« Nous irons jusqu’au bout tant que nous n’aurons pas la certitude que le service sera maintenu ici ». A l’hôpital de Garches, quatre parents en grève de la faim se montrent très déterminés à éviter la fermeture annoncée de l’unité d’oncologie pédiatrique. Un service pas comme les autres où ils ont choisi de faire soigner leur enfant au nom de la liberté thérapeutique.
La raison de la fermeture n’est pas économique ou administrative, elle est « médicale », explique l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris : « L’AP-HP tient à ce que les patients traités dans ses services pour des cancers le soient conformément aux recommandations de bonnes pratiques, établies par la Haute autorité de santé, l’Institut national du cancer et les sociétés savantes, et dans le cadre des autorisations délivrées par les autorités de santé, ou, lorsqu’il s’agit d’essais thérapeutiques pour de nouveaux traitements, selon des protocoles évalués et placés sous le contrôle d’un comité d’éthique et d’une supervision scientifique ». Pour Loïc Capron, président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HP, il faut faire des choix car il n’est pas possible de proposer tous les traitements possibles, « cela s’appelle la liberté académique », a-t-il expliqué lors d’une récente conférence de presse.
Electron libre de la cancérologie française
Du point de vue des autorités sanitaires, le service de Nicole Delépine est loin d’être dans les clous. Electron libre de la cancérologie française, la pédiatre préfère une pratique plus « adaptée » à chaque patient où l’on dose les produits administrés au cas par cas. Et c’est justement ces méthodes « alternatives » uniques en France, que viennent chercher une quarantaine de jeunes patients chaque année.
Nicole Delépine, un électron libre de la… par Ouvertures
« Malgré les recommandations de l’Institut national du cancer de 2010, l’unité d’onco-pédiatrie n’a présenté aucun dossier depuis 2010 aux réunions de concertation pluridisciplinaire interrégionale (RCPI) pour chaque patient pris en charge pour un cancer », rappelle l’AP-HP. « Ces réunions n’ont qu’un seul but : intégrer les patients dans des protocoles expérimentaux que nous refusons », se défend Nicole Delépine.
A l’occasion du prochain départ à la retraite de la professeur, âgée de 68 ans, l’annonce de l’AP-HP de fermer prochainement ce service atypique a provoqué la colère de l’association Ametist, qui défend l’unité depuis 1990. L’association a déposé une plainte pour « délaissement d’enfants » en avril dernier. Une pétition est aussi en ligne. Depuis sa création il y a trente ans, cette unité pionnière de l’oncologie pédiatrique a maintes fois été menacée de fermeture. Elle a connu plusieurs déménagements, jusqu’à son arrivée à Garches en 2004.
« Ici, les enfants bénéficient d’un suivi heure par heure lorsqu’ils reçoivent un traitement. Il y a toujours un médecin présent jour et nuit. Dans les autres unités, que nous avons tous expérimentées en tant que parents, nous ne retrouvons jamais la même approche », explique Sophie, maman d’Hugo, qui soutient les quatre grévistes.
Pour calmer les tensions, Martin Hirsch a réaffirmé que « l’unité d’oncologie pédiatrique de l’hôpital Ambroise-Paré assurera la continuité des traitements en cours pour les enfants dont la famille le souhaiterait ». Pas suffisant pour les grévistes, qui veulent une succession à Nicole Delépine.
Pression du corps médical
Lorsqu’on les interroge sur le parcours de soins de leurs enfants, les parents dénoncent les pressions du corps médical en faveur des essais thérapeutiques. Le dernier plan Cancer 2009-2013 proposait d’atteindre un taux d’inclusion de 60 % des enfants dans les essais. Celui de 2014-2019 réaffirme la volonté de multiplier par deux cet accès aux essais (jusqu’à 50 000 patients, dont les enfants) : « il s’agit poursuivre l’effort de développement de centres d’essais précoces pour une meilleure couverture territoriale (Nord, DOM) et de favoriser la création de centres dédiés aux enfants ». De son côté, « l’AP-HP réaffirme qu’aucun patient ne peut être inclus dans un essai thérapeutique ou connaître un changement de protocole de soins sans son consentement éclairé ou celui de ses parents lorsqu’il est mineur ».
Mais pour Laurence Godfrin, dont la mère est en grève de la faim pour leur fille et petite fille Eline, il serait possible d’intégrer un essai sans le savoir. Elle explique à ouvertures.net les raisons de son soutien à Nicole Delépine.
Témoignage de Laurence Godfrin, maman d'Eline… par Ouvertures
« Nous refusons que les enfants grossissent des cohortes d’essais thérapeutiques aux résultats aléatoires, insiste Nicole Delépine. C’est de plus en plus fréquent dans les centres anti-cancéreux. Or, c’est là que sont automatiquement envoyés les enfants. Par exemple, plus de 80 % des enfants traités en pédiatrie à Gustave Roussy le sont dans le cadre des protocoles de recherche clinique menés au sein de la SFOP (Société Française d’Oncologie Pédiatrique). Depuis 2003 et le premier plan cancer, la sécurité sociale rembourse à 100 % ces traitements expérimentaux avant toute démonstration du service rendu au malade, avant toute connaissance des effets secondaires indésirables. On délaisse les autres traitements éprouvés et publiés depuis 30 ans. Voilà la « bonne pratique » médicale que l’on veut nous imposer ! », martèle celle qui dénonce la « bureaucratisation » du système de soins en France.
Selon Nicole Delépine, les cancérologues ne peuvent plus soigner librement. Ils sont victimes de recommandations décidées en haut lieu par des instances où règnent les conflits d’intérêts. « Malgré l’affaire du Médiator, ces conflits sont toujours possibles car les décrets d’application permettent encore la dissimulation de liens commerciaux »…
Une médecine peu « innovante » qui ne teste pas de nouvelles molécules
Côté résultats, concernant la survie à 5 ans des enfants traités, l’équipe médicale d’oncologie pédiatrique de Garches fait état de chiffres très favorables (80 %). Mais « ces résultats affichés ne sont étayés par aucune évaluation ayant fait l’objet d’une analyse objective et/ou d’une publication dans les dix dernières années », tempère l’AP-HP.
« C’est faux et c’est du dénigrement, rétorque la pédiatre. On connaît très bien les résultats de nos traitements ici. Ils sont accessibles à tous sur nicoledelepine.fr ! On ne fait que reproduire ce qui est documenté par la littérature médicale depuis trente ans. Par exemple dans l’ostéosarcome, c’est 90 % de réussite, dans le sarcome d’Ewing idem. On sait aussi que les résultats des essais thérapeutiques menés dans les années 90 plafonnent généralement à 70 %, quand ce n’est pas seulement 50 %. Quant aux résultats des essais depuis les années 2000, on les attend toujours. Ils ne sont pas publiés malgré nos demandes insistantes. Finalement, nous sommes accusés de pratiquer une médecine peu « innovante » qui ne teste pas de nouvelles molécules ».
> L’affaire Nicole Delépine n’est pas sans rappeler celle du Dr Moulinier, ou de Martine Gardenal, qui ont dû eux aussi subir les foudres du « protocole ». Malgré tout, en trente ans, la cancérologue ne s’est jamais vu retirer son droit d’exercer la médecine. Peut-être parce qu’elle ne fait que pratiquer une médecine académique qui devient, selon elle, de plus en plus difficile à exercer. Peut-être aussi parce qu’elle bénéficie de très nombreux soutiens dans le corps médical.
Jean Michon, le président de la Société française des cancers de l’enfant (SFCE) n’a pas souhaité répondre à nos questions relatives aux essais thérapeutiques coordonnés par la SFCE.