La mesure de suspension définitive du journal Le Béninois Libéré, prise le 7 décembre dernier par la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac), est une décision sans précédent dans l’histoire de cette institution. Durant le même mois, une douzaine de journaux a été également suspendue, à titre provisoire. Les professionnels sont partagés sur ces mesures.
Le 21 décembre 2011, cinq journaux ont été suspendus pour une période allant de deux à trois semaines selon le cas, après que leurs responsables aient été auditionné publiquement par les conseillers de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac).
Ces journaux, dont font partie entre autres La Nouvelle Tribune, Le Matin et L’Evénement Précis, ont été condamnés pour une « violation du code d’éthique et de déontologie journalistique ». Ils rejoignent les organes de presse dont la Haac avait scellé le sort le 6 décembre, pour des articles de nature diffamatoire et calomnieuse à l’endroit de plusieurs personnes.
Une atmosphère sereine à La Nouvelle Tribune
Marcel Zoumenou, rédacteur en chef
de La Nouvelle Tribune. |
Quelques jours après la suspension de La Nouvelle Tribune, nous avions rencontré, Marcel Zoumenou, rédacteur en chef du dit journal. Des sentiments ambivalents l’animent : il est à la fois « déçu » par cette « lourde décision » de la Haac, mais réaffirme dans le même temps qu’il demeure « serein ». Pour lui, la ligne éditoriale de son journal ne changera pas. Il déclare que tous les membres de la rédaction qu’il dirige ont la « conviction que la presse ne doit pas être inféodée à un pouvoir ». Et d’ajouter que « le combat pour la liberté de la presse continue » et que La Nouvelle Tribune dira toujours dans ses colonnes ce qu’elle pense, tout en « respectant les principes déontologiques ».
Lors de notre entretien, Marcel Zoumenou déplore que l´organe de régulation ne reconnaisse pas que « toutes les opinions n’ont pas droit de cité sur les médias publics » et qu´il ferme les yeux sur des cas flagrants de conflits d´intérêts. Pour lui, son journal constitue « le dernier rempart contre le pouvoir actuel ». Cela pourrait expliquer pourquoi il a déjà reçu à plusieurs reprises « des menaces de mort via notamment des coups de fil. »
Interview
Agapit Napoléon Maforikan : « Il y a un problème de déontologie au sein de la corporation journalistique »
Agapit Napoléon Maforikan, ancien membre de la Haac. |
Membre de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (Haac) de 2004 à 2009, Agapit Napoléon Maforikan approuve les dernières décisions de cette institution.
Durant ce mois de décembre, une douzaine de journaux a été suspendue et un autre interdit définitivement de parution. La Haac est-elle allée trop loin ou bien certains journalistes font-ils si mal leur travail ?
Je crois que le mal est à l’intérieur de la corporation des journalistes béninois. Ces décisions n’ont pas suscité un remous particulier. Cela veut dire que les professionnels des médias les acceptent notamment à travers leurs organisations professionnelles et ce, de façon joyeuse ou résignée selon le cas. Selon moi, la Haac fait son travail avec une approche participative, puisqu’elle associe l’Observatoire de déontologie et d’éthique dans les médias (Odem) aux instructions des dossiers d’auditions publiques. C’est une collaboration qui s’apparente à ce qu’on appelle « co-régulation » et qui est déjà expérimentée ailleurs. Du coup, si on analyse les comportements des uns et des autres sur ces dossiers, on peut conclure que ce n’est pas la Haac qui fait mal son travail, mais plutôt certains confrères.
Vous estimez que certains journalistes font mal leur travail. En quoi ?
Simplement parce qu’ils ont décidé de rester en marge des règles élémentaires régissant la profession, celles contenues dans le code de déontologie que les professionnels eux-mêmes se sont donné et qu’ils ont signé en 1999. Ce texte s’impose à nous tous. Alors, si des gens décident de rester en marge de ce code, vous comprenez qu’ils s’excluent eux-mêmes de la profession. Car aucune liberté ne peut être effective et bénéfique pour tous, s’il n’y a pas une dose de responsabilité. La Constitution béninoise reconnaît et garantit la liberté de presse. Mais cette liberté est associée aux respects de certains principes. Même les instruments internationaux de protection des libertés, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et la Charte africaine des droits des peuples et du citoyen de 1981 associent les libertés au respect de certaines normes sociales. C’est dire qu’aucune liberté ne doit se manifester au détriment de celle des autres et surtout de l’intérêt général. Pour moi c’est clair : si certains refusent d’assumer cette responsabilité, il faut prendre des décisions fermes.
Suspendre un journal ou lui interdire définitivement de paraitre, est-ce véritablement dans les prérogatives de la Haac ?
Moi, je ne raisonne pas de cette manière. La Haac est une institution constitutionnelle, qui a deux missions. La 1ère est de défendre la liberté de la presse ; quant à la seconde, elle consiste à faire respecter les règles d’éthiques et de déontologie, car le public a droit à une information plurielle et ne doit pas subir les dérives de la presse. Si certains estiment que cette institution prend une décision abusive, ils peuvent déposer un recours devant la chambre administrative de la Cour suprême. Mais le silence des organisations professionnelles est le signe d’un profond malaise. Cela signifie qu’il y a un problème de déontologie professionnelle au sein de la corporation et qu’il faut prendre le mal à la racine. La Haac existe depuis 17 ans et c’est seulement maintenant qu’elle prend de telles mesures, après plusieurs années de sensibilisation, de formation, de mise en garde et autres. Même si la Cour suprême ou peut-être la Cour constitutionnelle disait que la Haac a outrepassé ses prérogatives, le problème demeurerait entier. C’est pourquoi je pense qu’il faudrait régler ces questions de l’intérieur au lieu de s’en prendre à la Haac.
La question de l’assainissement de la presse béninoise se pose encore davantage avec toutes ces affaires. Au-delà de l’aspect législatif que certains évoquent, comment peut-on véritablement impulser cette marche ?
Il faut que l’Union des professionnels des médias du Bénin (Upmb) et le Conseil national du patronat de la presse et de l’audiovisuel du Bénin (Cnpa-Bénin) prennent conscience de leur double mission de protection et d’assainissement. Nous avons passé près de 20 ans à faire des formations et à sensibiliser les confrères. Il s’agit maintenant d’extraire les bons grains de l’ivraie. Il faut qu’on ramène l’église au centre du village. Il faut que les gens reviennent aux fondamentaux de la profession. Pour moi, il est évident que ces organisations professionnelles ont un grand rôle à jouer par rapport à l’assainissement de la profession. Si elles travaillent à mettre de l’ordre au sein de la corporation, la Haac n’aura plus à prendre des décisions du genre qui paraissent difficiles mais qui s’imposent.
Un mot sur le mandat d’arrêt qui aurait été délivré contre les responsables du quotidien Le Béninois Libéré, notamment Aboubacar Takou et Erick Tchiakpè…
J’ai appris cela sur les réseaux sociaux. J‘attends d’en prendre officiellement connaissance. Je crois savoir que c’est une décision de justice. Si c’était vrai, alors je me sens encore plus conforté dans ma position : on ne doit pas en arriver là. Mais ce qui est cause une fois de plus, ce n’est pas la justice, encore moins la loi qui évidemment doit être corrigée, car il est disproportionné d’avoir comme peine de se retrouver en prison pour n´avoir qu´écrit des contresens. Je suis contre les peines privatives de liberté pour délits de presse. Mais je suis pour que tout journaliste ou responsable de presse indélicat réponde de ses actes sur la base de lois plus modernes que celles que nous avons actuellement. Mais, mieux que la loi, notre code de déontologie mérite d’être promu et vénéré.