Victimes du changement climatique, ils témoignent

Les changements climatiques représentent pour nous, Européens, une menace croissante. Mais pour de nombreux pays en développement ou du Sud, leurs effets destructeurs, parfois même dévastateurs, sont déjà bien réels. Ouvertures a voulu donner à entendre les victimes déjà bien concrètes de ces bouleversements dont nos modes de consommation sont à l’origine(1). Témoignages recueillis par les Amis de la Terre.

Honduras

L’ouraganMitch, le plus dévastateur des deux derniers siècles dans l’hémisphère occidental, a démontré la vulnérabilité extrême du Honduras au changement climatique. En 1998, cet ouragan s’est abattu sur l’Amérique centrale pendant trois jours, touchant directement près de la moitié des six millions d’habitants du pays et détruisant les infrastructures et l’agriculture. En plus des milliers de morts et de blessés, et de la destruction des installations d’eau, d’assainissement et d’hygiène directement causés par la tempête, la santé des Honduriens en a reçu un coup dont elle aura du mal à se remettre.

Maritza Arévalo Amador, 58 ans, mère célibataire de cinq enfants, quartier Flor no 1 de Tegucigalpa


© Candy Baiza

« Les êtres humains ont provoqué ces changements lorsqu’ils ont coupé les arbres. C’est cela qui a été le plus grave pour l’environnement, car le déboisement a provoqué la pénurie d’eau dans nos villages et dans notre pays. Les effets de ces changements sont la chaleur, de nombreuses maladies de la peau… le manque d’eau et la pollution. La destruction de notre sol, ainsi que l’exploitation minière qui contamine l’air, l’eau et les êtres humains. Les enfants et les vieillards ont des affections de la peau et des bronches. J’ai eu beaucoup d’expérience dans ma vie parce que j’ai lutté pour l’environnement. Les luttes ont été dures, surtout dans les communautés où je travaille à planter des arbres… Nous travaillons pour améliorer l’environnement en faisant des exposés sur la santé écologique… Il faut planter des arbres pour «respirer» un environnement meilleur. En outre, nous avons appris à recycler les ordures. »

Hilda Maradiaga Mejia, 55 ans, mère célibataire de six enfants, quartier de Nueva Suyapa, Tegucigalpa


© Candy Baiza
« Je travaille au développement durable avec des groupes et des organisations, pour améliorer le développement de ma communauté et du reste des gens, et le développement local et écologique du pays. Je travaille dans les domaines de l’agriculture et du développement pour mes enfants, pour veiller à l’éducation de la famille et pour améliorer son niveau de vie, et aussi pour mon groupe organisé. Ce que je fais pour réduire les effets négatifs du climat ? Des visites communautaires avec des camarades qui sont organisés. Lutter contre la pauvreté, par exemple en faisant des jardins familiaux et communautaires. Éduquer en matière de santé, de nutrition, pour améliorer l’alimentation des enfants et des familles. Comment faire des médicaments naturels avec des plantes, comment faire des sirops. Des ateliers sur le stress, la santé, les massages du dos, de la tête et des mains. Des échanges de plantes médicinales entre communautés, la médecine préventive. Mon message aux autres communautés affectées ? Organisez-vous pour avancer et pour devenir meilleurs. Améliorez votre alimentation en plantant des jardins familiaux et communautaires. Unissez vos forces avec d’autres communautés et organisez-vous. Plantez des arbres fruitiers et ornementaux. Unissez-vous et travaillez au plan national et international, parce que si nous nous unissons nous sommes plus forts et plus persévérants. Soyez courageux et essayez d’aider vos voisins. Luttez pour un monde juste et sans frontières. Faites preuve d’affection, aimez Dieu et vos voisins. »

Pérou

Eulogio Capitan Coleto, 63 ans, président du Comité de l’environnement, village de Vicos, département d’Ancash


© Asociación Civil Labor / FoE Pérou
« Les gens se rendent compte maintenant que les neiges sont en train de reculer. Ils voient aussi que le climat a changé. Par exemple, nous avons de la gelée et de la grêle à n’importe quelle époque. Avant, il gelait tous les trois ou quatre ans, en décembre ou novembre. Du temps de nos parents et grands-parents c’était comme ça ; à présent, cela arrive à n’importe quel mois. La qualité (des cultures) a changé. Avant elle était meilleure, et il y avait davantage de récoltes. Ce n’est plus comme ça, la qualité a baissé, il y a des vers ; avant, on appliquait des pesticides une seule fois, maintenant nous devons le faire deux ou trois fois. De nouvelles maladies sont apparues. La tache noire [une affection fongique] est apparue il y a 10 ans ; maintenant nous utilisons un produit pour la combattre. Cela pourrait avoir quelque chose à voir avec le changement de la température. La plupart des cultures sont arrosées avec l’eau de la fonte des neiges. Mais la gelée de février dernier a endommagé beaucoup de cultures à Quebrada Honda [une vallée profonde, à deux heures de là, sur la Cordillère Blanche].
Normalement, la gelée tombe avant le 8 janvier. C’est la première fois que cela arrive en février, personne n’y avait pensé. Ceux qui ont perdu leurs récoltes étaient si nombreux… presque toutes les familles ont été touchées. À Quebrada Honda, toutes les cultures, ou presque, ont été endommagées. »

Swaziland

Make Nhleko, membre du conseil traditionnel, Zombodze Emuva, région de Shiselweni


© Natacha Terrot
« L’année a été très mauvaise, j’ai très peu cultivé. L’averse de grêle de décembre 2006 a aggravé encore les choses. Le toit du supermarché derrière nous s’est envolé pendant l’orage, des cultures et des maisons ont été détruites. À présent, je dois acheter du maïs et des haricots, alors qu’avant je les plantais. Mais au moins je peux me payer le maïs. Il y en a d’autres qui ne peuvent pas et pour eux c’est bien plus grave. Dans le passé, le chef appelait les gens pour qu’ils désherbent ses champs ou fassent la récolte. C’était une façon d’unifier les gens de la zone. Après le travail, ils se réunissaient dans le kraal du chef [une enceinte pour le bétail] et ils discutaient des affaires de la communauté. Le chef tuait un boeuf pour eux et une partie de la récolte servait à alimenter les membres de la communauté qui n’avaient rien et ne pouvaient pas vivre sans aide. Ainsi, tout le monde avait quelque chose à manger. Mais à présent il n’y a rien à récolter, donc même le chef ne peut pas aider ceux qui ont faim. L’eau est un gros problème. Nos fleuves et nos puits sont taris. Même quelques puits forés par le gouvernement canadien en 1997 ont tari depuis. La communauté est en train de creuser des tranchées pour des conduites qui, nous l’espérons, vont amener l’eau d’un puits ancien. En ce moment nous devons aller chercher l’eau dans les fleuves et les puits qui ne sont pas encore épuisés. Nous partageons l’eau avec le bétail. Les maladies comme le choléra et la diarrhée sont très fréquentes parce que l’eau est toujours sale. »

Royaume Uni

Le continent européen est lui aussi déjà atteint. Exemple, le village historique de Selsey, situé sur la côte sud de l’Angleterre. Aujourd’hui le changement climatique met cette communauté très unie devant de nouvelles menaces : élévation du niveau de la mer, tempêtes et inondations.

Blanche Butlin, 51 ans, propriétaire d’un champ de foire, Selsey


© Gary Butlin
« Cela fait 16 ans que je dirige avec mon mari le champ de foire côtier de Selsey,mais à présent nous allons nous déplacer un peu vers l’intérieur parce que nous sommes épuisés. Nous avons eu dix inondations et, dans le meilleur des cas, on n’a que vingt minutes pour prendre ses affaires et partir avant que l’eau n’arrive à la caravane. D’ailleurs, l’équipement de la foire est ruiné. Chaque fois qu’il y a marée haute et un coup de vent, surtout si le vent vient du sud, je pense qu’on sera encore inondés, peut-être pendant qu’on dort. L’une des propositions du gouvernement implique la disparition définitive du champ de foire et d’une bonne partie du terrain de camping, car la mer démolira nos défenses côtières déjà délabrées. Ils appellent cela une «retraite gérée», pour que ça sonne plus acceptable, mais ça ne l’est pas. Ils sont en train d’abandonner Selsey, les gens qui vivent ici et leurs moyens d’existence ne les intéressent pas. »

Source de ces témoignages: rapport « La voix des populations affectées par le changement climatique » des Amis de la Terre.

La Conférence climat des Nations Unies

La conférence des Nations unies sur le climat qui s´est tenue à Bali (Indonésie) en décembre 2007 a débouché sur l´élaboration d´une feuille de route destinée à ouvrir la voie à un accord mondial, lequel devrait être conclu en 2009 à Copenhague. La prochaine conférence se déroulera à Poznań, en Pologne, en décembre 2008.

Ces négociations sous l´égide de l´ONU ont pour objet d’obtenir un accord international pour prendre le relais du protocole sur les gaz à effet de serre de Kyoto. Cet engagement international a imposé aux pays industrialisés des réductions d´émissions entre 1990 et la période 2008-2012. Mais sa portée a été réduite par le refus des Etats-Unis de le ratifier.

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(1) L’administrateur du Programme des Nations unies pour le développement, Kemal Dervis, a rappelé que « 70% des gaz à effets de serre déjà émis sont dus à l’activité des pays riches, 28% ont été émis par les pays émergents et seulement 2% par les pays les moins développés ». Ce sont pourtant ces derniers qui en subissent le plus d’effets…

Où est passé le rêve de l’entrepreneur ?


Adrien Couret

« D’après le magazine en ligne L’entreprise.com, 8 000 étudiants ont créé leur entreprise dès leur sortie de l’enseignement supérieur en 2007, sur une masse d’environ 300 000 diplômés(1). Ce petit chiffre étonne, mis en regard de la popularité de l’entrepreneuriat dans le milieu étudiant : ainsi, d’après un sondage réalisé par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) en 2006(2) , la création d’entreprise est perçue comme attractive par 66% des étudiants interrogés : «autonomie, intérêt du travail, créativité et réalisation de ses rêves» mais aussi épanouissement personnel constituent les clés d’une pareille séduction.

Pourquoi un tel décalage entre les aspirations entrepreneuriales de ces jeunes et le passage à l’acte ? Le manque d’expérience et les défauts de financement constituent pour eux un obstacle réel, mais ils n’expliquent pas tout. En effet, sur les campus des universités comme sur ceux des grandes écoles, les formations dédiées à l’entrepreneuriat se multiplient ces dernières années ; de nombreuses « pépinières » ou « incubateurs » voient le jour, sous le patronage bienveillant d’anciens diplômés devenus créateurs de success stories. Les barrières ne sont donc pas nécessairement matérielles ; à notre sens, elles relèvent aussi d’une représentation particulière de l’entrepreneuriat, plus souvent rêvé comme une aventure douce et trop lointaine que comme une alternative sérieuse aux raisonnables carrières offertes par l’entreprise classique.

Formulons alors une hypothèse : dans le monde du travail moderne largement dominé par le salariat comme mode d’emploi, l’entrepreneuriat désignerait pour beaucoup – étudiants comme actifs plus âgés – un fantasme inscrit en creux de l’imaginaire et du vécu de la grande entreprise. Contraintes hiérarchiques, enjeux politiques, sentiment de dilution dans une organisation trop vaste : tous ces défauts imputés à la World Company, le monde de l’entrepreneur en serait exempt. L’entrepreneuriat se définirait avant tout comme un négatif du salariat ; l’entrepreneur comme contre-modèle du cadre ou de l’employé.

Cette opposition, qui semble aujourd’hui relever d’une intuition évidente, est pourtant inscrite dans des conditions historiques particulières : chez Schumpeter(3) , le capitaine d’industrie, figure de proue du capitalisme du XIXème siècle, est ainsi indissociable de l’entrepreneur. Porteur d’innovation, meneur d’hommes exprimant une vision : héros et héraut d’une bourgeoisie conquérante, au cœur de la grande entreprise.

Tout change dans la première moitié du XXème siècle : le tissu économique se resserre autour de quelques oligopoles où s’ébattent des mastodontes bien identifiés. L’innovation, devenue plus complexe, plus coûteuse, au centre d’enjeux de plus en plus cruciaux, ne peut plus être l’affaire d’un seul homme. Voilà l’entrepreneur dessaisi de son rôle ; l’innovation se bureaucratise, confiée à des bureaux d’études, soumise à budget, passée à la moulinette de processus et de normes internes. Schumpeter le constate tout en le déplorant : il n’y a plus de place pour l’entrepreneur dans les grandes entreprises.

Ce divorce, inscrit dans des évolutions économiques lourdes, n’est pas sans conséquence sur le vécu au travail dans la grande entreprise, car le capitaine d’industrie y livrait une vision, suscitant l’enthousiasme derrière lui. Désormais, comme le souligne Ivan Illich à travers son oeuvre(4), les grandes institutions du monde industriel ne sont plus que de vastes mécaniques guidées par des outils (normes, processus, étages hiérarchiques) autour desquels des hommes s’affairent sans que tout cela fasse toujours sens pour eux. Perdu dans la complexité du « comment », le salarié ignore le « pourquoi » de son travail, autrefois délivré par le capitaine d’industrie : l’inflation des métiers centrés sur le contrôle organisationnel (contrôle de gestion, audit interne et externe) et sur la simple optimisation des processus (pour partie le conseil, ainsi que les SSII, sociétés de services en ingénierie informatique) n’en est-elle pas le symptôme ?

Une tentative de réconciliation entre l’entrepreneuriat et la grande entreprise a eu lieu dans les années 1980, par l’évolution des doctrines de management analysée par Luc Boltanski et Eve Chiapello(5): de l’entreprise monolithique et protectrice des années 1960, imprégnée d’un management directif, fonctionnalisé, extrêmement hiérarchisé, l’on est ainsi passé à un mode de gestion des hommes beaucoup plus décentralisé (l’entreprise-réseau), articulé autour du management par des projets transversaux, de l’empowerment des salariés, de l’exaltation de l’initiative individuelle comme vertu cardinale des collaborateurs. Du salarié naguère vissé à une fonction, on a voulu faire un intrapreneur.

Mais cette réconciliation n’a que partiellement réhabilité la grande entreprise par rapport à l’entrepreneuriat, car elle s’est faite en partie au détriment du salarié. En effet, si l’intrapreneur redécouvre les joies de l’autonomie et un certain épanouissement personnel, il devient, en tant que nœud connecté à de multiples maillons de l’entreprise-réseau, l’objet d’un nombre croissant de dispositifs de contrôle : parce qu’il est attaché à différents projets, ses responsabilités comme ses chefs se multiplient ; parce qu’une proactivité « d’entrepreneur » est attendue de lui, il est sans cesse appelé à faire plus que ce qui est demandé par sa fonction ou permis par ses compétences. Pour reprendre l’image bien connue de Michel Foucault(6) , il se trouve au centre d’un système « panoptique », c´est-à-dire sous l’oeil d’une multitude de contrôles potentiels et diffus, et donc dans la nécessité d’agir « comme si » il était perpétuellement contrôlé : le développement du stress et des pathologies du travail peut être compris sous cet angle.

Ainsi, en dépit du développement de formes d’entrepreneuriat dans la grande entreprise salariée, ces deux modes d’organisation du travail restent aujourd’hui encore déconnectés du vécu comme de l’imaginaire : comme le décrit une enquête menée en 2007 par l’APCE (Association pour la Création d’Entreprise), les anciens salariés établis à leur propre compte n’envisagent jamais de faire machine arrière, comme s’ils étaient parvenus à un point de non retour(7). »

Adrien Couret

Après avoir suivi une formation (HEC) dédiée aux modes de management alternatifs (dont l’entrepreneuriat), Adrien travaille comme chargé de projets dans le secteur mutualiste.

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(1) Source Insee.
(2) http://www.ccip.fr/upload/pdf/CP-Rencontres-Entrepreneuriat.pdf
(3) J.A. Schumpeter, Capitalisme, Socialisme et Démocratie, 1942.
(4) Voir notamment I. Illich, La convivialité, 1973.
(5) Voir L. Boltanski et E. Chiapello, Le nouvel esprit du capitalisme, 1999.
(6) Voir M. Foucault, Surveiller et Punir, 1975.
(7) http://media.apce.com/file/02/8/etude_quali_bonheur.10028.pdf

La Tribune : indépendance garantie par une charte

Le quotidien économique français La Tribune, racheté par Alain Weill, s'est doté après de longues négociations, d'une Charte d'indépendance et de déontologie visant à protéger les journalistes de « toute influence ».

Le texte, adopté « à la majorité de la rédaction » selon la Société des journalistes (SDJ) du journal, reconnaît également des droits à la rédaction. Il s'applique aussi à son site internet latribune.fr. La charte contient plusieurs affirmations innovantes par rapport au code de bonne conduite existant précédemment, dont celles-ci :

  • L’actionnaire, le directeur de la publication et de la rédaction, le service commercial, les cadres et les employés de la société s’engagent à respecter l’indépendance éditoriale.
  • Les impératifs publicitaires et commerciaux ne peuvent être invoqués par quiconque pour influencer le travail des journalistes.
  • Dans tous les articles évoquant l’actionnaire, hors brèves et télex, la mention «propriétaire de La Tribune» doit figurer entre parenthèse.
  • La règle est identique lorsque l’article concerne une des autres sociétés détenues par le même actionnaire ou une manifestation, conférences … organisée par cette société. La mention entre parenthèse est alors : « détenu par le même actionnaire que La Tribune».
  • Le reportage aux frais de La Tribune demeure le moyen privilégié pour assurer une information de qualité. (…) L’organisateur du voyage doit être informé au préalable que la participation au voyage n’implique pas la rédaction d’un article. Si le voyage donne lieu à la rédaction d’un article, ce dernier précise que l’information a été recueillie « dans le cadre d’un voyage à l’invitation de… ».
  • Toute information doit être sourcée. Le recoupement d’au moins deux sources doit être toujours recherché. L’anonymat de la source doit demeurer l’exception et non la règle.
  • Une bonne information suppose le respect du principe du contradictoire. La mise en cause d’une personne morale ou physique implique de rechercher la réaction du mis en cause et d’en faire état, qu’il s’agisse de dénégations ou de justifications quelle qu’en soient la valeur ou la portée.

Autre nouveauté, la charte reconnaît des droits à la rédaction par l'intermédiaire de la SDJ : « En cas de différend entre la rédaction et la direction de La Tribune, il sera fait appel à l'arbitrage d'un médiateur, choisi par le directeur de la publication et approuvé par la SDJ », qui bénéficie par ailleurs, d’un droit à l’information et à l’interpellation du médiateur par le biais de la SDJ.

Trois livrets sur le « journalisme responsable »

Les trois premiers livrets de la collection « Journalisme responsable » de l'Alliance internationale de journalistes sont parus. Ils sont rédigés par trois participants de cette alliance:

Sociétés de rédacteurs, Sociétés de journalistes, les rédactions ont-elles une âme ?
par Bertrand Verfaillie

Le Médiateur de presse ou press ombudsman. La presse en quête de crédibilité a-t-elle trouvé son Zorro?
par Frédérique Béal

Régulation, médiation, veille éthique ; les Conseils de presse, la solution ?
par Gilles Labarthe.

Ils sont téléchargeables sur le site de l'AIJ.

Souffrance au travail : du suicide à la «communion»

Alors que des salariés, sous pression dans leur milieu professionnel, mettent fin à leur jour, le gouvernement se penche sur le stress au travail. Et promet enquêtes, études et négociations. En attendant qu’on en sache plus sur la pénibilité des conditions de travail, certains oeuvrent depuis longtemps pour faire évoluer les mentalités. Coup de projecteur sur un mouvement original, les Focolari, qui s’efforce d’appliquer une « économie de communion », faisant une libre part de principe au « don ».


Chiara Lubich main dans la main avec mère Teresa.
Pour Xavier Bertrand, ministre français du travail, « il faut faire comprendre aux entreprises que la prise en compte du stress est nécessaire et indispensable et que c’est de leur intérêt à la fois social et économique». Il a annoncé la mise en place d’« une veille épidémiologique sur les suicides dès l’année prochaine ». Des négociations seront également lancées dans les branches professionnelles à risque. Le texte remis au gouvernement conclut par cette phrase : «Ainsi, point n’est besoin d’attendre pour agir ensemble, si nous le voulons, et pour remettre l’homme au centre du modèle et des préoccupations de l’entreprise». Effectivement, si beaucoup de nos concitoyens vont mal, ne serait-ce pas, plus encore qu’en raison de la faiblesse de leur «pouvoir d’achat», tout simplement qu’ils se sentent insuffisamment respectés, voire exploités ou méprisés? Ne serait-ce pas parce que, dans nos nations dites civilisées, l’homme n’est pas «au centre du modèle et des préoccupations de l’entreprise», ce que le rapport reconnaît naïvement ?
L’argent fait le bonheur… s’il est dépensé pour autrui

Elizabeth Dunn, professeur de psychologie sociale à l’Université de Colombie-Britannique (Canada), et ses collègues ont conclu dans des travaux publiés par la revue Science (21 mars) que « dépenser de l’argent pour les autres rend plus heureux ». Une première enquête auprès d’un échantillon de 630 participants à travers les États-Unis a montré que les gens qui dépensent plus en cadeaux et en dons à des organismes de charité étaient plus heureux que ceux qui dépensaient plus d’argent pour eux-mêmes. Dans une seconde étude, les chercheurs ont suivi 16 travailleurs avant et après qu’ils reçoivent des primes allant de 3 000 à 8 000 dollars. La façon dont les primes ont été dépensées déterminait plus la satisfaction que le montant de la prime. Cette satisfaction était liée à la proportion du montant consacrée à autrui. Enfin, 46 étudiants se sont vus remettre 5 ou 20 dollars à dépenser dans la journée. La moitié des étudiants qui a eu pour consigne de consacrer la somme à autrui était plus satisfaite que celle qui devait la dépenser pour soi.

Ce n’est pas l’ultra-milliardaire Bill Gates, qui consacre l’essentiel de sa fortune à des actions humanitaires, qui nous contredira. Ni Bill Clinton, dont le dernier ouvrage s’intitule tout simplement Donner

Plus de solidarité et d’équité

Or, dans le monde, beaucoup d’individus, d’associations ou de groupements politiques défrichent depuis des décennies des voies différentes, à la recherche de plus de solidarité et d’équité. Et ceci sans attendre le bon vouloir des gouvernements, trop liés aux intérêts des grandes entreprises et du milieu financier.

Parmi ces mouvements, nous avons choisi de vous présenter celui des Focolari, que l’actualité vient de placer sous ses feux en deux occasions : un colloque à l’Unesco le 2 février dernier sur le thème: « Du microcrédit à l’économie de communion – Des valeurs pour l’économie » ; le décès de Chiara Lubich, fondatrice et présidente du mouvement des Focolari à l’âge de 88 ans, ce 14 mars à Rocca di Papa (près de Rome).

Chiara Lubich est à l’origine du concept d’économie de la communion dans la liberté (EdeC), un projet économique né au Brésil en 1991 à son initiative. Ses buts : contribuer à éliminer la pauvreté dans le monde en créant des liens d’échanges fraternels entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent ; montrer qu’elle est une alternative viable à la globalisation marchande. L’EdeC inspire déjà la gestion de plus de 750 entreprises dans le monde (22 en France plus une dizaine en cours de création) et influence le niveau culturel alentour.

De par le monde, une trentaine de cités pilotes se sont organisées dans cet esprit, accueillant à la fois entreprises (souvent réunies en zones d’activité), familles et accueil de visiteurs.

Chiara Lubich, initiatrice des Focolari (foyers)

Née à Trente en Italie, le 22 janvier 1920, Chiara s’était consacrée au Dieu catholique en 1943, tout en restant laïque. Peu à peu, avec ses premières compagnes, elle a mis en place une petite communauté qu’on appela “focolare” (foyer en italien) et qui a fait tache d’huile. Le mouvement des Focolari, reconnu dans l’Église catholique en 1964, est maintenant répandu dans plus de 180 pays, dont la France avec 3 000 membres (sur environ 100 000 au total) et deux millions de sympathisants.

Le monde civil a décerné à Chiara Lubich, qui a écrit 23 livres, plusieurs prix dont le Prix Unesco de l’éducation pour la Paix (Paris 1996) et le Prix européen des droits de l’Homme (Conseil de l’Europe, Strasbourg 1998).

Développer la culture du don

Si le mouvement est clairement de conviction catholique, il s’est efforcé d’engager un dialogue interreligieux, avec un leitmotiv: « Que tous soient uns ». Depuis 1995, des réunions et congrès internationaux (comme celui de l’Unesco en février) réunissent des personnes de convictions autres que religieuses qui souhaitent « s’engager aux côtés des Focolari dans des actions au service de l’homme ».

La “culture du don” du Mouvement des Focolari s’est concrétisée dans une communion des biens entre tous les membres et en oeuvres sociales parfois importantes. L’idée est d’augmenter les ressources en créant des entreprises, confiées à des personnes compétentes afin d’en retirer des bénéfices qui sont utilisés ainsi :

  • une part pour la croissance de l’entreprise,
  • une autre pour l’aide aux personnes dans le besoin, en leur donnant la possibilité de vivre dignement dans l’attente d’un travail, ou bien en leur offrant un travail dans l’entreprise même,
  • enfin une part pour développer la formation d’hommes et de femmes motivés dans leur vie par la “culture du don”.

« Les personnes en difficulté économique, destinataires d’une partie des bénéfices, ne sont pas “assistées” ou “bénéficiaires”, précise José Grevin, responsable du pôle d’entreprises en cours d’installation à Bruyères-le-Chatel (Essonne). Elles sont des membres à part entière de l’entreprise, ou au moins actives dans le projet. Elles vivent également la culture du don. La plupart renoncent à l’aide reçue dès qu’elles récupèrent un minimum d’indépendance économique. D’autres partagent le peu qu’elles ont avec ceux qui en ont le plus besoin. »

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(1) Une enquête menée auprès des employés de PSA Peugeot-Citroën, après une série de six suicides en 2007, a relevé qu’un salarié sur cinq souffrirait d’hyperstress. Selon Le Monde du 22 mars 2008, la plupart des secteurs d’activités sont touchés par des actes de suicide au travail : France Télécom, HSBC, BNP Paribas, La Poste, EDF, Sodexho, Ed, IBM…

Belgique: vers un Conseil de déontologie journalistique francophone

Cinq ans après les Flamands, la communauté française de Belgique devrait prochainement annoncer la création de son propre organe de régulation de la presse : le Conseil de déontologie journalistique (CDJ).

Cette fois, il ne s’agirait plus que de quelques mois. Le décret reconnaissant « l’instance d’autorégulation de déontologie journalistique » pourrait être pris cet été et le CDJ devenir opérationnel à partir de septembre 2008.

Martine Simonis (secrétaire générale de l’Association générale des journalistes professionnels de Belgique) a elle-même fait les comptes : « Entre 2004 et juin 2006, nous avons beaucoup travaillé, 11 versions de statuts et 8 de règlements et procédures ont été rédigées ». Rien ne se passe vraiment pendant les mois suivant, jusqu’à « Bye bye Belgium », l’émission diffusée le 13 décembre 2006 par la RTBF (radiotélévision de la Belgique francophone) et qui met spectaculairement en scène la sécession de la Flandre.

Il sera largement reproché à la télévision publique de ne pas avoir assez clairement exprimé l’aspect fictionnel du programme. Le scandale fait rapidement réagir la classe politique belge et relance l’idée enlisée d’une instance de régulation francophone : « Je crois que nous devons soutenir toute initiative favorable à un renforcement de la déontologie journalistique en Communauté française. C’est en ce sens que mon cabinet collabore depuis des mois à la mise en place d’un conseil de déontologie journalistique. Il s’agit de l’initiative du secteur que nous allons soutenir, notamment en terme de financement ». Fadila Laanan, ministre de la culture et de l’audiovisuel s’investit publiquement en décembre 2006.

La délicate question des ressources

Les discussions reprennent, en particulier sur la délicate question des ressources et de la répartition des compétences. Le projet, en cours de finalisation aujourd’hui prévoit une contribution paritaire des médias d’une part et des associations de journalistes de l’autre. Ces dernières ne bénéficiant que de peu de revenus, elles réclament une aide publique conséquente pour s’acquitter de leur quote-part qui s’élèverait à environ 80 000 euros par an.

Les initiateurs du projet d’instance de régulation exigent encore « l’exclusivité » des compétences en matière de déontologie. Jusqu’à présent, le Conseil supérieur de l’audiovisuel s’y frottait ponctuellement, ses attributions lui permettant de s’exprimer sur l’objectivité de l’information, la violence ou les mineurs.

Ces deux points d’achoppement réglés, le Conseil de déontologie journalistique de la communauté française pourra officiellement voir le jour. Soutenu par l’ensemble de la profession, il sera composé de 6 journalistes, 6 éditeurs, 6 membres de la société civile et 2 rédacteurs en chef. Comme son budget, ses missions s’inspirent largement de son équivalent flamand : information générale du public et de toutes les organisations intéressées, médiation et régulation.

Les missions du futur Conseil de presse

Le Conseil de déontologie journalistique, aura pour mission de :

  • compléter, harmoniser et affiner les codes de déontologie existants
  • d’informer le public et le secteur des médias
  • d’assurer la médiation entre le public et le secteur
  • de garantir une autorégulation efficace par la diffusion d’avis et le traitement des plaintes.

L’avant-projet a été approuvé en décembre dernier, il semble que le Conseil d’Etat ait quelques hésitations quant au choix du niveau de l’instance : communautaire ou fédéral. Si le Conseil de presse flamand s’est contenté d’un simple « arrêté » et d’une structure associative, les francophones préfèrent un « décret » qui rendrait l’instance régulatrice pérenne.

L’affaire semble cette fois bien lancée et ne devrait pas manquer d’aboutir. Cinq ans de travail auront au moins eu l’avantage « collatéral » d’entretenir et de démontrer la motivation autant des journalistes que des éditeurs de presse francophones.

Nathalie Dollé

Lois de bioéthique : nos cerveaux les intéressent

Les politiques commencent à saisir leurs responsabilités face aux nouveaux outils de manipulation du cerveau. Placer des implants embarqués dans la boîte crânienne, généraliser les traitements de l’humeur, utiliser l’expertise des neurobiologistes pour dépister les « troubles de conduite » ou pour optimiser les campagnes publicitaires… Ces perspectives sont incontestablement des choix de société qu’il faut baliser et encadrer par la loi.

Coupe de profil d'un encéphale grâce à l’IRM (imagerie par résonance magnétique) : on voit le cerveau, essentiellement les hémisphères cérébraux (en haut, en vert, jaune et rouge), le cervelet (en bas et à gauche, en jaune et rouge) et le tronc cérébral (au milieu, en rouge). CNRI/Science Source/Photo Researchers, Inc.

Deux députés Alain Claeys (PS, Vienne), connu pour ses travaux sur l’appropriation du vivant, et le biologiste Jean-Sébastien Vialatte (UMP, Var) préparent des propositions dans ce domaine dans le cadre de la révision des lois de bioéthique. Pour les préparer, ils ont organisé, le 26 mars dernier au Palais Bourbon (Assemblée nationale, Paris), l’audition de quinze experts en neurosciences, philosophes et sociologues, ou porteurs de débats dans ce champ. Un parcours qui a permis de cerner les avancées des neurosciences, la compréhension actuelle des maladies mentales, les représentations et répercussions affectant la société. L’objectif étant d’envisager par des échanges, les régulations et adaptations législatives à prévoir.

La séance a montré des capacités croissantes en matière d’observation et d’intervention sur le cerveau. François Berger, spécialiste des implants cérébraux (Grenoble) a témoigné de la banalisation des recours à la stimulation profonde par électrodes, puisque 40 000 parkinsoniens ont été implantés dans le monde depuis 1995 avec des stimulateurs cérébraux (« brain pacemakers »). Des indications nouvelles se profilent (enfants dystoniques, dépressions sévères, TOC (troubles obsessionnels compulsifs), paraplégie, processus dégénératifs…), notamment avec le recours à des nanodispositifs prochainement expérimentés au sein de la clinique – interne au CEA – appelée Clinatec (Voir l’article de la VivAgoVeille n°5 de janvier 2008, Le projet Clinatec est-il démocratiquement soutenable ?).

« Doper la nature humaine »

Les usages des neurosciences pour le neuromarketing (le publiciste Omnicom, vient d’investir dans les neurosciences), pour le recrutement ou les assurances sont en plein essor mais les neurobiologistes considèrent que ces enjeux sociétaux n’appartiennent pas à leur champ disciplinaire. De même, la mouvance transhumaniste qui entend « doper la nature humaine » (en intervenant notamment sur le cerveau) ne semble pas soucier la communauté, interpellée pourtant par le philosophe Jean-Michel Besnier (Paris IV – Sorbonne) : « Le flou fait partie de vos responsabilités ». Ce dernier estime que les neurosciences, dans une vision mécaniste de l’esprit, accréditent l’idée d’une dépossession de l’initiative, posant la volonté comme une illusion.
Si la logique de la recherche scientifique est légitime, il n’est pas sûr qu’elle serve dans le court terme à inventer des solutions face aux souffrances et aux maladies psychiques alors même qu’elle présente cet objectif comme prioritaire. « Les chercheurs abusent de la justification de soins pour drainer de l’argent », reconnaît Hervé Chneiweiss (Inserm, Collège de France).

Quel sera le statut de l’âme ou de la conscience ?

Au cours des auditions menées dans le cadre de cette loi bioéthique, certaines questions ont abordé un terrain à la frontière entre la science et la philosophie.

Ainsi, face aux avancées des connaissances physico-chimiques, neurologiques et biologiques du cerveau, nous nous trouverons devant la nécessité de définir par exemple que sera « le statut de la conscience, de la pensée, de l'âme ou de la volonté ». Un effort supplémentaire devient nécessaire, de la part des philosophes, des religieux et des humanistes en général pour approfondir et affiner leurs positions. Il va leur falloir mieux connaître et comprendre les découvertes actuelles pour asseoir leurs théories et leurs convictions.

En effet, il ne faudrait pas que les sciences élaborent seules les bases des futures décisions politiques. Le citoyen doit également être tenu très informé des énormes enjeux qui se cachent derrière ces projets. On peut, à cet égard, féliciter le très important travail de vulgarisation et de débat que conduit Vivagora, avec beaucoup de rigueur, depuis des années.

JL ML

Les préconisations issues du cycle 2007 de l’association VivAgora – seule association à être invitée à s’exprimer – ont été rappelées : notamment le besoin d’informer, de faire participer le grand public sur les priorités (outils de recherche versus efforts de soin), la nécessité d’évaluer les programmes au regard des besoins des malades), l’importance qu’il y aurait à limiter la pression de l’industrie sur les prescripteurs, soulignée notamment par le Rapport sur le bon usage des médicaments psychotropes.

Cerveau mis sous cloche

Pour développer des orientations politiques dans le champ neuroéthique, il sera essentiel d’être en prise avec la clinique et ses immenses inconnues concernant les pathologies mentales. Le sujet est bien le malade dans son environnement et non le cerveau mis sous cloche. C’est pourquoi un des arbitrages fort à mener concerne la clarification des légitimités et rôles. L’approche scientifique n’est qu’une dimension dans le champ de l’expertise psychiatrique et le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a déjà pris position à ce sujet (voir son avis sur l’expertise sur les troubles de conduite).

Enfin, un des défis les plus redoutables pour le législateur sera la question du dopage cérébral : qui va décider de la frontière entre réparation et amélioration ? Qui arbitrera entre politiques de soin et projets de performance ?

Dorothée Benoit Browaeys
Déléguée générale de VivAgora

Un “Journal” novateur et participatif en Haute-Savoie

Édité par l’association annecienne pour la promotion de la liberté d’expression (Aaple) à Annecy (Haute-Savoie), le Journal, qui publie son 120e numéro, est animé par une équipe entièrement bénévole. Il se bat pour que les médias alternatifs locaux puissent bénéficier d’un financement régional.


Gérard Fumex,
rédacteur en chef
du Journal

En 1986, une petite équipe de citoyens, impliquée dans la vie associative (sociale, culturelle, syndicale, politique) se forme autour d’une insatisfaction par rapport aux médias classiques, en particulier ceux traitant de l’actualité locale et départementale (écrits ou audio-visuels).

À leur avis, ces médias répondaient mal à la demande citoyenne du droit à l’information et à l’expression : « Nous avions pointé un grand décalage entre la réalité connue et vécue par nombre d’entre nous et la traduction qu’en donnait la presse, raconte Gérard Fumex, rédacteur en chef du Journal. Nous avons donc voulu donner la parole à ceux qui ne l’avaient jamais, notamment les populations défavorisées. Mais nous avons voulu le faire dans une démarche journalistique. Si nous assumons notre statut de média d’opinion, nous refusons d’être un périodique partisan ou de propagande. Notre logique est totalement différente de la logique commerciale des médias dominants : notre souci premier est d’informer, quel que soit le sujet, quelles que soient les conséquences. Notre but n’est pas de “faire plaisir” à priori à nos lecteurs, mais de les amener à réfléchir sur des événements dont ils n’ont pas connaissance, en particulier ceux vécus par des populations exclues de notre système social, économique et politique. Cette démarche s´inscrit dans un souci d’éducation populaire et de démocratie participative. »

Procès gagnés

L’objectif du trimestriel est double :

– Donner la parole à celles et ceux qui ne l’ont pas, ou si peu : exclus du droit à la santé, au logement, à la justice, au travail, à la culture, dans l’impossibilité de vivre dignement.
– Associer les citoyens au traitement de l’information et donner la possibilité aux militants associatifs d’être présents dans un média d’information.

« Durant les 20 ans d’existence de ce média “alternatif”, ajoute Gérard Fumex, nous avons monté des dossiers sur des thèmes d’actualité avec la participation de citoyens concernés. Par exemple, après publication, les lecteurs sont invités à débattre des sujets, échanger des réflexions critiques. Nous avons toujours voulu nous inscrire dans une démarche participative. Au cours de ce parcours, le Journal n’a pas hésité à prendre des risques rédactionnels qui l’ont mené devant les tribunaux pour diffamation ou pour insulte. Nous nous honorons d’avoir gagné nos procès ».

L’association milite également pour décrocher des aides publiques pour son journal mais aussi pour les autres médias alternatifs régionaux. Le 23 octobre dernier, les médias indépendants alternatifs de Rhône-Alpes se sont constitués en réseau. Des aides financières devraient très prochainement leur être accordées, sous forme de subventions et d’achat d’espaces publicitaires par le conseil régional.

Carte d’identité du Journal

Statuts de l’association qui édite le Journal :

« Défendre le pluralisme de la presse face à la pression des grands groupes de concentration de médias ;
– affirmer le droit de tous à l’information et à l’expression critiques et alternatives, en toute indépendance des pouvoirs locaux, politiques, économiques et culturels ;
– mettre en commun nos forces comme médias indépendants-alternatifs de Rhône-
Alpes
– en mutualisant nos moyens,
– en créant des liens et en travaillant ensemble sur des projets communs, entre autres par bassins de vie et par thèmes d’actualité ;
– agir dans le domaine de la formation aux médias pour tous publics. »

Édité à la fréquence annuelle de 4 exemplaires de 12 pages format A3, le Journal est vendu en kiosque sur la Haute-Savoie, sur des lieux associatifs, sur les marchés, lors de rencontres-débats : Manifestation anti-G8 d´Évian, États généraux de la santé, Forum social départemental, États généraux du logement, débat sur le référendum du traité constitutionnel Européen, pour lesquels des suppléments thématiques ont été édités. Il est également diffusé à plus de 200 abonnés pour un tirage global de 1200 exemplaires.

Tél. : 04 50 32 18 61.

 

La place des pauvres dans la société

Après le succès de la première enquête participative sur le site Agoravox (sur l’obligation vaccinale), nous proposons aux internautes d’investiguer avec nous sur la place des pauvres dans la société.

47 % des 778 Avoxiens (on nomme ainsi les internautes d’Agoravox) qui ont participé au vote pour sélectionner le 2e sujet d'enquête participative ont opté pour la place des pauvres dans la société. C'est le choix qui emporte de loin le plus de suffrages. C'est donc ce thème que nous allons investiguer.

Personnellement, je me réjouis de ce choix. Nous allons nous efforcer de voir si notre société connaît les plus faibles de ses membres et si elle sait accueillir leur propre vision des réalités.

Une nouveauté: Eric Lombard, ingénieur physico-chimiste et consultant en gestion, prend le relais pour le pilotage de cette enquête. Je resterai néanmoins présent tout au long du travail pour garantir, à ses côtés, son traitement selon l'éthique et les techniques journalistiques. Eric se passionne depuis près de 10 ans pour la démocratie participative et le débat méthodique.

Début mai, nous reviendrons vers les Avoxiens après avoir "dégrossi" le sujet et synthétisé les enjeux. Nous leur poserons une série de questions pour mieux voir comment cette place des pauvres est déterminée dans notre société.

Nous nous attacherons surtout à analyser comment leur parole est ou non prise en compte dans les instances associatives, officielles, statistiques, délibératives et décisionnelles.

Les conclusions de l’enquête seront publiées sur Agoravox, Ouvertures et en d’autres médias.

Jean-Luc Martin-Lagardette

Pêcheurs sud-coréens dans la rue

Pêcheurs sud-coréens dans la rue

Descendus dans les rues de Séoul, les pêcheurs attendent toujours des compensations de la section des industries lourdes de Samsung, qu'ils considèrent en partie responsable de la marée noire.
Photo : Aurore Skelton.

Le 7 décembre 2007, le navire-citerne Hebei Spirit, immatriculé à Hong Kong et chargé de 209 000 tonnes de pétrole brut, a été heurté par le ponton-grue Samsung N° 1, alors qu'il était au mouillage à environ 5 milles au large de Taean sur la côte occidentale de la République de Corée. Quelque 10 500 tonnes de pétrole brut se sont alors déversées dans la mer.

Une grande partie de la côte occidentale de la République de Corée a été polluée. Au 25 février 2008, soixante-quatre demandes d'indemnisation d'un montant total de Won 33 944,4 millions (€22 millions) avaient été déposées suite au sinistre.

Pour une pollution comparable, rapporte Figaro International du 14 décembre 2007, "la facture de l’Erika, pétrolier maltais qui s’était cassé en 1999 près de la pointe de Penmarch (Finistère), avait dépassé le milliard d’euros. Du coup, les pêcheurs et éleveurs de coquillages manifestent et boycottent les opérations de nettoyage. Le gagne-pain perdu et la récolte d’ormeaux (abalone) dévastée, ils refusent de prêter leurs embarcations et leur carburant aux opérations de pompage et de dispersion. «La situation est simplement tragique, dit Lee Won-jae, patron d’une coopérative de pêche. Les poissons, les oiseaux, les algues, les coquillages, tout a disparu»".

Il faudra des dizaines, voire des centaines d’années, selon l’Institut coréen de recherche océanique, pour retrouver un état écologique satisfaisant. 

Dominique Touzé: «La subversion, aujourd’hui, c’est le sacré»


Dominique Touzé dans Une Saison en Sibérie – Photo: Dan Parigot

La première fois qu’alors étudiant il assista à une représentation théâtrale, Dominique Touzé s’ennuya mortellement. Aujourd’hui, 28 ans après, il est directeur artistique du Wakan Théâtre (Clermont-Ferrand) et des Pléiades (Le Puy-en-Velay) et comédien, deux métiers qu’il poursuit avec passion. Et avec le soutien d’un public nombreux qui le suit fidèlement dans ses innovations scénographiques : les "Spectacles-promenade". Il conte pour Ouvertures cet étonnant parcours qui l'a conduit des trépidations du punk-rock jusqu’aux abbayes où il aime interroger le Ciel dans une « saisissante proximité » avec les spectateurs. Qui en redemandent.

Ouvertures.- Comment vous est venue votre passion pour le théâtre?

Dominique Touzé.- Issu d’un milieu culturel vouant un culte aux livres, mais jugeant avec mépris et dédain les mondes du spectacle, je ne me destinais pas du tout au théâtre. L’occasion me fut donnée de découvrir mon propre intérêt pour la scène après une audition dont je n’attendais que l'obtention d'une unité de valeur pour certifier une licence de lettres. La directrice du Conservatoire d’art dramatique de Clermont-Ferrand, qui validait l’examen, prétendit que j’avais du talent. Elle me convainquit de faire un stage estival de théâtre. Il était animé par l'équipe de Jerzy Grotowski, qui concevait le théâtre comme une expression mystique, une mission, un don total, corps et âme, de soi. Pour moi qui ne m’éclatais jusqu'alors que dans une punk-rock attitude, ce fut un choc énorme, une volte-face irréversible. C’est à partir de là que prit naissance ma véritable vocation artistique.
Après une formation plus classique au sein d'un conservatoire et d’autres stages, dont certains avec le Centre international de recherche du théâtre (Cirt) dirigé à Paris par Peter Brook, autre figure légendaire du métier, je choisis de m’investir dans, et pour, la région de mon enfance : l’Auvergne. J’eus la chance que « Canossa », ma toute première création (que je viens de reprendre vingt ans plus tard sous le nom de « Une saison en Sibérie ») a tout de suite marché, et m'a propulsé dans le professionnalisme.

Au début des années 90, j’ai créé, avec mon épouse Danielle, également comédienne, et deux amis (décédés depuis), le Wakan Théâtre dont le nom fut un clin d’œil au Sacré vu par les Indiens d’Amérique.

– Les Spectacles-promenades sont devenus un peu votre marque de fabrique. En quoi consiste cette démarche ?

– Elle est devenue de plus en plus importante dans mon parcours professionnel, comme si elle s’y était d’elle-même peu à peu invitée, puis trouvant au fil du temps une place devenue essentielle. C’est une manière d'imaginer, puis de bâtir, du théâtre en partant d’un lieu étonnant, d’un personnage ou d'une anecdote historique ou mythique. C’est un moment festif et joyeux qui réunit artistes et public dans une étroite et rare complicité, dans une saisissante proximité ; où chacun s'instruit en s'émerveillant. Ce qui put être faussement apparenté au début à une sous-catégorie, un art théâtral mineur, parfois snobé par la profession, est finalement devenu une forme en soi – à part – très prisée du public, qui y reconnaît, non pas un "spectacle en costumes", mais une véritable innovation culturelle. Les décideurs, élus, et propriétaires de patrimoine ont suivi, soutenu puis encouragé cet engouement populaire. De nombreuses commandes ont suivi, et l'originalité du style s'est affirmée.

– Face aux nouvelles technologies, notamment au cinéma et à la vidéo, qu’est-ce que le théâtre peut dire aujourd’hui ?

– Ce que l'Homme de théâtre peut apporter d'irremplaçable, tient pour moi en deux choses. Pemièrement, la place essentielle et centrale accordée au texte. Un acteur seul, dans un monologue de quarante minutes (comme ce fut le cas dans ma dernière création), est inenvisageable au cinéma, en vidéo ou à la télé. La forme même de l'audiovisuel l'interdit. Au théâtre, si l’acteur a de la présence, de la sensibilité et de "l'intelligence du texte", il emportera le public et fera entendre au plus intime le texte.

Deuxièmement, la proximité charnelle, sensuelle et émotionnelle des acteurs avec les spectateurs plaît énormément et parfois même bouleverse aux tréfonds. Mes "Spectacles-promenade", dans lesquels les artistes sont à moins de deux mètres de chaque spectateur, favorisent, et jouent de, cette rencontre irremplaçable.

– Comment voyez-vous votre avenir ?

– Il y a de moins en moins d’argent pour le théâtre "absolument théâtral" et les coûts de production des spectacles sont de plus en plus élevés. Avec l’abandon progressif des aides de l’État, beaucoup de compagnies indépendantes sont en situation de survie. Même si les collectivités territoriales ont pris un peu le relais, elles sont très sollicitées et ne peuvent aider suffisamment tout le monde. Alors les crédits s'éparpillent et s'émiettent, remettant gravement en question le professionnalisme. Il ne faut jamais oublier que le théâtre c'est bien sûr d'abord un art, mais c'est aussi des métiers.
La question se pose pour moi de décider si je dois suspendre – ou m'amputer de – mes créations théâtrales pour des lieux scéniques conventionnels et me concentrer seulement sur les Spectacles-promenade?…

Dominique Touzé dans
Une Maison dangereuse
Photo: Dan Parigot

Un autre point difficile et attristant est la difficulté qu’il y a, en France, à travailler des textes ou des thèmes interrogeant les dimensions spirituelles ou sacrées. J’ai créé ces dernières semaines un spectacle-déambulatoire dans une église clermontoise, avec des artistes professionnels, mais bénévoles, autour de la figure très controversée et plurielle de Marie-Madeleine, notamment en utilisant des textes apocryphes. Ce ne fut pas un spectacle "religieux" ; même s’il a reçu le soutien d’une association culturelle catholique, il n’était pas « dans les clous » en terme de dogme. Eh bien, malgré la pleine adhésion des spectateurs, je ne suis pas sûr de pouvoir prochainement concrétiser cet essai par une création totalement professionnelle et aboutie. L’argent sera très difficile à trouver. Le soutien du public ne suffit pas : s’il permet de combler 30 % du budget d’une création, c’est déjà la preuve d'un succès populaire exceptionnel ! Un spectacle nihiliste – voire glauque ou obscène – faisant vainement de la provocation un but, trouvera son financement plus facilement. Ce qui touche au religieux est perçu comme tabou, risquant toujours d’attenter au principe de laïcité. Cela devient absurde : au nom du pluralisme laïc et humaniste, on finit par censurer, ou plutôt empêcher la réalisation (mais cela revient finalement au même…) d'expressions culturelles du Spirituel. Etre subversif aujourd’hui, c’est questionner le sacré !…

Fiche d’identité

Depuis 1990, date de création de la Cie, Dominique Touzé a conçu ou mis en scène l’ensemble des créations du Wakan Théâtre, 34 créations, dont 18 « Spectacles-promenade » qui sont devenus une sorte de spécialité-maison.

Il est également directeur artistique des Pléiades du Puy-en-Velay (Haute-Loire), saison artistique théâtrale, musicale et chorégraphique, pour interroger explicitement ou implicitement le sacré, en faisant référence aux traditions culturelles des trois religions monothéistes.

Dominique est par ailleurs régulièrement comédien avec d'autres Cies ou structures culturelles en Auvergne, notamment, le Centre Lyrique d’Auvergne, Le Festin (CDN de Montluçon), la Comédie de Clermont-Ferrand (scène nationale), Magma Performing Théatre, etc.

Il a été formé, entre autres, par le Théâtre Laboratoire du Polonais Jerzy Grotowski, et le Centre International de Recherche Théâtrale, du britannique Peter Brook, qui tous deux furent parmi les plus grands réformateurs du théâtre du XXe siècle.