Christian Bobin habite près du Creusot (Saône-et-Loire). Il a écrit de très nombreux ouvrages (Le Très Bas, Ressusciter…) La prise de contact fut laborieuse, notre poète n´utilisant qu´avec modération les moyens de communication modernes. D´où l´impression positive d´avoir « gagné » ce contact. Christian m´accueille dans sa jolie maison aux volets bleus tout au fond des bois. Un accueil simple et chaleureux.
Antoine Buffet.- Christian, dans un de vos livres, Ressusciter, vous écrivez : « Je ne crois plus à l´amour parce que je ne crois qu´à l´amour ». Que voulez-vous dire ?
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Christian Bobin.- Le mot « amour » est dévalué, il a trop servi : les chrétiens en parlent trop, le monde le galvaude, en fait du commerce. Pour moi, l´amour est une chose qui vient après beaucoup de luttes, de douleurs. Une sorte de clairière. Mais pour l´atteindre, il faut traverser une forêt bien sombre, celle de notre monde. Je vous conseille, là-dessus, le récent livre de Lytta Basset : Aimer sans dévorer.
– Alors pessimisme face au monde ?
– La Bonne Nouvelle ne vient que par la Bible. Le monde, lui, ne change pas. Le monde est un arbre mort sur lequel on ne peut s´appuyer. C´est un écran entre la personne et son cœur. L´argent, la possession, autant de masques. Nous vivons un état de naufrage. Mais je suis confiant, quelque chose reste hors d´atteinte du monde : c´est l´âme. Elle ne s´éteint pas. C´est elle qui lutte contre le monde.
– Quelle est votre espérance ?
– Je crois que toute vie humaine s´inscrit dans le temps d´un Évangile : d´abord, rien, puis l´annonciation, l´incarnation, l´errance, la révélation, le Golgotha puis la résurrection. Les plus belles choses doivent être conquises. Une croissance dure, exigeante. À l´image de la fleur qui doit lutter pour croître, qui va vers la lumière. L´homme doit se faire petit à petit. Mettre en forme le meilleur. Rien n´est parfait au départ. Comment faire évoluer l´homme ? Pas de prosélytisme, pas de sermons. Par l´exemple. Par une longue patience attentive. Exposer sa manière de vivre.
– Vous dites : « Croyez seulement à ce que j´ai vu car je l´ai réellement vu. »[1]
– Mon travail, c´est regarder, témoigner avec précision de ce que je vois. Par exemple, j´aime décrire les très petits enfants, leurs yeux ouverts et étonnés, jouant avec leurs lacets de chaussures… La poésie n´est pas un genre littéraire, elle est l´expérience spirituelle de la vie, la plus haute densité de précision. La précision, c´est la sainteté de l´âme.
[1] « Ne croyez pas que je sois bon, sage ou même intelligent, croyez seulement à ce que j´ai vu car je l´ai réellement vu ». Ressusciter, p.167 (Gallimard, 2001)
>> Cet interview a d´abord été publiée dans le numéro de juin 2011 de “Marcher ensemble”, bulletin du diocèse d´Autun, Chalon et Mâcon, où habite Christian Bobin.