses différentes missions. »
Dans son article 1er, le texte enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 13 juillet 2011 rend obligatoire l’adhésion des éditeurs et des journalistes à un organe de régulation des médias basé sur le modèle, très répandu en Europe, des conseils de presse.
Le conseil sera financé par une « contribution des éditeurs de presse et des journalistes, sous la forme d’une cotisation annuelle ».
Dans son article 2, il établit un « comité exécutif tripartite (journalistes, éditeurs, société civile) » chargé de l’administration de ce conseil. Sa composition sera « fixée par décret ». Ce comité aura notamment pour tâche de « rédiger un code de déontologie journalistique » dont il sera le garant.
« Le législateur doit intervenir »
Le député Jean-François Mancel. |
« Aujourd’hui, il apparaît nécessaire que le législateur intervienne afin d’instituer un organisme d’autorégulation des médias adossé à un code de déontologie reconnu par toute la profession. »
Le député justifie ainsi cette nécessité : « Les exemples ne manquent pas pour illustrer les excès auxquels certains journalistes peuvent succomber. Les atteintes au secret de l’instruction, au secret-défense, à la dignité et à la vie privée de la personne sont autant d’abus qui ont connu une certaine recrudescence ces dernières années. Plus qu’aux journalistes eux-mêmes qui, pour une large majorité, accomplissent leur travail avec professionnalisme, ces excès sont surtout imputables à la surenchère médiatique, course effrénée à l’audimat et aux tirages, qui conduit parfois à occulter les droits les plus essentiels de la personne et les exigences qualitatives de la profession ».
Notant que la convention collective nationale de travail des journalistes « ne contient aucun protocole annexé traitant des questions d’éthique ou de déontologie », J-F Mancel souhaite donc instituer par la loi un code de déontologie sur lequel s’appuiera le conseil.
Trois exigences
Plus généralement, il précise que la création d’un tel organisme en France doit répondre à « trois exigences » :
– « Tout d’abord, il doit demeurer indépendant du pouvoir politique et permettre à la profession d’organiser son autorégulation. Cette autorégulation, permettant aux membres de la profession d’être jugés par leurs pairs, contribuera à renforcer la crédibilité des médias auprès du public et les aidera à répondre plus facilement aux plaintes.
– « Ensuite, cet organisme ne doit pas s’apparenter à une nouvelle juridiction. Son rôle doit être de corriger plus que de punir et les sanctions qu’il délivre doivent être de nature morale.
– « Enfin, cet organisme doit compter des membres de la société civile en son sein. [Cette] autorégulation des médias vise avant tout à mieux servir le public à travers une plus grande fiabilité de l’information ».
La composition du conseil de déontologie
Dans la proposition du député, le comité exécutif comprend vingt et un membres, à savoir :
– Sept membres élus au sein des journalistes professionnels et assimilés.
– Sept membres élus au sein des éditeurs de presse.
– Sept membres représentant la société civile, extérieurs aux métiers du journalisme et de l’édition, ayant répondu à un appel à candidature et sélectionnés par un comité dont la composition sera fixée par décret.
La crainte d’un conseil de l’ordre
La démarche du député de l’Oise rejoint celle portée depuis quelques années déjà par l’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP). Elle prend en quelque sorte le relais des Etats généraux de la presse écrite lancés en 2008, au cours desquels un comité de sages présidé par Bruno Frappat avait rédigé un projet de code de déontologie des journalistes. Projet resté sans suite.
Une première réaction professionnelle est venue d’Olivier Da Lage, journaliste à RFI, syndicaliste SNJ, vice-président de la FIJ (Fédération internationale des journalistes) et ancien président de la Commission de la carte d´identité des journalistes professionnels (CCIJP).
Olivier Da Lage est défavorable à l’idée d’un conseil de presse en France. Sur son blog, il explique que le conseil de britannique n’avait pas empêché le scandale des écoutes téléphoniques dans la presse : « On a vu ici comment, avec le bras droit de Rupert Murdoch à la tête du comité d’éthique et l’un de ses hommes clés siégeant en son sein, la Press Complaints Commission avait lamentablement échoué à enrayer les dérives déontologiques des tabloïds, qu’ils appartiennent à Murdoch ou non ».
Analysant le projet du député français, il y voit « une volonté de mise sous tutelle » : « L’État nomme un tiers des membres du Conseil national de déontologie, mais de plus, il rajoute à la liste un haut fonctionnaire [du ministère de la culture et de la communication] qui prend part aux votes. Si ce n’est pas le retour au ministère de l’Information, cela y ressemble diantrement ». L’initiative de J-F Mancel est ainsi interprétée comme une intention d’instituer un conseil de l’ordre des journalistes.
> La crainte formulée par Olivier Da Lage nous paraît injustifiée, en tout cas en ce qui concerne le projet de l’APCP dans lequel le pouvoir n´est sollicité que pour officialiser la création d´une instance de régulation (et non de contrôle) des médias. Le projet du député de droite concrétise sans doute l´énervement de nombre de membres de la majorité qui enragent d´être malmenés par les journaux. En ce sens, et en prévision des élections présidentielles, il est certainement opportuniste.
Cela dit, le projet nous semble nécessaire, quelle que soit l´origine politique de celui ou de celle qui pourrait le mener à bien, en raison des dérives continues et non sanctionnées observées dans la presse.
La résistance d´Olivier Da Lage cache en fait, selon nous, le refus persistant de la profession de rendre des comptes au public, de lui donner des garanties sur l’exigence de qualité et d’équité qui est attendue d’elle.
>> L´auteur de cet article est membre co-fondateur de l´APCP.