La Mutuelle générale des cheminots (MGC) publie une « Enquête sur l’industrie pharmaceutique ». Elle y dénonce comme « tout simplement spoliatrice » la marge moyenne de 31% sur les produits de cette industrie. Des profits « hors norme » qui devraient continuer à augmenter dans les années à venir.
L’enquête fait suite à « un mouvement d’étonnement » de son auteur, André Wencker, directeur de la MGC, à la lecture des résultats économiques et financiers 2009 d’un acteur majeur de l’économie française, la société Sanofi-Aventis.
Née en 2004 de l’OPA (offre publique d’achat) de Sanofi sur Aventis, la société s´était alors endettée pour devenir rapidement leader de la pharmacie en France. Cinq ans à peine plus tard, la nouvelle structure réalisait un chiffre d’affaires de 28 MD€ et près de 9 MD€ de résultat net, soit plus de 30% de marge nette !
Une telle progression a stupéfait André Wencker qui s’est demandé si ce niveau de résultats était le fait de Sanofi-Aventis ou la marque de tout le secteur.
La mutuelle a donc vérifié le premier point à l’aide d’un échantillon de 14 entreprises leaders du secteur1 et l’a confirmé à l’aide des données contenues dans le rapport de l’enquête sectorielle publié par la DG15 (Direction générale de la concurrence) de la Commission européenne, publié en juillet 2009. Et elle a pu voir que c´est bien tout le secteur, et non seulement l´industrie pharmaceutique française, qui connaît cet essor considérable.
La mutuelle a décortiqué les rapports annuels, les documents de référence et surtout certains comptes de la SEC (Securities and Exchange Commission, organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers) pour avoir une vision financière globale du secteur.
« La crise n’affecte pas ces acteurs »
Voici les principaux enseignements de l’étude : le taux de résultat moyen net de ce secteur industriel est de 31%, rarement inférieur à 25%. Les résultats sont en augmentation partout, « malgré la crise économique qui n’a pas semblé affecter ces acteurs ». Ils semblent d’ailleurs « devoir augmenter encore dans les années à venir ».
En outre, le coût de production des biens vendus représente en moyenne 23,4% du chiffre d’affaires : l’industrie pharmaceutique « nous » vend ses produits quatre fois plus cher que leur coût de production.
La France championne des dépenses en médicaments La France est la championne toutes catégories de la dépense en produits pharmaceutiques. Leurs prix sont un peu inférieurs à la moyenne des pays comparables mais les volumes distribués sont nettement supérieurs. La France consacre plus d’argent à ce domaine que la RFA, laquelle compte pourtant 27% de population en plus, une population au demeurant plus âgée et plus riche. En 2009, la France y aura consacré presque le double du budget anglais. Elle est au premier rang pour la consommation d’antibiotiques, d’antidiabétiques oraux, d’hypocholestérolémiants (mais au second rang pour les seules statines), d’antidépresseurs et de tranquillisants. Elle est au second rang pour la consommation d’antiasthmatiques et au troisième rang pour la consommation d’antihypertenseurs. 90% des consultations réalisées en France se concluent par une prescription, contre 83% en Espagne, 72% en Allemagne et 43% aux Pays-Bas. Concernant les psychotropes, les dépenses des Français en ce domaine demeurent, en moyenne, neuf fois plus élevées que celles des Allemands, quatre fois plus que celles des Espagnols ou encore le double de celles des Danois et Norvégiens… |
Les coûts de recherche et développement (R&D) atteignent seulement 16,08% du chiffre d’affaires : l’industrie ne dépense pas autant qu’elle le dit en ce domaine ; de plus, la recherche fondamentale y tient une place peu importante, ce coût étant constitué pour l’essentiel de dépenses en essais cliniques.
Le poste de coûts en général et parfois de très loin, le plus important, est le « SGA » : « Selling, General and Administration » (vente, frais généraux et administration) qui est toujours supérieur et de loin à celui de la R&D et la plupart du temps supérieur au coût de fabrication ; il représente en moyenne 27,21% des comptes de résultats de l’échantillon. « L’industrie dépense plus pour nous faire acheter ses produits et rémunérer ses dirigeants que pour produire et en chercher de nouveaux. »
Une tendance à l’augmentation des résultats
Une tendance profonde est l’augmentation des résultats, année après année « et ce malgré la crise que toutes ces grandes entreprises ont traversée avec semble-t-il beaucoup de facilité ».
L’industrie pharmaceutique se concentre à toute allure, Américains en tête, les anciennes « grandes nations » européennes réussissant à préserver quelques leaders (le Royaume-Uni avec GSK, l’Allemagne, avec Bayer et Boehringer, mais qui a toutefois perdu Hoeschst, et la France, grâce à la fusion Aventis-Sanofi).
Pour la France, le champion local est Sanofi-Aventis, constitué en 2004, grâce au concours du ministre des finances de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui appuya les efforts des deux actionnaires de référence, Total et l’Oréal.
Les « monstres » ainsi créés deviennent des « empires financiers, disposant de trésoreries se comptant en milliards voire en dizaines de milliards pour les plus grands, leur permettant de ne plus toujours « chercher » mais de racheter les petits qui innovent, notamment dans les biotechnologies (où se joue semble-t-il l’avenir du secteur et non plus en chimie), même si les résultats de ces derniers venus paraissent pour l’instant plutôt décevants, en tous cas très inférieurs à leurs promesses ».
Jusqu’à 80% de marge pour les blockbusters
La Commission européenne, a lancé une enquête sectorielle en janvier 2008 au sein des marchés pharmaceutiques de l’Union, « en raison d’informations relatives aux médicaments innovants et génériques suggérant que la concurrence pourrait être restreinte ou faussée »…
Paru en juillet 2009, le rapport final de la DG 15 (lire la synthèse) présente un certain nombre de résultats qui corroborent le travail mené par la MGC, au travers d’une étude beaucoup plus vaste et fouillée.
La Commission note que le nombre des salariés employés dans les secteurs du marketing et de la vente est le double, voire parfois le triple de ceux affectés à la recherche-développement. Encore faut-il préciser que les 17 % de R et D se subdivisent en 15,5 % de recherches cliniques (incluant la recherche et la rémunération de médecins et de cohortes de malades) et à peine 1,5% en recherche fondamentale. Cette dernière étant en fait menée essentiellement par le secteur hospitalo-universitaire.
« Un accès de pudeur des rédacteurs »
Le résultat net de l’industrie est simplement évoqué en ces termes dans le document : « Sur la base des données fournies par les sociétés, les médicaments vedettes (blockbusters) fournissent des marges nettes qui peuvent atteindre 80%. En moyenne, le taux de profit déclaré s’élève à 30% du chiffre d’affaires. (…) Cette estimation nous paraît plutôt prudente, si l’on tient compte du fait que certaines sociétés ne nous ont pas fourni de chiffres concernant leur « profitabilité » et que d’autres nous ont fourni des données étonnamment faibles, si on les rapporte à celles concernant d’autres « blockbusters » ».
Ironique, la MGC note : « Il est d’ailleurs très curieux de devoir constater que dans le rapport de synthèse de la DG 15, par ailleurs seul document disponible en français, ces chiffres de résultats nets ne sont même pas mentionnés, comme si leur niveau exorbitant avait provoqué un accès de pudeur de la part des rédacteurs, à l’occasion de leur communication au grand public… »
Un discrédit dangereux pour l’ordre public sanitaire
Au plan général, les perspectives du secteur paraissent excellentes et malgré les menaces sur leurs revenus futurs, liées à la « tombée » de brevets pour un grand nombre de leurs blockbusters. A l’été 2009, les sociétés d’analyse financière affichent pour la plupart des recommandations de la catégorie “outperform” (performance exceptionnelle) pour les valeurs du secteur.
Enfin, concernant les conditions de gestion de la pandémie de grippe A en 2010, l’étude de la MGC note : « On retiendra que les comptes des sociétés pharmaceutiques qui ont pu profiter de [la] manne s’en sont bien ressentis, grâce à un « impôt » de près de 400 M€ imposé par l’Etat à nos adhérents, ce qui, rapporté aux résultats de ces sociétés d’abord, aux conditions obscures ensuite dans lesquelles toute cette opération a été initiée puis gérée, aux sacrifices enfin que l’on veut imposer pour 2011 à nos assurés, provoque chez l’observateur un écœurement profond face à ce qu’il est advenu de notre système de protection sociale, fondé initialement sur des principes d’équité et de justice ».
Et elle tire la sonnette d’alarme : « Tout ceci est très préoccupant pour l’ordre public sanitaire car le discrédit auprès du public dont souffrent aujourd’hui les Autorités sanitaires, nationales ou internationales met sans doute en péril d’autres plans de prévention d’ampleur nationale qui pourraient advenir et qui seraient cette fois justifiés… »
1 Abbott, Amgen, Astra-Zeneca, Bayer, C.H. Boehringer, BMS (Bristol-Myers-Squibb), Eli-Lilly, GSK (Glaxo-Smithline-Kline), Johnson and Johnson, Merck, Novartis, Pfizer, Roche, Sanofi-Aventis.