La camerounaise Gillette Leuwat dirige à Paris l’Institut éponyme, un laboratoire cosmétique fabriquant des produits naturels à base d’aliments. L’administration a fait fermer l’établissement durant deux mois, début 2012, pour des motifs discutables. « Une attaque de la concurrence », selon celle que ses clientes, Noires pour la plupart, surnomment la « fée des cheveux ».
Gillette Leuwat devant son institut, rue de Vaugirard à Paris. Photo : JL ML. |
Gillette Leuwat a dû fermer inopinément son institut, installé depuis 2001 au 199 rue de Vaugirard, 15e arrondissement à Paris, durant deux mois en janvier et février 2012, suite à des descentes musclées de la police avec les agents de l’administration (Dgccrf). Selon les autorités, il y avait « danger extrême pour la population de Paris », en raison d’effets indésirables des produits distribués par l’institut. Effets secondaires dénoncés par une lettre anonyme mais dont la gravité paraît sans rapport avec la brutalité de la mesure administrative.
Ouvertures présente une copie de la lettre qui a servi de motif à la préfecture de police de Paris pour faire fermer d’urgence l’institut capillaire de Mme Leuwat. Non seulement elle est anonyme, non seulement elle n’était pas accompagnée de certificat médical, mais, en outre, rien dans son contenu ne permettait de considérer que le risque était « grave ». |
L’arrêté préfectoral de fermeture comportait pas moins de quatorze chefs d’accusation qui ont été établis après une visite des autorités quelques jours auparavant dans le laboratoire de Mme Leuwat. Accusations qui ont été abandonnées après analyse des produits. Seul un défaut d’autorisation de l’Afssaps a finalement été retenu. Autorisation qui n’était pas nécessaire à l’époque et qui a été obtenue par la suite. Mme Leuwat a porté plainte et tente d’obtenir réparation pour ces deux mois de préjudice et de manque à gagner.
Produits de la chimie contre produits naturels
Par delà l’inélégance, c’est le moins qu’on puisse dire, de l’opération policière, cette affaire met au jour deux enjeux importants : une bataille entre deux visions économiques, l’une basée sur l’utilisation de la chimie et l’autre sur les produits naturels ; un vide juridique.
Pour Gillette Leuwat, c’est clair : « Ce n’était pas un banal contrôle : ils m’ont demandé de leur fournir factures et documents douaniers, tous documents nécessaires à la fabrication des produits, etc. Pour moi, c’est une attaque de la concurrence qui a manipulé les services de l’État en faisant passer nos produits pour dangereux. Les sociétés cosmétiques qui commercialisent des produits chimiques, et incitent la population à s’abîmer les cheveux et la peau, voient d’un mauvais œil l’émergence de la cosmétique alimentaire naturelle ».
« Les jeunes filles ne trouvent plus que des vieux pour sortir avec elles »
De passage il y a une vingtaine d’années dans son pays d’origine, Gillette observe que les femmes arborent de magnifiques crinières et des peaux de belle qualité. Or, ce n’est pas le cas en France où beaucoup de Noires souffrent d’alopécies (chute de cheveux) parfois très prononcées, de démangeaisons et de multiples affections dermatologiques. Pour masquer les dégâts, nombre d’entre elles doivent en conséquence se tresser des mèches ou carrément porter des perruques. « Vous vous rendez compte, s’indigne Gillette Leuwat, comme cela peut jouer sur la vie sexuelle des jeunes filles qui, ainsi abîmées et complexées, ne trouvent plus que des vieux, moins regardant sur ces aspects, pour sortir avec elles ! »
Alopécies et calvities résultant d´opérations de défrisage.
Menant enquête, Gillette découvre que l’utilisation de cosmétiques de synthèse et le lissage des cheveux dévitalisent et sèchent le cheveu, et abîment le cuir chevelu. Elle propose alors une alternative à ces femmes en modernisant les techniques ancestrales africaines de soins pour les cheveux et pour la peau.
Les produits que son institut prépare et commercialise sont composés uniquement de matières naturelles : 90% alimentaires : jus de fruits et de légumes (citron, carotte, aloès, …), huiles de fruits (coco, palmiste, karité…), miel, œuf, etc. Et 10% autres : argile, plantes (jus, huiles essentielles), bois (en particules ou en huile).
Le défrisage : une contrainte culturelle
Ces produits sont conservés sans pasteurisation ni traitements chimiques, selon une méthode développée à partir des coutumes. Ils sont mis en pot dans le laboratoire au sous-sol de l’institut. Produits plutôt de luxe, ils sont appréciés des près de 3000 clientes qui retrouvent grâce à eux, aux dires de Gillette Leuwat, le tonus de leurs de leurs cheveux et l’éclat de leur peau.
Ancienne trader financière diplômée en sciences de la nature, Mme Leuwat explique que les Noirs ont été culturellement amenés à se défriser les cheveux, ce qu’ils font avec des produits qui non seulement finissent par les détériorer, mais aussi peuvent occasionner des dermatoses, des mycoses, voire des fibromes et des cancers. Ces faits sont peu connus, même si, aujourd’hui, certains médecins déconseillent le défrisage de leurs cheveux aux futures mamans noires.
Réparer des cheveux devenus incoiffablesLa chevelure crépue de naissance est bouclée, ondulée, légèrement raide. Incorrectement nourrie, elle se dessèche et crêpe. Les écailles en kératine de la cuticule, qui normalement s’emboîtent, se relèvent. Conséquence : les cheveux s’emmêlent et forment des nœuds. Leur démêlage provoque des ruptures. Les cheveux prennent alors un aspect rêche et râpent comme des « gratounettes » : ils deviennent incoiffables.
« Le lifting capillaire que propose notre cosmétique alimentaire naturel rend au cheveu souplesse, élasticité et vitesse de repousse normale ». Selon Mme Leuwat, il suffit d’un kit de deux soins alternés de cette cure pour obtenir une texture bouclée et souple, et de cinq à dix kits de soins pour traiter des cheveux longtemps défrisés ou en cas d’alopécie. |
Le deuxième enjeu révélé par le cas de Mme Leuwat est celui du vide juridique existant pour les produits « cosmétiques alimentaires naturels », une catégorie encore inconnue par la répression des fraudes ou le système de sécurité sanitaire. « En 2003, l’agent contrôleur de la direction de la répression des fraudes que j’avais rencontré m’avait indiqué qu’en utilisant des composés naturels, je n’entrais pas dans le cadre de la réglementation en vigueur qui régissait plutôt les composés chimiques ou les produits cosmétiques assimilés à des médicaments. Il a même ajouté qu’un cadre allait être créé expressément pour mon activité qui constituait une nouveauté pour ses services ! Je n’avais donc pas besoin de demander une autorisation de l’Afssaps, autorisation que l’on m’a reproché de ne pas avoir lors du récent contrôle ! »
Une vraie « sister » Afro
Un nouveau cadre juridique, à l’échelle européenne, est nécessaire pour intégrer ces nouvelles pratiques. « Le problème, c’est que, au lieu de combattre ceux qui rendent nos clients malades, les pouvoirs publics voudraient nous empêcher de leur venir en aide sous prétexte que nous utilisons des produits, 100% naturels, inoffensifs, qui ne sont évidement pas conformes aux méthodes de fabrication des produits chimiques, qui eux rendent les gens malades ! »
Des clientes disent que « Gillette donne la fierté à tous les Africains et Afro descendants de laisser nos cheveux “Natural”. C’est une joie d’avoir une vraie “sister” afro, un modèle ! »