Le discours de La Baule prononcé par François Mitterrand le 20 juin 1990 lors du 16ème sommet France-Afrique a sonné le glas du régime du parti unique qui était la règle dans la plupart des anciennes colonies de la France. Une vingtaine d’années après, ces pays ont connu des fortunes diverses sur le plan démocratique. Eclairages.
Dans ce discours prononcé devant ces chefs d’Etats africains, François Mitterrand à l’époque président de la République française demandait expressément à ceux-ci de faire de leurs pays des Etats véritablement démocratiques.
S’ensuivront les nombreuses conférences nationales organisées dans bon nombre de ces Etats. Mais dès février 90, le Bénin, en organisant une historique conférence des forces vives de la nation, avait devancé le vœu émis par François Mitterrand. Cette conférence balisera le terrain pour le renouveau démocratique dans ce pays. Le Niger et le Mali suivront cet exemple en organisant leur conférence nationale respectivement en 91 et 92.
Les « modèles de démocratie » en Afrique de l´ouest
La situation en Afrique de l’ouest est contrastée. Au Sénégal, au Bénin et au Mali, les élections sont régulièrement organisées depuis le début des années 90. Elles ont porté plusieurs alternances démocratiques à la tête de chacun de ces pays. C’est ainsi qu’en février 2000, Abdoulaye Wade, candidat du Parti démocratique sénégalais (Pds), a remporté l’élection présidentielle face à Abdou Diouf, président sortant et candidat du Parti socialiste (Ps) sénégalais au pouvoir sans interruption de 1960 à 2000.
Au Bénin en mars 1991, Nicéphore Soglo a remporté face à Mathieu Kérékou la 1ère élection présidentielle organisée après la conférence nationale. En prenant sa revanche en mars 1996 face au même Nicéphore Soglo, Mathieu Kérékou fera vivre au Bénin sa 1ère alternance politique démocratique.
Au Mali, Amadou Toumani Touré, qu’on surnomme « ATT », élu président de la République en 2002, succédait à Alpha Oumar Konaré élu successivement en 1992 et 1997.
Même si ces pays sont proches des standards démocratiques, il n’en reste pas moins que les élections n’ont pas résolu tous les problèmes. Au Bénin, la réélection de Boni Yayi à la tête du pays en mars dernier a été très contestée par l’opposition. Cela tranche nettement avec le scrutin de mars 2006 au cours duquel celui-ci avait accédé à la magistrature suprême au terme d’un plébiscite électoral.
Au Sénégal, les opposants d’Abdoulaye Wade l’accusent de vouloir positionner son fils Karim Wade actuellement ministre au sein du gouvernement sénégalais, et ce dans l’optique de l’élection présidentielle prévue pour février 2012. Le président sénégalais est d’ores et déjà candidat à ce scrutin, même si l’année prochaine il aura plus de 86 ans. La succession du président malien est déjà en marche car celui-ci achèvera son 2ème et dernier quinquennat en mai 2012.
Burkina : le pouvoir de Blaise Compaoré secoué
Pays frontalier du Togo, le Burkina-Faso est dirigé par Blaise Compaoré parvenu au pouvoir en octobre 1987 suite à un coup d’Etat militaire, marqué par l’assassinat du capitaine Thomas Sankara. Les élections qui y sont organisées depuis 1991, ont toujours vu la victoire de Compaoré et celle de son parti le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Mais depuis avril dernier, le pouvoir de Blaise Compaoré tangue, conséquence d’une mutinerie au sein des forces armées. Une contestation que le président burkinabè s’évertue à calmer. Mais cette mutinerie s’ajoute à une situation socio-économique difficile pour la majorité de la population. Bien que le processus démocratique soit en marche au Niger depuis 92, il a été émaillé par plusieurs coups d’Etats militaires, dont le dernier a eu lieu en février 2010.
Ce putsch est une conséquence directe du fait que Mamadou Tandja, élu en 1999 et réélu 05 ans plus tard ait voulu demeurer au pouvoir en violation de la constitution nigérienne qui ne permet que 02 mandats consécutifs au président de la république. Après une transition dirigée par les militaires, le pays vient d’élire son nouveau président. Au Togo, le Rassemblement du peuple togolais (RPT), l’ancien parti unique, dirige le pays sans interruption depuis 1969. Faure Gnassingbé au terme d’une élection contestée et marquée par des violences et plusieurs centaines de morts a succédé en 2005 à son père Gnassingbé Eyadéma, président de 1967 à 2005. Celui-ci dont la mort a été brutal en 2005, a dirigé d’une main de fer le pays dont il a pris la tête à la suite d’un coup d’Etat.
Les cas de la Côte d’ivoire…
La crise post électorale née après le 2ème tour de l’élection présidentielle de novembre dernier, vient de prendre fin. Mais les causes de cette crise, remontent au début des années 90 à la mort d’Houphouët Boigny, Président ivoirien de 1960 jusqu’à son décès en décembre 93. Cela a entrainé dans la foulée des tiraillements entre Alassane Ouattara, 1er ministre d’Houphouët Boigny de 90 à 93 et Henri Konan Bédié, le président de l’Assemblée nationale. En vertu de la constitution ivoirienne, Bédié assura l’intérim jusqu’en octobre 95, où il est élu à la présidence de la république. Henri Konan Bédié introduit le concept de « l’ivoirité », et procède à une réforme du code électoral qui interdit à ceux dont les parents ne sont pas nés ivoiriens de se présenter à l’élection présidentielle. Dans un pays où un 1/3 de la population est d’origine étrangère, et ce principalement du Burkina-Faso, du Mali et du Sénégal cette réforme indexe directement ces personnes. Alassane Ouattara étant d’origine burkinabè, cette modification était destinée à l’écarter du jeu politique.
C’est dans ce climat délétère que Bédié se fera renverser en décembre 99 par le général Robert Guéï. Celui-ci tentera dans un 1er temps d’apaiser la situation, mais très rapidement il reprit à son compte « l’ivoirité ». Lors des élections présidentielles d’octobre 2000, la candidature d’Ouattara est rejetée. Laurent Gbagbo est élu face à Robert Guéï qui a tenté de truquer les résultats de ces élections. Le nouveau président met en place un processus de réconciliation, qui permet à Alassane Ouattara de se faire reconnaitre officiellement sa nationalité ivoirienne. Malgré cela, un coup d’Etat manqué intervient le 19 septembre 2002.
A partir de cette date, les rebelles dits des Forces nouvelles (FN) qui ont raté leur tentative de putsch ont pris le contrôle du nord du pays, majoritairement musulman. Laurent Gbagbo et ses partisans ont toujours accusé Alassane Ouattara d’être derrière les ex-FN. Des milliers de personnes ont été tué depuis septembre 2002 suite à des violences ethniques, et aux combats entre les FN et l’armée ivoirienne dont une bonne partie est restée loyale à Laurent Gbagbo jusqu’à la chute de celui-ci en avril dernier. Les ex-rebelles ont été rebaptisés depuis mars dernier, comme étant les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI).
… et de la Guinée
Alpha Condé a été élu en novembre dernier à la tête de la Guinée à l’issue de la toute 1ère élection démocratique, organisée 52 ans après l’indépendance de ce pays frontalier de la Côte d’ivoire. Opposant historique, Alpha Condé succède au Général Sékouba Konaté qui a dirigé une transition mis en place de concert avec les civils. Mais avant, la Guinée a été marquée par une dictature politico-militaire, qui a vu tour à tour se succéder au pouvoir le civil Sékou Touré de 1958 à 1984, le général Lansana Conté entre 1984 et décembre 2008 et le capitaine Dadis Camara jusqu’en décembre 2009. Durant ces 52 dernières années, plusieurs centaines de personnes sont passés de vie à trépas. Le dernier évènement sinistre encore dans tous les mémoires, a eu lieu le 28 septembre 2009 dans le stade du 28 septembre. La junte guinéenne qui était alors dirigée par Dadis Camara y a réprimé dans le sang un rassemblement de l’opposition guinéenne.
Gabon : Omar Bongo, l’ex-doyen des chefs d’Etats africains
Ali Bongo Ondimba est depuis août 2009, le président du Gabon. Il a été élu au terme d’un scrutin qui l’a vu affronter les anciens caciques du Parti démocratique gabonais (PDG), que portait à bout de bras son père Omar Bongo Ondimba décédé en juin 2009 après plus de plus 42 ans de pouvoir sans partage. Durant la longue présidence d’Omar Bongo, le Gabon avait tout l’air d’être une démocratie sous contrôle car celui-ci a entretenu la classe politique gabonaise en gratifiant notamment ces hommes politiques de nominations à des postes ministériels. Il a pu ainsi calmer les velléités contestataires des uns et des autres. A sa mort, les appétits des uns et des autres se sont réveillés et tout ce système a implosé. C’est pourquoi, plusieurs de ses anciens poulains politiques sont aujourd’hui les principaux opposants à Ali Bongo Ondimba. Celui-ci tente de se démarquer de son père tout en s’appuyant sur le PDG, un véritable parti-Etat. Pays voisin du Gabon, le Cameroun est dirigé depuis 1982 par Paul Biya.
En octobre prochain, les camerounais se rendront aux urnes pour une élection présidentielle, pour laquelle Paul Biya sera sans surprise candidat. Près de 30 ans après son accession à la présidence de la république, Paul Biya a toutes les chances de rempiler pour un nouveau septennat. Comme d’autres de ses pairs, il a un peu ouvert le jeu politique au début des années 90. L’activisme des opposants a quelque peu ébranlé son pouvoir, mais depuis il a repris le contrôle. C’est d’ailleurs grâce à cette reprise en main qu’il a pu modifier la constitution du pays afin de pouvoir se présenter à la prochaine élection présidentielle. La loi fondamentale du pays interdisant que le président de la république fasse plus de deux mandats consécutifs.
Instabilité politique au Tchad
Idriss Déby Itno et François Bozizé, respectivement président du Tchad et de la Centrafrique viennent d’être réélus. Tous les deux sont parvenus au pouvoir après avoir dirigé une rébellion militaire. L’histoire du Tchad depu
s son indépendance en 1960, a
oujours été ponctuée par des conflits meurtriers opposant le gouvernement à des mouvements rebelles. Président, Idriss Deby l’est depuis 1990 où il a renversé Hissène Habré au pouvoir depuis 1982 et dont le régime était devenu autoritaire. A son tour, il a dû faire face à plusieurs rebellions qui étaient instrumentalisées par Omar el-Béchir, le président du Soudan, avec qui il s’est maintenant réconcilié depuis quelques mois. Elu en 1996 à l’issue de la 1ère élection présidentielle du pays, l’actuel président tchadien bénéficie également de la bienveillance de la France qui y dispose de deux bases militaires. Attaqué par les mouvements rebelles, son pouvoir a été sauvé en 2006 et 2008 grâce à l’intervention de ces militaires français. Depuis mars 2003 où il est parvenu au pouvoir, François Bozizé doit faire face à une rébellion militaire active dans le sud-est du pays à la frontière avec la République démocratique du Congo (RDC) et dans le nord-est aux alentours de Birao. Le chef rebelle qu’il était, s’est fait élire président en 2005. Comme son homologue Idriss Déby, il maitrise bien le jeu politique centrafricain et rien ne semble en mesure de remettre en cause son pouvoir.
Guerre civile au Congo-Brazzaville
Que dire alors de Denis Sassou Nguesso le président du Congo-Brazzaville, un autre allié de la France en Afrique centrale. Président de 1979 à 1992 alors que le Parti congolais du travail (PCT) était le parti unique du pays, il a dû quitter le pouvoir après avoir perdu l’élection présidentielle de 1992 face à Pascal Lissouba. Mais la présidence de Lissouba a été marquée par une guerre civile. Entre 93 et 94 à Brazzaville la capitale politique du Congo, a été le théâtre de combats qui ont opposé les partisans de Pascal Lissouba, de Sassou Nguesso et de Bernard Kolélas, le maire de la ville. Ces combats auraient fait plus de 2000 de morts et contraints plus de 100 000 personnes à se déplacer à l’intérieur du pays. Mais la guerre civile ne tardera pas à reprendre. C’est dans ce chaos qu’avec le soutien de l’Angola, Denis Sassou Nguesso devenu entre temps le chef de la milice armée des « cobras », a repris en octobre 97 le pouvoir à son ancien challenger qui s’était allié pour la circonstance avec Bernard Kolélas. Les combats furent une fois encore meurtriers. Malgré cela d’autres hostilités ont opposé en 99, l’armée de Sassou Nguesso aux miliciens « Ninjas » de Bernard Kolélas. En mars 2002, suite à des élections critiquées par l’opposition Denis Sassou Nguesso est élu président.
L’Afrique sub-saharienne et le printemps arabe
Depuis le début de cette année, le monde arabe connait une révolution marquée par plusieurs centaines de morts, et dénommée « printemps arabe ». Ce vent de révolte, a précipité la chute des présidents Ben Ali et Hosni Moubarak, qui étaient respectivement à la tête de la Tunisie et de l’Egypte depuis plus de deux décennies. Mouammar Kadhafi le guide libyen doit également faire face à une insurrection militaire lancée depuis l’est de son pays. Ces insurgés depuis le 19 mars dernier, sont soutenus par l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (Otan) qui bombarde les forces militaires restées loyales à Mouammar Kadhafi. Cette intervention militaire de l’Otan ayant été actée à la suite d’une résolution votée par le conseil de sécurité de l’Onu, afin de protéger les civils contre les attaques de l’armée libyenne. Il est quasiment impossible de connaître précisément le nombre des victimes de cette confrontation militaire entre Kadhafi, et les insurgés appuyés par l’Otan. Les deux camps se livrant une guerre des chiffres, alors que l’Otan s’enlise et que le guide libyen résiste beaucoup plus que ce n’était prévu.
Si l’idée de la démocratie est en vogue en Afrique sub-saharienne depuis plusieurs années, et ce au gré des putschs, des rebellions militaires et des révisions opportunistes de la constitution par certains Chefs d’Etats, les peuples tunisiens et égyptiens sont actuellement à une sorte de session de rattrapage « démocratique ». Mais de l’autre côté du Sahara, on observe et on spécule sur tous ces bouleversements politiques inédits et leurs répercussions éventuelles au plan local.