Claude Danglot : «Il faut mesurer la toxicité d’eau, pas seulement son respect des normes»

Selon Claude Danglot, médecin et ingénieur hydrologue, il faudrait maintenant étudier la toxicité de l’eau potable et ne pas se contenter, comme aujourd’hui, de savoir si elle respecte les normes de potabilité. La méthode existe, mais pas la « volonté politique » de l’utiliser. Trop fiable, sans doute.


Claude Danglot, ancien directeur au Crecep,
était par ailleurs membre de la CGT Paris et
du Collectif pour la remunicipalisation
de l’eau à Paris.

« Contrairement à ce qui est souvent affirmé, la qualité des eaux n’est pas terrible en France, s’exclame Claude Danglot, aujourd’hui à la retraite. En effet, on cherche seulement à s’assurer que les niveaux de pollution restent en deçà des normes de potabilité. Mais on n’étudie jamais sa toxicité ! 

« J’étais naïf, regrette-t-il en parlant de l’époque où il dirigeait la recherche en biologie au Laboratoire (public) de contrôle et de recherches des eaux de Paris (Crecep). Alors que nous avions mis au point une méthode rapide, reproductible, très fiable et très sensible, pour déterminer la toxicité de l’eau, nous n’avons pas été suivis. La méthode, testée sur les eaux potable, d’aqueducs, de rivière ou industrielles, et largement validée, n’est pas entrée dans la batterie des tests courants. Elle est restée lettre morte. J’ai compris, bien tardivement, que personne ne s’intéressait à vérifier effectivement la toxicité de l’eau potable. Pas même le ministère de la santé ! On dépense beaucoup d’argent et d’énergie pour rechercher un certain nombre de polluants, de façon à être en règle avec la réglementation. On fait de gros efforts pour déceler des traces d’Escherichia coli, alors qu’on est pratiquement sûr de ne pas en trouver. Et ainsi sur plusieurs paramètres distincts. En fait, l’eau distribuée est juste au niveau des normes mais ces normes sont seulement des limites inférieures de potabilité. Notre méthode, normalisée au niveau communautaire depuis plus de trente ans, constitue un test d’alerte très efficace. Trop, sans doute ! Car, en ayant recours à elle, on s’apercevrait que beaucoup de nos eaux de robinet, déclarées potables, ont en réalité des impacts biologiques non négligeables. Donc on préfère ne pas en mesurer la toxicité… » 

C’est donc à un véritable changement de paradigme – la mesure de la toxicité globale d’une eau plutôt que l’analyse systématique d’un certain nombre de paramètres – qu’en appellent Claude Danglot et le Criieau afin de mieux protéger la santé des consommateurs buveurs d’eau.

La méthodologie de l’« inhibition de la synthèse de l’ARN »

Dans le cadre des recherches du Crecep, et sous la direction de Claude Danglot, Christine Fauris mis au point « un test reposant sur l’inhibition des vitesses de synthèse d’ARN de cellules humaines en présence de toxiques. Ce test quantitatif est reproductible, rapide et très sensible puisqu’il ne nécessite pas de phase de concentration des toxiques en solution. L’étroite corrélation établie avec un autre test basé sur l’inhibition d’ancrage cellulaire montre que cette mesure correspond à un réel phénomène de morbidité cellulaire et constitue un outil sanitaire très fiable ».


L´écart entre les deux courbes traduit le mauvais état cellulaire de l´échantillon.

Dit autrement, la mesure de la vitesse de synthèse d’ARN consiste à incuber des cellules humaines (HeLa S3) dans un milieu de culture reconstitué avec l’eau à tester (échantillon). Parallèlement, on place un prélèvement de cellules humaines dans un autre milieu de culture (témoin) contenant de l’eau pure. Après 20 heures d´incubation, on compare leur vitesse respective de synthèse d’ARN : la différence constatée indique un pourcentage de cytotoxicité. Celle-ci est déterminée en mesurant la vitesse d´incorporation d´un traceur radioactif, l´uridine tritiée, dans l´ARN cellulaire.

« A toutes les étapes de production d’eau potable, le test de cytotoxicité basé sur la vitesse de synthèse d’ARN fournit de précieux renseignements grâce à son caractère global et à sa sensibilité. Basé sur la morbidité cellulaire, il ne nécessite en effet pas de phase de concentration des toxiques en solution dans l´eau. De plus, la rapidité de sa réponse et l’excellente précision des résultats, qui évite de complexes interprétations statistiques, lui confèrent un intérêt indéniable pour la  mesure des fluctuations relatives de la toxicité d’un milieu.

« Le test s’applique à tous les types d’eaux, eaux potables et eaux polluées, eaux douces et eaux marines, eaux embouteillées et eaux de dialyse rénale. Il est un outil complémentaire des analyses chimiques dans l’aide à la protection de l’environnement ».

> Extraits de “Évaluation globale de la microtoxicité des eaux“, par Christine Fauris (Crecep), dans Spectra 2000 – N° 167 – Août-septembre 1992.

> Voir aussi : Un Comité indépendant d’information sur l’eau en préparation.

« Oui, on peut encore ouvrir une herboristerie en France ! »

Pour le naturopathe Jean-François Astier*, il est toujours possible d’ouvrir une herboristerie dans notre pays. A condition de bien comprendre la nouvelle réglementation européenne sur les plantes médicinales, qui avait jeté le trouble.


Jean-François Astier lors de sa conférence
au Congrès d´Alliance pour la santé.
Photo : Ouvertures.

« Le terme d’herboristerie n’est pas protégé, a expliqué J-F Astier dans une conférence intitulée « La nouvelle place de l’herboristerie dans la jungle règlementaire », tenue lors du congrès national organisé par Alliance pour la santé à la mi-octobre 2011 à Paris. On peut donc très bien l’utiliser pour ouvrir un commerce destiné à vendre des plantes. L’important, est de bien faire la différence entre plante « à usage thérapeutique (« plante médicinale ») et plante à usage physiologique, entre plante médicinale proprement dite et ce que je nommerai moi  “plante de santé”. La première est réservée au monde médical, la seconde non. Du moins, pas encore. »

En effet, une proposition de loi (voir en fin d´article), présentée cet été par le sénateur Jean-Luc Fichet, propose de créer un diplôme et d´organiser la profession d’herboriste. Un diplôme dont le ministère de la santé serait le garant et l´Afssaps (Agence du médicament) le contrôleur. Mais un diplôme dont aujourd´hui ni le ministère de la santé ni l´Ordre des pharmaciens ne veulent.

Cependant, selon J-F Astier, si ce projet voyait quand même le jour, « on pourra craindre que soit envisagé là, à côté du monopole de la pharmacie, un second monopole, celui de l’herboristerie. Ou bien une extension de celui de la pharmacie. Ce serait alors une herboristerie tournée vers le traitement plus que vers la prévention et l’entretien de la santé. Vers le produit à valeur ajoutée, réalisé par des laboratoires et comportant des excipients, plus que vers des produits naturels, voire bio, qui sont pourtant de plus en plus demandés par les gens. Ce n’est pas la même philosophie au départ qu´exigent les produits naturels. Il faut être passionné, capable de passer du temps à composer des préparations et à écouter longuement les clients »…

La proposition de loi sur le métier d’herboriste

Extraits de la proposition de loi du sénateur Jean-Luc Fichet : « Supprimée en 1941 sous le Maréchal Pétain, la profession d’herboriste n’a jamais pu être rétablie dans notre pays malgré de nombreuses tentatives législatives.


Passiflore : plante médicinale utilisée pour son
effet calmant et sédatif.
Photo : mum-super-cool.over-blog.com

« La disparition des spécialistes des plantes et la forte demande des consommateurs ont poussé certaines personnes, sans diplôme spécifique ni compétence, à vendre des plantes, leur prêtant des mérites qu’elles n’ont pas. Or sans interlocuteur approprié, l’administration de plantes peut se révéler dangereuse, en fonction de la posologie et de la qualité de la plante.

« L’herboriste sera un professionnel des plantes (connaissance de la production, de la cueillette, du séchage, des bienfaits et des effets néfastes). Il sera respectueux de l’environnement et de la ressource qui n’est pas infinie. La profession sera encadrée. Son cursus sera complet et devra comporter des cours de botanique permettant la reconnaissance des plantes, de chimie, de physiologie, de phytothérapie, de diététique, de techniques de récolte, d’apprêtage et de conservation des plantes. Il pourra bien évidemment travailler en toute intelligence avec les pharmaciens et pourra ouvrir des commerces d’herboristerie. »

L’article 2 du projet met en place, dans le code de la santé publique, la profession d’herboriste. Il stipule que « l’usage de ce titre est réservé aux personnes titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation spécifique d’herboriste délivrée par un établissement de formation agréé par le ministre chargé de la santé. C’est l’AFSSAPS qui aura pour rôle de veiller aux bonnes pratiques de cette profession et de la contrôler. Seuls les herboristes pourront vendre les plantes ou parties de plantes médicinales, indigènes ou acclimatées “libérées”, qui sont aujourd’hui au nombre de 148 (décret du 22 août 2008). Enfin, la vente des plantes est toujours possible pour les pharmaciens.

« La création d’un professionnel de l’herboristerie serait bénéfique aux officines de pharmacies, dont certaines sont confrontées à des difficultés économiques (déremboursement, déserts médicaux…) et qui trouveraient ainsi des partenaires susceptibles d’attirer de nouveaux consommateurs. La vente des plantes par les pharmaciens représente aujourd’hui seulement 3 % de leur chiffre d’affaires ».

Les textes en vigueur

Actuellement, c’est la directive THMPD (Traditional Herbal Medicinal Products Directive) qui est en vigueur. Transposée dans le droit français en 2008 (décret 2008-436 du 6 mai 2008), elle se situe au sein des règlementations sur les médicaments. Elle précise l’usage des remèdes traditionnels à base de plantes dans le contexte du monopole pharmaceutique. Elle concerne toute « plante médicinale », qu’elle soit traditionnelle ou non.

Or, l’Europe a aussi légiféré vis-à-vis des plantes à visée alimentaire et physiologique : elle les a placé dans un cadre non plus pharmaceutique mais dans le domaine de l’alimentaire (où la notion de monopole n’existe pas).

La directive CE-2002-46 sur les compléments alimentaires, transposée en droit français par le décret 2006-352 du 20 mars 2006, a pour but de définir les modalités, dans un cadre alimentaire, de l’utilisation des vitamines, minéraux et produits à action physiologique. Nombre de plantes rentrent dans cet espace défini.

Vendre des « plantes de santé »

Pour J-F Astier, aujourd’hui, un herboriste peut très bien s’installer en proposant la vente de compléments alimentaires et de plantes à vocation physiologique (dites « plantes de santé »). Il peut prodiguer des conseils au comptoir, mais pas des conseils médicaux. Selon une éthique encore à définir précisément, le professionnel peut d´ores et déjà exercer hors d’un cadre médical et pharmaceutique. Il doit disposer de compétences en anatomie, physiologie, nutrition, santé holistique, avec une grande capacité d’écoute de la clientèle. Il doit connaître et reconnaître ses limites de compétences et savoir orienter son client vers la médecine conventionnelle au besoin. Rien ne l’empêche de l’orienter vers des médecins aguerris aux principes de la santé naturelle…

Un bon moyen de diffuser de la prévention et d’aider ainsi à réduire le déficit de la sécurité sociale.

> Proposition de loi Fichet “Herboriste” 12 juillet 2012.

> Médicaments traditionnels à base de plantes : l´UE répond aux inquiétudes.

> Directive plantes-remèdes – Michèle Rivasi : « Il faudrait une directive sur le métier d’herboriste ».

* Jean-François Astier dirige l’Institut français des plantes adaptogènes (Ifpa) et Natura Mundi, une société de vente de produits naturels. Il est également rédacteur à la revue Plantes et Santé.

10 ans de loi About-Picard : 5 condamnations seulement au motif de « dérives sectaires »

Lors d´un colloque à l´Assemblée nationale sur les 10 ans de la loi About-Picard introduisant le nouveau délit de “sujétion mentale”, on apprend que seules 4 à 5 décisions, sur les 35 intervenues au total au titre de cette loi, concernent des « dérives sectaires ». Par ailleurs, le président de la Miviludes a révélé quelle est la première “médecine douce” à être considérée officiellement comme « charlatanesque ».


De gauche à droite : Philippe Vuilque (Groupe d´études sur les sectes/Assemblée nationale),
Catherine Picard (présidente Unadfi et co-auteure de la loi anti-sectes de 2001), Geogres Fenech (président
Miviludes), Alain Gest (député, rapporteur de la commission d´enquête 1995) et André Fédéric (député
fédéral belge, intiateur d´une loi contre les sectes inspirée de la loi française). Photo : Ouvertures.

« La méthode Hamer, dite aussi de biologie totale, vient d’être évaluée par le groupe d´appui technique sur les pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique, [créé auprès du directeur général de la santé]. Il y aura très prochainement une publication sur le site du ministère de la santé. Elle alertera sur les dangers de cette méthode. Elle est charlatanesque et peut faire des victimes. »

Cette annonce a été faite par Georges Fenech, président de la Miviludes, à l’Assemblée nationale, ce mercredi 26 octobre 2011, lors du colloque organisé à l’occasion des 10 ans de la loi About-Picard, intitulé : “Initiatives parlementaires et lutte contre les dérives sectaires : bilan et perspectives” et organisé par le Groupe d’études sur les sectes. La méthode Hamer est ainsi la première d´une série de démarches non-conventionnelles, appelées aussi “médecines douces ou parallèles”, à faire l´objet d´une étude institutionnelle destinée, aux dires de ses promoteurs, à séparer le bon grain de l´ivraie.

M. Fenech a émis le vœu qu’une « législation intervienne pour interdire cette méthode ».

Il a également appelé à la constitution d’une nouvelle commission d’enquête parlementaire qui devra étudier, lors de la prochaine législature, la question des dérives sectaires dans le domaine de la santé, qui sera une « question centrale pour les années qui viennent ». Et ce, en lien tout particulier avec la protection des enfants. Ce souhait fut partagé par Philippe Vuilque, président de ce groupe parlementaire d’études, et a été accueilli par les applaudissements nourris de la salle Victor Hugo où se déroulait le colloque.

« Dérives sectaires » : seulement 4 ou 5 sur les 35 condamnations

De son côté, Maryvonne Caillebotte, directrice des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, a présenté le bilan de la loi About-Picard tendant « à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires, portant atteinte aux Droits de l´Homme et aux libertés fondamentales », votée en 2001 : « Il y a une centaine de procédures pénales en cours identifiées comme ayant un lien avec les dérives sectaires. Un tiers de ces procédures se concentrent sur l’Ile-de-France et le sud de la France ; un quart, les DOM-TOM. Depuis 2004, date à laquelle la loi a commencé à s’appliquer dans les faits, 35 condamnations ont été prononcées sur le fondement de cette loi. Quatre à cinq ont concerné directement des dérives sectaires. Et, parmi elles, la condamnation de Néophare peut être considérée comme emblématique de ce que peut signifier l’introduction du nouveau délit de “sujétion psychologique” introduit par la loi About-Picard. Et avoir un impact jurisprudentiel ».

M. Gest regrette la non-actualisation publique de la liste des “sectes”

Alain Gest, député de la Somme, rapporteur de la commission parlementaire « Les sectes en France », avait publié en 1995 une liste de 172 mouvements nommément désignés à la vindicte publique, ce qui avait provoqué une polémique qui n’est toujours pas tarie seize ans plus tard. Aujourd’hui, il a affirmé en « assumer pleinement le principe » qui avait permis d’envoyer « un signal fort » à la société toute entière. « A de très rares exceptions près, notre liste était juste et légitime, malgré les vives protestations des groupes concernés. Tout au plus regretté-je de ne pas avoir suffisamment distingué le caractère plus ou moins dangereux de ces organisations de leurs aspects farfelus. Mais cette liste a rendu d’inestimables services aux magistrats, aux municipalités (pour des problèmes de location de salle, par exemple), aux travailleurs sociaux, etc. Je regrette qu’une actualisation de cette liste [existant au sein de la Miviludes] ne soit pas rendue publique. Ayons aussi l’humilité de reconnaître que nous avions évoqué la « disparition » de l’Ordre du temple solaire quelques jours seulement avant qu’il ne fasse en fait 18 victimes en France… »

Les défenseurs des victimes s´estiment mal pris en compte

Avocats et associations représentant les victimes ont exprimé leur satisfaction devant la mobilisation du pouvoir, notamment face au travail effectué par la Miviludes. En revanche, ils se sont plaints des trop courts délais de prescription intervenant dans les affaires portées en justice, de l’énorme difficulté à agir, pour les familles, quand des majeurs consentants sont concernés (« il faudrait un système de protection de la “victime” majeure », selon Me Picotin) et du « manque de sensibilisation des procureurs et des juges ».

Quant à Daniel Vaillant, député maire de la mairie du XVIIIe arrondissement de Paris, ancien ministre de l’intérieur, il a revendiqué lutter non seulement contre les « dérives sectaires », mais bien aussi contre les « sectes », même si aucune définition de ce terme n’existe juridiquement : « Face à ces gens qui ne sont là que pour exploiter et dominer, il faut que la République gagne le rapport de force ! » Il a félicité à ce propos les grands médias qui, « pour une fois », produisent des « effets bénéfiques grâce à leurs reportages et à leurs mises en garde très utiles ».

La conférence de presse annoncée en fin de colloque a été supprimée sans explication.

>> On peut regretter que, comme d’habitude dans ce domaine sensible, toute différence d’opinion soit soigneusement évitée, que le principe du contradictoire (un principe démocratique fondamental pourtant) ne soit jamais respecté. On comprend, dans cette ambiance, qu´ait été applaudi le vote en première lecture d’un amendement proposé par M. Vuilque pour exonérer le président de la Miviludes de toute responsabilité sur ses propos et lui épargner les recours éventuels des personnes ou des groupes par lui stigmatisés.

Les victimes d´autres médicaments demandent elles aussi le droit à l’indemnisation

La future loi sur la sécurité du médicament permettra l’indemnisation des victimes du Mediator. Les victimes des effets secondaires des autres molécules n’ont pas le droit à cette indemnisation. Elles s’estimeraient donc discriminées par la future loi. Une partie d´entre elles, réunies en collectif (Claim), en demandent une modification.

> Voir l´interview de Nelly Améaume, présidente du Revahb, parlant au nom du collectif.


Les cinq associations constituant le collectif (voir encadré ci-dessous).

Cinq associations de victimes touchées par les effets indésirables graves des médicaments se sont trouvé réunies à l’occasion du débat préparant la future loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (projet déposé à l’Assemblée nationale le 1er août 2011).

Elles ont constaté que le texte ne comporte aucune disposition pour les victimes d’effets secondaires graves des médicaments, hormis celles du Mediator.

Il ne peut donc pleinement atteindre son objectif annoncé, celui de « restaurer la confiance des citoyens dans le médicament ».

Or, ces victimes sont autrement plus nombreuses que celles du Mediator. Le député Roland Muzeau indique, dans le rapport déposé par la commission des affaires sociales de l´Assemblée en conclusion des travaux de la mission sur le Mediator et la pharmacovigilance et présenté par Jean-Pierre Door : « On estime dans notre pays à 150 000 le nombre d’hospitalisations annuelles liées à des accidents médicamenteux et de 13 à 18 000 le nombre de morts provoquées par des médicaments ».

A noter que ces chiffres englobent tous les accidents liés aux médicaments, les effets secondaires indésirables bien sûr, mais aussi les erreurs et les interactions médicamenteuses, sans qu´on connaisse précisément la part de chaque catégorie. A titre de comparaison, les 500 à 2000 morts du Mediator se sont réparties sur plusieurs années, soit moins d´une centaine par an.

Mais un vide juridique fait que ces victimes ne peuvent pratiquement jamais obtenir d’indemnités pour les préjudices subis, sous prétexte que ces effets secondaires sont indiqués dans les notices qui accompagnent les produits de santé. C’est en tout cas ce que leur répondent systématiquement les juges quand elles portent leurs cas devant les tribunaux.

Lutter contre la discrimination faite entre les victimes

En effet, seuls sont indemnisés les effets secondaires délétères quand l’administration du produit a été ordonnée par les autorités. C’est ainsi que des victimes du vaccin contre l’hépatite B ont pu recevoir réparation, la preuve du dommage et du lien de causalité pouvant « résulter de présomptions pourvu qu´elles soient graves, précises et concordantes » (arrêt du 22 mai 2008 de la Cour de Cassation ; voir 2e encadré ci-dessous). Mais seules les victimes ayant fait l´objet d´une vaccination obligatoire, à une exception près, ont pu obtenir l´indemnisation de leurs préjudices.

Les cinq associations ont donc décidé de créer ensemble le Collectif de lutte contre les accidents iatrogènes médicamenteux (Claim) pour lutter contre la discrimination faite aux autres victimes qui continuerait à les obliger à s’adresser, pour une reconnaissance très incertaine, à l´Office national d´indemnisation (Oniam) ou aux tribunaux.

Les cinq associations réunies dans le collectif Claim

– AIVQ (victimes des quinolones)

AMALYSTE (syndromes de Lyell et Stevens-Johnson)

AVRG (Roaccutane et générique)

E3M (myofasciite à macrophages)

REVAHB (Réseau des victimes du vaccin anti-hépatite B)

Souvent, quand on parle des effets secondaires des produits de santé, et notamment des vaccins, les autorités sanitaires et politiques évoquent le fameux « rapport entre les bénéfices et les risques ». L’important est d’analyser si l’intérêt d’un produit pour la population est supérieur aux dégâts qu’il occasionne ici ou là.

Un bénéfice collectif, oui, mais un risque individuel non pris en compte

Or, remarque Nelly Améaume, présidente du Revahb (assocation membre du Claim), « si jusqu’à présent l’AFSSAPS [Agence du médicament] s’appuyait bien sur la notion de ce fameux rapport, en matière de médicaments elle se gardait d’y intégrer une analyse objective et indépendante du facteur risque. Si les morts l’intéressaient parfois d’un point de vue statistique, si les pourcentages des pathologies décrites étaient plus ou moins bien recensés, ce que devenaient concrètement les survivants d’accidents post-vaccinaux graves n’était pas de son ressort. Qu’une partie d’entre eux puisse voir ses conditions de vie bouleversées sans pouvoir accéder à aucune procédure d’indemnisation, encore moins. Si le bénéfice est collectif, il est urgent et important de s’apercevoir que le RISQUE, lui est INDIVIDUEL et que la pathologie grave est assumée actuellement à 100 % par la victime et sa famille. Il est grand temps de renverser cet état de fait. »

Etablir une “responsabilité sans faute” des fabricants de médicaments

Le Claim souhaite également que soit rétablie la responsabilité sans faute pour “risque de développement” (découlant de produits défecteux que l´on ne pouvait déterminer au vu de l´état des connaissances scientifiques et techniques. Aucune faute ne peut donc être reprochée au producteur) des fabricants de médicaments : « Contrairement aux produits de grande  consommation classiques, le médicament est toujours un produit à risques. La détection de ce risque fait partie intégrante du processus d’industrialisation : la couverture du risque doit donc être prise en charge par l’industriel à tous les stades de détection. Or, la détection des risques rares et graves continue pendant un certain temps après la mise sur le marché du médicament. En effet, ces risques ne peuvent être détectés lors des essais cliniques mais seulement lors du “passage à l’échelle” qu’est la mise sur le marché. Dès lors, il serait normal que les dommages encourus par les “primo-consommateurs” soient assurés par les industriels du médicament, au même titre que ceux des participants aux essais cliniques. Le rétablissement de la responsabilité du fabricant ou distributeur/importateur du médicament permet de redonner aux “primo-consommateurs” d’un médicament récemment mis sur le marché les mêmes droits en  termes d’indemnisation que les participants aux essais cliniques qui ont précédé cette mise sur le marché ».

Le doute doit bénéficier au patient plus qu’aux laboratoires

Par ailleurs, le Claim voudrait que tout doute sur l’implication d’un produit de santé dans l’affection considérée puisse bénéficier d´abord au patient, et non seulement aux laboratoires comme aujourd’hui. Il faudrait créer une « présomption de causalité » entre certaines affections et la prise de certains médicaments : « La loi demande en effet de prouver un lien de causalité au plan individuel, lien scientifiquement impossible à démontrer. Il faut donc faciliter la charge de la preuve par un “faisceau d’indices”. Le signalement d’un risque dans la notice par le producteur devient partie intégrante de ce faisceau d’indices dans l’établissement de la causalité, dans une procédure qui reste par  ailleurs contradictoire ».

Etendre les indemnisations des blessés du Mediator à toutes les victimes des médicaments

Parmi les amendements proposés par le Claim figure celui étendant « le fonds d’indemnisation des victimes du benfluorex (molécule du Mediator) à l’ensemble des victimes d’accidents médicamenteux sur des bases identiques et d’autre part, de créer un mécanisme d’indemnisation spécifique, au travers d’un fonds financé par les producteurs de médicaments, pour couvrir les dommages liés à la réalisation d’un “risque d’effet indésirable accepté” d’un médicament lorsqu’aucune faute ne peut être invoquée par ailleurs ».

Une première : l’indemnisation de victimes du vaccin anti hépatite B

Par un arrêt du 9 juillet 2009, la Cour de Cassation juge que « soit condamné un laboratoire fabricant un vaccin anti-hépatite B, à indemniser les dommages consécutifs à une poussée de sclérose en plaques apparue chez un patient deux mois après l’injection du produit ».

Cette même chambre avait admis dans les arrêts du 22 mai 2008 « la preuve de l’imputabilité de la sclérose en plaques au vaccin anti-hépatite B, ainsi que le caractère défectueux de ce produit, par des présomptions suffisamment graves, précises et concordantes ».

L’arrêt rendu le 9 juillet 2009 est important pour les victimes puisqu’il ouvre désormais la voie à la condamnation des laboratoires produisant des vaccins contre l’hépatite B.

Dans l’arrêt du 9 juillet 2009, la Cour de Cassation a aussi retenu le défaut d’information des patients, car dans la notice du Vidal, antérieure à 1996, « la poussée de sclérose en plaques ne figurait pas au nombre des effets secondaires indésirables possibles du produit ».

La Cour de Cassation a donc déduit que le vaccin anti-hépatite B présentait le caractère d’un produit défectueux, conformément à l’article 1386-4 du Code civil.

(Source : evadhoc)

Enfin, le Claim demande que les associations de victimes de médicaments soient agréées auprès des autorités de santé et qu’elles soient représentées en tant que telles. En effet, leur point de vue ne peut être défendu par les associations de patients lorsqu’il s’agit de travailler à la mise sur le marché des médicaments. Ces dernières « sont traditionnellement en faveur de la mise sur le marché d’un médicament nouveau, sous la  pression de leurs adhérents, tandis que les premières sont souvent plus à même de défendre une vision plus équilibrée, intégrant la notion de balance bénéfices/risques ».

> Renverser la charge de la preuve en cas de doute sur la nocivité d’un produit, proposition du rapport d´information n° 3552 du 22 juin 2011 déposé à l´Assemblée nationale par la commission des affaires sociales en conclusion des travaux de la mission sur le Mediator et la pharmacovigilance et présenté par Jean-Pierre Door.

« Quand elles demandent réparation, les victimes des accidents médicamenteux sont systématiquement déboutées »

Interview de Nelly Améaume, présidente du Revahb et membre du nouveau Collectif de lutte contre les accidents iatrogènes médicamenteux (Claim). Voir la liste des associations dans le lien ci-dessous.

> Les victimes d´autres médicaments demandent elles aussi le droit à l’indemnisation.

Jean-Luc Martin-Lagardette.- Comment s’est constituée cette nouvelle association ?

Nelly Améaume.- Le Claim regroupe plusieurs associations de défense des victimes des effets indésirables graves des médicaments. Invitées à participer aux auditions menées dans le cadre du projet de loi sur la sécurité du système du médicament porté par Xavier Bertrand [ministre du travail, de l’emploi et de la santé], ces cinq associations, totalement indépendantes des laboratoires pharmaceutiques, elles regroupent des victimes des effets secondaires graves des médicaments. Des effets graves puisqu’irréversibles qui entrainent l’invalidité, voire la mort du patient.

Nous avons constaté que nous étions confrontées au même problème. Quand elles demandent réparation en justice, les victimes de ces accidents sont systématiquement déboutées et doivent en plus régler les honoraires de leurs avocats et des experts, ainsi que les frais de la partie adverse ! L’argument du juge est toujours le même, pour la justice civile, il existe deux verrous à faire sauter pour reconnaitre les droits des victimes :

1- Les effets secondaires des médicaments étant indiqués dans les résumés des caractéristiques des produits (RCP), la défectuosité du produit n’est pas prouvée, donc le fabriquant peut être exonéré de sa responsabilité. Les victimes ne peuvent donc pas prétendre à des indemnités.

2- Le lien de causalité entre le produit et la pathologie, dont la preuve est quasi impossible à rapporter pour un particulier. D’autant plus que les études épidémiologiques indépendantes, qui pourraient démontrer ce lien de causalité entre le médicament et l’effet adverse, ne sont pas faites.

– Que demandez-vous ?

– Puisqu’on ne peut pas agir sur le plan juridique, nous demandons une loi pour indemniser toutes les victimes des effets secondaires graves des médicaments. Et pas seulement celles du Mediator, comme c’est seulement prévu à l’heure actuelle dans l´article 57 de la loi n°2011-900 votée le 29 juillet 2011 par les députés.  C’est une vraie discrimination envers les victimes des autres molécules. Qui sont bien plus nombreuses que celles supposées du Mediator. Les autorités sanitaires parlent de 150 000 hospitalisations par an dus aux effets iatrogéniques des médicaments et de 13.000 à 18.000 décès ! chiffres cités lors du rapport d’audition de la commission des affaires sociales sur le Mediator.

– Ce sont des chiffres énormes ! Pourquoi en parle-t-on si peu ?

– Il y a une omerta sur les effets secondaires au sein de l’industrie pharmaceutique. Certains visiteurs médicaux sont licenciés parce qu’ils font remonter trop de cas à la pharmacovigilance ! Cette question n’intéresse personne. Xavier Bertrand ayant annoncé qu’il voulait vraiment réformer le système français de sécurité du médicament, le rendre transparent et au service de tous les Français, nous avons sauté sur l’occasion. Nous attendions ce projet de loi avec impatience. Or, quand le texte a été présenté en conseil des ministres ce 1er août, nous avons été très déçues. Rien sur la pharmacovigilance et les victimes des effets secondaires ! La loi a été débattue en septembre 2011, nous avons fait des propositions d’amendements qui, en séances publiques les 27 et 28 septembre dernier, ont tous été refusés !

Nous avons rencontré tout récemment des membres du cabinet du ministre de la santé. Quand nous leur avons exposé notre demande d’indemnisation, ils ont répondu qu’il fallait d’abord voir comment l’indemnisation des victimes du Médiator allait se passer. Le laboratoire Servier se défend. Ce ne sera pas facile : il faut retrouver les ordonnances, les médecins rechignent à signer des certificats de prescription, les experts sont récusés, etc. Il faudra déjà avoir le retour de cette expérience avant d’imaginer étendre cette protection à toutes les victimes de médicaments.

– Un belle façon de noyer le poisson !

– En fait, rien n’empêcherait le législateur d’étendre la pharmacovigilance et la réparation à toutes les victimes des médicaments. Pour ne pas grever le budget de l’Etat, nous demandons la création d’un fonds d’indemnisation abondé par un pourcentage du chiffre d’affaires des industriels de la santé. Ce serait normal qu’ils assument la responsabilité de leur produit tout au long de sa vie, pas seulement dans sa phase de création et de commercialisation pour laquelle ils ont des assurances. Il serait complètement normal qu’ils financent des études épidémiologiques sur des produits à risque.

Les autorités déplorent la méfiance croissante des Français envers leur système sanitaire. Ce n’est pas en conservant une discrimination entre les patients qu’ils parviendront à la restaurer. Sur ce sujet, nous sommes très mobilisés, nous resterons très vigilants et nous comptons bien faire du lobbying auprès de nos élus : ils ont une occasion inouïe de tout mettre à plat et reconstruire un système capable de redonner confiance à tous. Ils doivent la saisir.

Le laboratoire Boiron s´explique sur «l´affaire du blogueur menacé»

Valérie Poinsot, directeur général délégué des laboratoires Boiron, revient sur l´affaire de ce blogueur italien menacé cet été de poursuite judiciaire par la firme pour avoir critiqué ses produits homéopathiques.


Valérie Poinsot. Photo : Félix Ledru.

Jean-Luc Martin-Lagardette.- Comment s’est conclue l’affaire du blogueur qui vous critiquait (cf. encadré ci-dessous) et quels enseignements en tirez-vous ?

Valérie Poinsot.- C’est une expérience qui nous a fait beaucoup progresser. Cet été, beaucoup d’entre nous étions en vacances au moment où l’affaire s’est déclenchée. Quand nous avons découvert notre réponse très juridique aux écrits du blogueur, nous l’avons jugée inadaptée et nous nous sommes excusés auprès de lui. Mais sur le fond, nous ne pouvions accepter de fausses informations sur notre compte. Nous avons invité le blogueur à nous contacter. A ce jour, il n’a pas donné suite.

Cette affaire a été pour nous un choc. Elle nous a fait prendre conscience que nous ne connaissions pas beaucoup cet aspect de la réalité médiatique qui est fugace, superficielle, mais qui peut avoir un impact non négligeable sur nos activités et que nous allons désormais prendre en compte.

– Le blogueur faisait également référence à deux class actions (voir ci-dessous) récemment engagées contre Boiron aux États-Unis pour « fraude et publicité mensongère ». Comment réagissez-vous à ces attaques ?

– Je ne vous donnerai pas de détail, l’affaire étant entre les mains de nos avocats. Simplement, il faut savoir que dans ce pays, le recours aux tribunaux est un sport national. Ça nous a blessés aussi, vu les circonstances du dossier. Nous avions déjà été poursuivis il y a vingt ans, sans suite. Nous relativisons donc les choses.

– L’homéopathie est régulièrement stigmatisée (voir ci-dessous le communiqué de l´Académie de médecine) par ceux qui prétendent qu’elle n’a rien de scientifique puisque, en raison des dilutions qu’elle opère, aucune molécule ne se trouve plus dans le produit final.

– Depuis deux cents ans que l’homéopathie a vu le jour, les attaques n’ont jamais cessé. Son créateur lui-même, le médecin allemand Hahnemann, en fut victime. En 1835, le ministre français Guizot disait que, s’il n’y avait rien dans l’homéopathie, elle mourrait d’elle-même. Or de plus en plus de patients y ont recours, plus de la moitié de la population en France et en Belgique et plus de cent millions de personnes en Inde ! Beaucoup de médecins se sont approprié ses principes. Avec de plus en plus de résultats.

Il est vrai que la science d’aujourd’hui ne possède pas encore tous les éléments techniques pour comprendre et mesurer cette réalité, mais c’est une réalité, attestée par d’innombrables utilisateurs, professionnels de santé ou patients ! De même, de nombreux travaux scientifiques en rendent compte. Ceux du professeur Montagnier, par exemple, ou du professeur Louis Rey qui a pu mettre en évidence, grâce à la thermoluminescence, des différences significatives entre une solution neutre et une solution dynamisée .

Ce qu’il faut comprendre c’est qu’une étude publiée sur un médicament homéopathique dans une pathologie ne doit pas être extrapolée à l’homéopathie dans son ensemble. Est-ce qu’il vous viendrait à l’idée de dire qu’une étude concernant, un antibiotique, par exemple, démontrerait l’efficacité de l’allopathie dans son ensemble ?

– On reproche aussi à l´homéopathie d’avoir un statut spécial qui la favoriserait par rapport aux autres médicaments qui doivent se soumettre à des contraintes fortes, comme l’autorisation de mise sur le marché.

– Les médicaments homéopathiques ne peuvent être mis sur le marché sans autorisation, et heureusement ! Depuis 2000, nos produits obtiennent tous des numéros d’autorisation de mise sur le marché, en remplacement de visas [anciennes procédures, plus légères, d´autorisation, ndlr]. Certes, le protocole à suivre est différent de celui du médicament conventionnel. Mais les exigences de pertinence et de sécurité sont les mêmes. Sur 800 dossiers déposés à l’autorité d’évaluation, 250 ont reçu l’autorisation, une dizaine a été refusée [les autres étant en cours d´instruction, ndlr].

Nous nous inscrivons clairement dans le registre du médicament, mais avec ces particularités : nous proposons une thérapeutique d’expérience, la population a recours à l’homéopathie, il y a des résultats, les produits sont très peu chers et n’ont pas d’effets secondaires. Sur ce dernier point, la pharmacovigilance, qui surveille les effets néfastes des produits de santé et qui s’est beaucoup développée ces derniers temps, n’a noté aucun accident sur deux cents ans d’utilisation des médicaments homéopathiques !

– Comment évolue votre société sur le marché du médicament ?

– Nous en représentons 0,2%. Et nous sommes récemment passés de la 5e place à la 2e place, derrière Sanofi, dans le classement OTC (“Over the counter”, de l’autre côté du comptoir, c’est-à-dire pour les médicaments accessibles sans ordonnance). Nous sommes le plus grand fabricant de produits homéopathiques dans le monde, avec un chiffre d’affaires cependant modeste de 526 M€. Nous avons 18 filiales réparties dans le monde et employons 4 000 personnes en tout.

Mais il est difficile de nous comparer aux autres laboratoires. Nous utilisons des médicaments qui ont fait leur preuve depuis longtemps et qui sont très peu chers. Nous cherchons à développer ce qui existe. Nous allons prochainement inaugurer un laboratoire de recherche à Messimy (Rhône). Il devra nous permettre de mieux comprendre les mécanismes d’action des médicaments existants et d’améliorer encore leur méthode de fabrication.

Nous possédons actuellement 3000 souches. Les médecins découvrent souvent de nouvelles applications. Et c’est avant tout leur pratique qui fait évoluer l’homéopathie.

Comment un simple blog effraie une entreprise

Samuele Riva, un jeune informaticien italien, écrit sur son blog les 13 et 27 juillet 2011 deux articles parlant de l´homéopathie, accompagnés de photos ironiquement légendées. Dans l’un d’eux, il moque l´absence de toute molécule active contre la grippe dans les préparations homéopathiques de l’oscillococcinum. Dans l’autre, il avertit des « sérieux risques pour l´intelligence » qui menacent ceux qui achètent ces produits.

Par le biais de leur filiale italienne, les laboratoires Boiron écrivent au fournisseur d´accès internet du blogueur : les articles et les légendes sont « faux et désobligeants à la fois pour l´homéopathie et [la] société » et ils ternissent la réputation de l´entreprise, lui causant « de graves dommages ». La firme somme le fournisseur d´accès de retirer toutes les références à Boiron et à ses produits des deux articles incriminés et d´en interdire l´accès sous peine de se voir, lui et le blogueur, poursuivis devant les tribunaux.

Le fournisseur s’exécute et le blogueur retire ses photos légendées. Mais le buzz s’empare du sujet et flambe à la suite d’un article sur cette affaire publié le 28 juillet 2011 dans le BMJ (British Medical Journal). Que l’un des magazines les plus influents dans le domaine de l’information médicale, qui parle rarement d’homéopathie, juge bon de parler de cette histoire lui a donné un relief tout à fait particulier.

>> En Californie, deux “class-actions” sont intentées contre Boiron, l´une contre l´Oscillococcinum pour « fraude et publicité mensongère », l´autre contre Coldcalm, un autre de ses produits, pour « fraude et concurrence déloyale ».

>> “Faut-il continuer à rembourser les préparations homéopathiques ?“, texte contre l´homéopathie adopté en 2004 par l´Académie de médecine.

L´enquête de Global Mag sur un additif célèbre, omniprésent, mais controversé

Le glutamate était l’objet, le 5 septembre 2011, d’une enquête de Global Mag, l’émission animée par Emilie Aubry sur Arte qui se présente comme la « chronique planétaire de l’environnement ». Nous l’avons trouvée intéressante par son contenu mais aussi dans sa démarche, les autorités comme les industriels se montrant peu loquaces sur la question.


Emilie Aubry.

Pour l’occasion, la présentatrice se trouvait dans le 13e arrondissement de Paris truffé de restaurants, d’épiceries et de supermarchés asiatiques. On peut aisément y acheter du glutamate sous la forme d’une poudre blanche. C’est un exhausteur de goût très utilisé dans la gastronomie asiatique et qui lui donnerait ce goût si particulier.

En fait, ce célèbre additif est partout. On le trouve dans la plupart des produits industriels vendus en supermarché : surimi, plats préparés, jambon, soupe en sachet, chips, boîtes de conserves. Sur les étiquettes, le glutamate et ses sels sont indiqués sous les codes E620 à 625.


L´algue Kombu d´où est tiré le glutamate.

L´homme qui a découvert le glutamate en 1909 est un Japonais, le professeur Ikeda. Il l’a extrait de l´algue Kombu, une algue marine japonaise consommée depuis des centaines d´années en Asie. Depuis, la consommation de glutamate a explosé au Japon. Un groupe s’est lancé dans la production massive : le groupe Ajinomoto, toujours leader mondial du marché.


Le professeur Ikeda, inventeur
du glutamate.

Dans une publicité diffusée sur les télévisions japonaises dans les années 50, l´entreprise se positionnait déjà en conquérante du monde avec ce nouvel ingrédient miraculeux pour les papilles : le sel de l´Asie.

Le glutamate constituerait le 5ème goût (en plus de sucré, salé, amer et acide) : « l´umani » (« délicieux » en japonais).

Aujourd´hui, le glutamate a tellement de succès qu´on le fabrique de manière industrielle. Plus besoin de l´algue, on reproduit désormais le processus de fermentation à partir de soja, de betteraves à sucre ou de fécule de maïs. En 30 ans, la production a décuplé. Le marché mondial du glutamate est aujourd´hui très prospère : 200 millions d´euros de chiffre d´affaires annuel, pour 2 millions de tonnes fabriquées.

Emilie Aubry évoque les polémiques à son sujet : on le suspecte d’être responsable de maux de têtes, tachycardie, vertiges. Ce sont les symptômes décrits par les intolérants au glutamate. On ne sait pas aujourd´hui combien de personnes sont concernées. Mais plusieurs scientifiques définissent le glutamate comme un « poison invisible » qui aurait des effets dévastateurs sur la santé.

Aux Etats-Unis, le premier à avoir dénoncé les dangers du glutamate est le docteur John Olney, neurobiologiste de l´université de Washington, Missouri. Dans les années 60, en injectant des doses même faibles à des souris et à des singes, il a découvert que certains de leurs neurones disparaissaient de manière irréversible. Pour lui, le glutamate est « clairement une menace pour les bébés et les enfants ».

 En rouge, la barrière hémato-
encéphalique qui empêche les
molécules toxiques d´atteindre
les neurones.

Deux ans après la publication de l´étude de John Olney, le Congrès américain interdit l´ajout de glutamate dans la nourriture pour bébé. Depuis, les rapports scientifiques s´accumulent sur les effets néfastes de cet additif. Pour les défenseurs du glutamate, l’additif ne peut pas être dangereux puisqu’il ne serait pas en contact avec les neurones, parce que le cerveau est protégé par ce qu´on appelle la « barrière hémato-encéphalique », un filtre naturel qui empêche les molécules toxiques d´atteindre les neurones. Le problème, dit la journaliste, c´est que cette barrière ne protège pas tout le cerveau. Certaines zones ne sont pas couvertes, comme l´hypophyse ou l´hypothalamus qui régule entre autre, la faim, le sommeil ou l´activité sexuelle.

Pour le neurochirurgien américain Russel Blaylock, de l´Université du Mississipi, cette barrière ne serait pas toujours infaillible. Il lui arriverait de laisser passer des molécules toxiques. La protection du cerveau lâcherait par exemple dans les cas d´infection, d´hypotension, d´hypertension, de fièvre ou de traumatisme crânien.

Selon lui, le glutamate engendrerait des maladies dégénératives comme Alzheimer ou Parkinson : « Beaucoup de gens me disent je n´ai pas de réactions au glutamate, je n´ai pas de nausées, ni de maux de tête. En fait, de nombreuses personnes qui consomment du glutamate n´auront pas ces manifestations, mais ils auront les mêmes dommages. Ça agit sur de longues périodes, des décennies. Les cellules du cerveau sont détruites et ils perdent peu à peu ces neurones sans se rendre compte qu´ils sont sous l´effet de cette toxine ».

Ce que dément la Food ad Drug Administration (FDA), la puissante autorité sanitaire américaine. Elle s´appuie sur un rapport de 1995 commandé à un autre groupe de scientifiques, pour conclure que seuls 2% de la population seraient intolérants au glutamate. Il ne constituerait donc pas un risque majeur. Le glutamate ne sera donc pas interdit aux Etats-Unis.

 Le glutamate selon wikipédia

Le glutamate est le neurotransmetteur excitateur le plus important du système nerveux central humain. L´acide glutamique, son autre nom, est l´un des 20 acides-α-aminés naturels, briques élémentaires du vivant, constituant les protéines. Il joue un rôle critique en raison de sa propre fonction cellulaire, mais n´est pas considéré comme un nutriment essentiel chez les humains car le corps peut le fabriquer à partir de composés plus simples.

Une concentration trop importante de cette molécule déclenche un processus dit d´excitotoxicité, délétère, voire mortel, pour les neurones. Le glutamate a été impliqué dans les crises d´épilepsie.

« D´un revers de main, s’étonne la journaliste, les études des professeurs Olney, Blaylock et plus de cinq cents autres rapports scientifiques sont rejetés. Malgré les conclusions concordantes sur les effets potentiellement néfastes du glutamate, une question subsiste : si ce glutamate est si dangereux, comment expliquer que les Japonais, le peuple qui en consomme le plus au monde, soit aussi celui qui détienne le record de longévité ? A cela, les scientifiques n´ont pas encore répondu… »

En Europe, en revanche, la méfiance est encore forte en ce qui concerne le glutamate, qui est désormais interdit au-delà d’un certain pourcentage, soit 10g par kg d´aliment. La directive date de 1995. L´Europe reconnaît donc l´effet néfaste du glutamate sur la santé.

Interview de Kumiko Ninomiya, président d´Ajinomoto Europe :
« Vous savez qu’il y a des personnes qui sont intolérantes au glutamate ?
– Oui les gens peuvent être sensibles à certains ingrédients ou à certaines nourritures. Mais nous n´avons pas trouvé de preuves jusqu´ici qui prouverait cette sensibilité au glutamate. Euh… un moment… Je prends la bonne direction-là ? Ok… reprenons. Je peux m´arrêter ici s´il vous plaît ? »
Fin de l’interview.

La journaliste interroge le ministère de la santé. Au téléphone : « On ne communique pas du tout là-dessus. 
– Pourquoi ?
– On s´accorde avec l´AFSSA [Agence française de sécurité sanitaire des aliments, aujourd’hui Anses]. Voilà, on n´aura rien de plus à vous dire ».

L’Afssa au téléphone :
« C´est vrai qu´on travaille sur des additifs mais on n´a pas travaillé sur celui-ci. Sur le glutamate malheureusement, on ne peut pas faire grand chose pour vous. »
Les journalistes sont renvoyés vers l´Efsa, l´Autorité européenne de sécurité des aliments…
D´après l´Afssa, ce serait la seule institution compétente pour parler du glutamate.

L’Efsa au téléphone :
« On n´a rien fait jusqu´à ce moment. Mais ça fait partie des réévaluations qu´on est en train de faire. On devrait le réévaluer d´ici quelques années, je pense. »

En désespoir de cause, la journaliste interroge la Commission européenne. C´est elle qui a validé cette limitation.
Là encore… c´est une déconvenue :
Porte-parole : « Je ne sais pas comment vous le dire de la manière la plus simple possible mais je n´ai pas l´intention de vous donner une interview ».

Global Mag va alors chercher l´homme qui s´est battu pour limiter le glutamate, Paul Lannoye, ex-député belge et ancien président du groupe des Verts au Parlement européen : « On tend à essayer de rendre inoffensif quelque chose qui ne l´est pas en disant : on va limiter la dose. Mais ça n´est pas rigoureux comme méthode et donc ça veut dire que de toute façon, on n´ose pas l´interdire parce que l´industrie en a besoin tout simplement. Ça c´est le mécanisme qui fonctionne dans ce milieu-là ».

>> L’émission montre l’embarras des autorités sanitaires et de l´industriel, face à la question posée par les journalistes de Global Mag. Cette gêne vient-elle du fait que ces autorités tentent de masquer la toxicité éventuelle de la molécule ? Ou bien de la difficulté, quand on est un “pot de fer”, de communiquer dans une controverse, le public prenant facilement parti pour la suspicion ? Reste que, quelle que soit la réponse à ces questions, la non communication n’est pas pour arranger les choses…

Viviane Thibaudier : « Nous sommes chacun uniques et encore à naître »

A l´occasion du cinquantenaire de la disparition du psychiatre suisse Carl Gustav Jung, ancien disciple et concurrent de Freud, nous avons interrogé Viviane Thibaudier, auteure de “100% Jung” (Eyrolles) et ancienne présidente de la Société française de psychologie analytique.

Jean-Luc Martin-Lagardette.- Vous écrivez que Jung est peu connu en France où il est toujours banni de l’université ? Comment expliquez-vous cet ostracisme ?


Crédit photo : François Berton.

Viviane Thibaudier.- En France, on aime la pensée abstraite, ce que n’est pas la pensée de Jung. La sienne est complexe et s’intéresse davantage aux « phénomènes ».  La plupart de ses concepts proviennent de ses propres expériences avec l’inconscient.

En outre, Jung s’est tellement investi dans la quête de lui-même et son rapport à l’inconscient qu’à certains moments il fut proche de la folie et a suscité la défiance de ceux pour qui il n’y a que le rationnel qui est important. On ne l’a pas pris au sérieux. Or, son travail est très sérieux. C’était un psychiatre d’avant-garde pour ce qui est du traitement de la maladie mentale et il était très au fait de toutes les recherches menées à son époque.

– J’ai été frappé par l’importance donnée à la signification, au sens, dans sa pensée.

– La signification, c’est presque de l’interprétation. Chez Freud, par exemple, si vous rêvez que vous mettez une clé dans une serrure, cela va automatiquement signifier l’acte sexuel. On pourrait presque établir un dictionnaire de ces significations ! Pour Jung, c’est plutôt le sens qui est important, dans les deux acceptions du terme : ce qui a du sens et ce qui donne un sens, une direction. Ce qui sort de l’inconscient a davantage pour lui un sens qu’une signification : c’est un guide pour la personne qui se cherche. Si nous faisons vous et moi le même rêve, il aura peut-être une signification commune, mais le sens sera différent pour vous et pour moi dans nos vies respectives.

– Que recouvre le concept jungien d’individuation ?

– C’est le processus naturel de transformation intérieure. Devenir soi-même, un être unique et entier. C’est différent de l’individualisation : on s’individualise en choisissant un métier, en fondant une famille, etc. S’individuer c’est devenir ce que l’on est vraiment au fond de soi, hors pression sociale, des modes et des courants dans lesquels on s’insère. Nous sommes chacun uniques et encore à naître. On peut passer toute sa vie sans s’individuer, à côté de soi, sans développer sa propre créativité.

– Et cela peut aussi nous rendre malades ?

– Oui, car pour Jung, c’est précisément cela la névrose : une vie qui n’a pas trouvé son sens.

 

– Autre concept majeur de Jung, celui du Soi.

– C’est le centre profond de notre personnalité qui s’oppose au moi, la part à la fois la plus collective et la plus intime de notre être. Elle cherche à s’exprimer par nous et, si nous ne l’écoutons pas, elle le fait malgré nous et souvent de façon catastrophique. Il est donc capital de chercher à l’entendre.


Carl Gustav Jung.

– Mais comment ? Cela est-il possible hors une psychanalyse ?

– Bien sûr ! Les artistes, par exemple, ou les mystiques, sont en relation avec leur Soi. Je suis frappée de voir nombre d’artistes, qu’ils soient peintres, écrivains, cinéastes ou autre chose, parler de cette force en eux qui les propulse…

Mais tout le monde peut en accueillir des manifestations. Seulement, il faut être à l’écoute, par le rêve ou par une soudaine orientation nouvelle donnée à notre vie. Je vois de plus en plus de personnes quitter leur emploi ou leur situation pour faire tout autre chose. Un peu comme Paul sur le chemin de Damas.

Ce quelque chose qui demande à vivre à l’intérieur de soi, et qui nous pousse à le réaliser envers et contre tout, c’est typiquement une manifestation du Soi.

Quel est, selon vous, le principal obstacle à ce que la société favorise la réalisation des individus ?

– Le pouvoir et son corollaire : l’absence de sentiment, de prise de conscience réelle. Pour Jung, le sentiment, c’est la capacité à évaluer justement les situations. Quand on est dans le désir du pouvoir, c’est le moi qui dirige, on ne regarde que les choses qui nous arrangent, qui vont dans le sens de l’intérêt de notre égo. On ne voit plus les choses comme elles sont car on ne tient pas compte de l’autre côté, de l’inconscient d’où nait toute chose, c’est-à-dire du Soi. Or c’est cela qui importe : rentrer en soi au lieu d’écouter les prêcheurs autour de soi. La seule voix vraiment importante, c’est celle qui parle de l’intérieur. Je ne dis pas qu’il faut entendre des voix ! Avant, on appelait ça « ma conscience »  ou Dieu, « Dieu m’a dit que…, m’a envoyé tel ou tel message ». Chacun a sa façon d’exprimer cela, cette voix intérieure qui nous incite à aller dans telle ou telle direction. C’est très intime, très personnel.

Cela coule de source pour certains, mais, pour d’autres, c’est ce qui leur fait dire que Jung est irrationnel et non scientifique !

Le Livre rouge désormais accessible en français

Un inédit de Carl Gustav Jung, qui durant 15 ans retranscrivit ses visions, interprétations de son inconscient. Le Livre Rouge est sa « cathédrale intérieure » calligraphiée, enluminée et illustrée à la main par l’auteur. Il a créé l’événement dans le monde entier et fait la « Une » des plus grands journaux.

Pour sa publication en France par l´Iconoclaste, le musée Guimet à Paris expose du 7 septembre au 7 novembre le manuscrit original, mythique, entouré de documents préparatoires, de peintures, de sculptures et de mandalas…

Le « recul spectaculaire de la mortalité due à la grippe » est-il dû à la vaccination ?

C’est en tout cas ce qu’affirme une chercheure de l’Institut national d’études démographiques (Ined) dans une étude parue en septembre 2010. Ouvertures lui a posé des questions auxquelles elle a – partiellement – répondu.


France Meslé.

« Bel exemple d’un succès de la prévention » : c’est ainsi que France Meslé, chercheure à l’Institut national d’études démographiques (Ined), qualifie l´influence de la vaccination dans le « recul spectaculaire de la mortalité due à la grippe », thème d’une étude intitulée “Recul spectaculaire de la mortalité due à la grippe : le rôle de la vaccination”,  parue en septembre 2010 dans Population et sociétés, n°470.

Ouvertures a étudié son essai, lui a demandé des précisions. Il s’agit bien sûr seulement d’un travail journalistique. Mais, à la différence de nos confrères, qui ont tous repris sans recul les conclusions de l’étude, nous avons voulu avoir un regard critique.

Retraçant l´évolution de la mortalité due à la grippe en France et dans les pays industriels au cours des dernières décennies, Mme Meslé pense avoir démontré ce recul et sa cause : la vaccination.

Nous lui avons alors fait part de notre interrogation « sur la corrélation que vous faites entre la baisse du taux de mortalité et la vaccination. Nous ne voyons pas, ni dans les chiffres ni dans les tableaux que vous offrez aux lecteurs de votre note, d´éléments factuels permettant d´établir clairement ce lien qui paraît pourtant direct à vos yeux ».

Le lecteur intéressé trouvera sous ce lien une présentation de l’article dans son entier ainsi que les questions précises que nous lui avons formulées, et qui apparaissent à l’endroit exact de son texte qui suscite ces questions.

Les questions posées par la rédaction

Pour le lecteur pressé, nous présentons ces questions ici :

1 – Toutes les courbes que vous présentez, sauf celle du Japon, accusent une baisse continue depuis le début de la date retenue, soit 1950. Cette baisse peut parfois se ralentir, comme en France entre les années 1950 et 1970. Mais toutes poursuivent une descente plus ou moins régulière. Il serait intéressant de pouvoir analyser cette courbe avant les années 50 pour voir son comportement. En tout cas, depuis 1950, la baisse est patente. Quel élément factuel vous permet donc de dire qu´il y a un effet direct avec la vaccination (et avec elle seule) ? On peut raisonnablement penser que bien d´autres critères peuvent être retenus comme l´hygiène, la meilleure prise en charge des complications, l´alimentation, les conditions de vie, le pouvoir d´achat, etc.

2 – Cette courbe n´est pas accompagnée d´une information qui me semble pourtant capitale : celle des taux de vaccination par pays et par années (et par populations : jeunes, âgées, à risque), ce qui déjà donnerait des éléments de comparaison un peu plus nets. Serait-il possible d´avoir un tableau présentant les données de mortalité et de vaccination depuis le début du siècle dernier, au moins pour la France ?

3 – Vous dites que c´est après la grippe de Hong Kong qu’un nouveau vaccin amélioré “s’avère plus efficace”. Vous en tirez la conclusion qu´aussitôt, en France comme ailleurs, la mortalité due à la grippe s’effondre. Une autre lecture est possible : au vu de vos tableaux, la mortalité ne s´effondre pas : elle reprend la baisse amorcée précédemment, baisse que la grippe de Hong Kong avait enrayée. Pouvez-vous être plus précise pour étayer votre conclusion ?

4 – Avez-vous aussi les données dans les pays qui ne vaccinent pas ou peu ? Il serait en effet intéressant de voir si l´on observe ou pas des évolutions similaires, quelle que soit la couverture vaccinale… Votre conclusion en serait plus convaincante.

5 – A partir de quel taux de couverture vaccinale estimez-vous que l´action préventive est efficace, ou seulement significative ?

Les réponses de France Meslé

Voici les réponses que Mme Meslé nous a fait parvenir le 14 mars 2011 :

« – Il est faux de dire que la baisse est patente depuis 1950 dans tous les pays. En France, elle était effectivement importante entre la première et la deuxième guerre mondiale mais dans les années 1950, elle marque nettement le pas. Voyez ci-dessous les droites d’ajustement des tendances pour 4 périodes : 1925-1938, 1946-1967, 1970-1980 et 1980-2006. On voit très clairement, malgré les fluctuations, que dans la période 1946-1967 la tendance est à la stagnation (ou même en légère hausse) et que la baisse redémarre à partir de 1970 (figure 1).


Figure 1. Évolution 1925-2006 du taux comparatif de mortalité
par grippe en France en distinguant 4 périodes.

Le même type d’évolution est observé au Royaume Uni et au Japon. Il est vrai que ce n’est pas le cas aux États-Unis et en Italie, comme je le note dans le Population et Sociétés.

– Je ne conteste pas que d’autres facteurs aient pu entrer en ligne de compte dans la baisse de la mortalité : amélioration de l’hygiène, de l’alimentation, augmentation du niveau de vie. Ce sont effectivement des facteurs qui ont joué un rôle essentiel dans la baisse de la mortalité infectieuse en général et nul doute qu’ils aient aussi pesé dans les progrès enregistrés sur la grippe au début du XXe siècle. Et il est très probable qu’ils aient joué un rôle majeur dans la baisse de la mortalité attribuée à la grippe en en faisant reculer les complications dans les années 1920 et 1930. Ils n’expliquent toutefois pas la rupture de tendance observée dans les années 1970, à une époque où les gains pour les autres maladies infectieuses commençaient à s’épuiser. À cet égard, la comparaison entre les évolutions de mortalité par grippe et par autres infections respiratoires est intéressante (figure 2).


Figure 2. Évolution comparée de la mortalité par grippe et
par autres infections respiratoires de 1925 à 2006 en France.

Les deux calendriers d’évolution sont très différents. Pour les infections respiratoires, la baisse est antérieure aux années 1960. Elle est maximum dans les années 1950 avec la diffusion massive des antibiotiques. Elle s’arrête au moment où la mortalité par grippe entame son impressionnant recul. Aurait-on trouvé un médicament miracle n’agissant que sur les complications respiratoires de la grippe mais aucunement sur les autres affections respiratoires ou bien les progrès socio-économiques n’auraient-ils eu un effet que sur la grippe et non sur d’autres infections touchant le même appareil? Le plus probable est donc que c’est un facteur spécifique à la grippe proprement dite et non plus à ses complications bactériennes qui a permis ces progrès et ce facteur est sans doute la vaccination.

– Vous avez tout à fait raison de penser qu’une connaissance précise de l’évolution des taux de couverture vaccinale sur le long terme et des différences observées entre les pays permettrait d’éclairer le débat. Malheureusement les informations dans ce domaine sont très fragmentaires, ont peu de profondeur historique et posent des problèmes de comparabilité. Dans l’état actuel des choses, il n’est pas possible de s’y référer. J’espère toutefois dans l’avenir avoir le temps de revenir sur cette question et ne manquerai pas de vous faire parvenir mes travaux de recherche. »

L’analyse d’un médecin blogueur

Le docteur Jean-Claude Grange a lui aussi analysé l’étude de Mme Meslé sur son blog. Si l’on suit le graphique, explique-t-il en substance, la baisse de la mortalité en France s’accentue à partir de 1970, ce qui correspondrait pour l’auteur au moment de l’élaboration d’un « nouveau vaccin amélioré ». Il n’est en aucun cas fait état d’une amélioration des conditions d’hygiène. L’explication apportée est que, grâce à cette médecine de prévention, la tranche d’âge la plus sensible aux complications du virus (les personnes 65 ans et les enfants en très bas âge) a vu reculer le nombre de morts subséquents. Cependant, elle déclare un peu plus tard que la vaccination gratuite pour les populations à risque n’est arrivée qu’à partir de 1985. « Ainsi, la mortalité par grippe aurait diminué de façon considérable, selon Madame Meslé, avant la généralisation de la vaccination aux personnes dites à risques ! »

« De manière générale, les médecins sont assez persuadés que les vaccins marchent. Moi-même je ne suis pas ‘’anti-vaccins’’ mais il faut toutefois reconnaître que l’efficacité du vaccin anti-grippal n’a pas été avérée. Je cite ici la collaboration Cochrane qui a établi que le vaccin n’avait aucune incidence sur les personnes de plus de 70 ans qui sont paradoxalement ceux visés majoritairement par les campagnes de vaccination. Ce que je crains c’est qu’à force de multiplier les actions de communication pour encourager les gens à se faire vacciner contre la grippe sans ouvrir le dialogue, une méfiance puisse s’installer durablement. »

>> Merci à Dorothée Descamps, étudiante en journalisme scientifique à l´université Paris Diderot, qui a participé au montage de ce dossier et a recueilli pour Ouvertures les propos du Dr Grange.

>> Nous invitons les personnes intéressées par ce débat à publier ici leur commentaire ou à nous proposer d´autres articles sur la question, en complément à ceux qu´Ouvertures a déjà publiés, comme cet article rédigé à la suite des doutes sur l´efficacité du vaccin antigrippal exprimés par l´ex-député Jean-Michel Dubernard.

Jean Picollec : « Pourquoi j’ai choisi d’éditer les mémoires du révérend Moon »

Le livre Ma Vie au service de la paix, paru aux éditions Jean Picollec, est écrit par le Coréen Sun Myung Moon, fondateur de l´Eglise de l’Unification, qualifiée de « secte » en France. L’éditeur nous explique comment et pourquoi il a pris la décision de publier cet ouvrage dont la presse, hormis Ouvertures, ne parle pas.

Jean-Luc Martin-Lagardette.- En publiant ce livre sur un mouvement ainsi controversé, vous avez pris des risques…


Jean Picollec, ici interviewé par Enquête&Débat.

Jean Picollec.- Ça ne me dérange pas ! Je ne cherche pas la polémique mais je n’aime pas me coucher. Je préfère vivre debout avec mes convictions. Je ne suis pas du tout mooniste. Mais je ne suis pas non plus un inquisiteur.

– Comment avez-vous été amené à publier cet ouvrage ?

– Tout a commencé avec le livre de Roland Jacquard Au nom d´Oussama ben Laden, écrit avant les attentats du 11 novembre 2011 et que j’ai publié juste après (cf. interview ci-contre). J’avais aussi édité, il y a une trentaine d’années, Le Défi soviétique, de Claude Durand-Berger, qui avait flirté avec les Moonistes. Par l’intermédiaire de ce dernier, et suite à mon livre sur Ben Laden, j’ai été invité à un colloque sur le terrorisme aux Etats-Unis, à Arlington. La manifestation était organisée par une des quatre plus grandes agences de presse d’alors, United Press International (UPI). Or celle-ci avait été rachetée par Moon. Elle avait des journalistes américains en poste en France, que j’ai rencontrés. J’ai également assisté à plusieurs spectacles offerts par le mouvement, dont celui des Petits Anges (danses folkloriques).

Il y a deux ans, le responsable français du mouvement, Jean-François Moulinet, me propose de publier le livre de mémoires de Sun Myung Moon. Mais elles étaient rédigées en coréen ! Je n’y avais alors jeté qu’un coup d’œil. Puis un compatriote [un Breton], Jean-Pierre Le Guilly, m’a amené une traduction. Le texte est clair, fluide ; les chapitres sont courts ; c’est un sujet inédit. Je me suis alors vraiment intéressé au livre. Et, à l’occasion d’un voyage à un colloque organisé par les Moonistes à Séoul, j’ai dit banco !

– Au delà de la polémique envisageable, quel intérêt pour le lecteur français ?

– J’en vois principalement deux. D’abord un intérêt historique et politique. Les Français savent peu de choses sur l’occupation japonaise en Corée du Nord, dont Sun Myung Moon a connu les geôles. Et peu de gens, y compris parmi les intellectuels, se sont préoccupés de cet autre mur de Berlin que représente la coupure du 38e parallèle [toujours en vigueur entre les deux Corées]. C’est une histoire de la confrontation monde communisme/Occident, dont l’auteur est un acteur parmi tant d’autres.

Ensuite, le mouvement mooniste touche des millions de personnes dans près de deux cents pays, et ce depuis soixante ans ! Il y a quand même de quoi s’interroger sur ce phénomène, non ? En tant qu’éditeur, je suis interpelé.

– Pourtant, ce phénomène est généralement passé sous silence…

– C’est stupéfiant de voir à quel point les médias s’en désintéressent ! C’est pourtant quelque chose ! De tout temps, on a vu se manifester des prophètes ou des représentants de Dieu. La plupart d’entre eux essaiment dans quelques pays, végètent ou disparaissent. Rappelez-vous le « Christ de Montfavet », par exemple : on en a parlé pendant quelques années seulement. Pareil pour le Mandarom. Près de chez moi, il y a une chapelle du culte antoiniste : je n’y ai jamais vu rentrer des foules…

Je ne porte pas de jugement de valeur sur Moon, mais son impact est objectivement énorme ! En France, le sujet est mis à l’index sans analyse sérieuse. C’est injuste. Surtout de la part de gens qui crient « Non à l’exclusion ! » et qui sont les premiers à exclure ceux qui ne leur plaisent pas.