Ce n’est pas parce que nous vivons dans un régime démocratique que la vérité et la liberté sont assurées. La qualité de l’information doit être un combat de tous les instants, soit pour préserver des droits existants, soit pour en conquérir de nouveaux. Et il y a du pain sur la planche : quelques exemples actuels avec l’audiovisuel public, l’Ifen, les aides à la presse, l’expertise scientifique…
Le président de la République française, Nicolas Sarkozy,lors de l´ouverture des Etats généraux de la presse fin 2008.
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Perte d’indépendance : l’audiovisuel public…
Une des conditions majeures de la qualité d’une information est son indépendance. Or la gouvernance de la télévision publique française passe sous la coupe de l’exécutif. Une fois la réforme de l’audiovisuel votée, c’est l’Élysée qui désignera le président de France Télévisions. Comme, dans le même temps, il n’est pas prévu de donner aux journalistes et aux rédactions les moyens juridiques et structurels de leur indépendance, l’information télévisée publique sera – quoi qu´on en dise – aux ordres de celui qui la finance. C’est-à-dire de l’État, du pouvoir politique.
C’est un recul énorme en matière de liberté d’information. Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, argue que « les rédactions des journaux télévisés sont indépendantes. C’est faire injure aux journalistes que de prétendre qu’ils sont incapables de résister aux pressions ». Cette affirmation est la preuve ou d’une bien grande naïveté, ou d’une tout aussi grande hypocrisie. Certes, le temps est – presque – révolu où le pouvoir dictait directement ses volontés aux patrons des chaînes. Certes, la censure n’ose plus s’afficher aujourd’hui aussi effrontément que dans le passé.
Mais le proverbe « qui paie commande » reste vrai. Dire qu’il n’a pas cours quand il s’agit de rédactions journalistiques, si fières de leur indépendance, c’est grandement méconnaître la réalité. En effet, le plus grand mal dont souffre notre profession aujourd’hui est bien l’autocensure, essentiellement économique. Avec la réforme, les rédactions seront d’autant plus assujetties à leur actionnaire qu’elles sont toutes déjà dans une situation statutaire de subordination à leur employeur. Les devoirs d’obéissance, de loyauté et de discrétion professionnelle seront alourdis par la crainte de déplaire à l’actionnaire. Ce qui autorisera bien des dérives.
…l’évaluation environnementale
L’environnement est devenu enfin une préoccupation du grand public. Les informations statistiques à son sujet en France (sources de pollution, industrielles et agricoles, ressources naturelles et biodiversité, attentes des Français en matière d’environnement, reporting national et régional sur l’environnement) étaient jusqu’à maintenant rassemblées par l’Institut français de l’environnement (Ifen).
Cet établissement public indépendant a été dissous par décret le 27 novembre 2007. Il est remplacé par un tout nouveau Service de l’observation et des statistiques (SOeS) au sein du ministère de l’écologie. Il perd ainsi sa capacité d’évaluer de manière impartiale les politiques environnementales du gouvernement. C’est d’autant plus ennuyeux que l’Ifen est correspondant français de l’Agence européenne pour l’environnement, en matière d’inspection. Les données statistiques sur les pollutions de l’air, de l’eau et des sols, sur la détérioration du littoral par l’industrie chimique et l’agriculture intensive seront désormais produites par le ministère de l’écologie, et non plus par une agence autonome.
C’est la victoire de la communication sur l’information.
L’info sur l’info ? Prudence !
Peu de gens savent qu’environ 1,5 milliard d’euros sont accordés chaque année à la presse d’information générale au titre de l’aide publique (directe et indirecte). Selon les autorités, ce coup de pouce à la presse vise trois objectifs majeurs : le développement de la diffusion, la défense du pluralisme, la modernisation et la diversification vers le multimédia des entreprises de presse.
Il serait logique que les chiffres et les informations concernant cette aide, qui est financée par nos impôts, soient publics. D’abord, le chiffre global de 1,5 milliards d’euros n’est jamais donné tel quel. Il résulte de nos propres calculs et estimations.
Ensuite, si vous souhaitez connaître la somme globale versée et le montant et l’affection par journaux de ces aides, voici ce que vous répond la Direction du développement des médias (DDM), direction placée sous la responsabilité du premier ministre :
« C’est délicat… Non pas que cela soit confidentiel, mais cela demande un travail de synthèse qui n’est pas fait. On travaille par familles de presse ou par fonds. Chaque fonds a ses critères propres. Ponctuellement, nous vérifions à ne pas dépasser les limites fixées par le droit européen. Concernant la publication des chiffres et les éléments nominatifs, nous avons la consigne d’être prudents : c’est un sujet politiquement sensible. Chaque information peut avoir des conséquences politiques disproportionnées… Moi, je ne peux pas vous en dire plus : voyez avec le conseiller technique en charge de la question ».
Ce dernier, plusieurs fois contacté, n’a jamais donné de réponse.
Les aides publiques à la presse
Les aides directes
Les aides à la diffusion
- Les réductions tarifaires de la SNCF
- L’aide à l’impression décentralisée des quotidiens
- L’aide à la modernisation des diffuseurs
- Le fonds d’aide à la distribution et à la promotion de la presse française à l’étranger
- L’aide au portage de la presse quotidienne d’information politique et générale
- Aide à la distribution de la presse quotidienne nationale d’information politique et générale
Les aides concourant au maintien du pluralisme
- Le fonds d’aide aux quotidiens nationaux d’information politique et générale à faibles ressources publicitaires
- Le fonds d’aide aux quotidiens régionaux, départementaux et locaux d’information politique et générale à faibles ressources de petites annonces
- L’aide aux publications hebdomadaires régionales et locales
Les aides visant à la modernisation et à la diversification vers le multimédia des entreprises de presse
- Le fonds d’aide au développement des services en ligne des entreprises de presse
- Le fonds d’aide à la modernisation de la presse quotidienne et assimilée d’information politique et générale
Les aides indirectes
Sur le plan fiscal
Le taux réduit de TVA
- Le régime spécial des provisions pour investissements
- L’exonération de la taxe professionnelle des éditeurs et agences de presse
Sur le plan social
- Le régime dérogatoire des taux de cotisations de sécurité sociale des vendeurs- colporteurs et des porteurs de presse
- Le calcul des cotisations sociales des journalistes
- Le statut social des correspondants locaux de presse
Sur le plan postal
- Les tarifs postaux préférentiels
Il faut ajouter à cela quelques autres lignes de dépense, comme les abonnements publics à l’Agence France presse dont le budget est assuré à 40 % par l’État. |
Criminaliser la rétention d’information ?
Dans ce contexte, la proposition du rapport de l’ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage de considérer, dans le domaine de l’expertise scientifique, «l’information du public comme un devoir», et donc de créer un «devoir d’alerte» et un «délit de rétention de l’information quand le risque est avéré», n’est pas pour demain.
Avec une telle exigence, selon Mme Lepage, on aurait pu pourtant condamner les cigarettiers qui possédaient depuis longtemps des études secrètes sur la dangerosité de leurs produits.
Il sera donc toujours difficile, dans les instances officielles, et malgré l’existence d’agences spécialisées, de dénoncer les risques en matière d’environnement et de santé.
L’obstacle majeur reste donc bien celui d’alerter et de convaincre les pouvoirs publics d’agir et de réagir. Heureusement que la société civile n’hésite plus à se mobiliser et qu’Internet permet la libre parole… Mais les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des efforts fournis.
Voir également l’action de la Fondation Sciences citoyennes à propos des lanceurs d’alerte scientifique.
En ce qui concerne les lanceurs d’alerte, il y a encore un long chemin à parcourir avant que la société comprenne la nécessité de les protéger. Le cas de Denis Robert (« affaire Clearstream ») le démontre. Pour avoir fait un travail sérieux d’investigation, trop rare de nos jours, le journaliste-écrivain doit faire face à 12 procès et doit prochainement passer en correctionnelle pour « recel d’abus de confiance ». En fait, et tout simplement, pour avoir fait un travail sde journaliste. Même s’il a pu se tromper, il est malsain que la société, par le biais de l’État, cherche à le faire taire plutôt qu’à le défendre.
Restons optimistes
Mais il y a aussi, çà ou là, des bonnes nouvelles. La profession médicale ne brille pas toujours par son souci de transparence. Il a fallu par exemple attendre 2002, avec la loi Kouchner, pour reconnaître tout simplement au patient le droit d’accès à son dossier médical.
On peut donc se réjouir qu´en ce mois de janvier 2009 l’Assurance maladie ait enrichi son site Internet de données sur :
– les actes techniques pratiqués par les professionnels de santé : scanners, échographies, chirurgie de la cataracte ou pose d’une prothèse de hanche, chirurgie du ménisque du genou, endoscopies digestives : au total, une centaine d’actes les plus courants sont concernés ;
– les tarifs qu’ils appliquent habituellement
– leurs adresses et s’ils acceptent la carte Vitale.
Vous accédez facilement à toutes ces informations en complétant un formulaire sur le site.
De son côté, le ministère de la santé a promis le lancement, courant 2009, d’un portail d’information publique sur les médicaments pour tout savoir sur un médicament : composition, niveau d’efficacité, effets secondaires, taux de remboursement…
Ce site sera lié aux instances responsables : ministère de la santé, Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), Haute Autorité de santé (HAS), Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam) et réunira toutes les informations publiques disponibles sur les médicaments. Ce portail doit permettre aux professionnels de santé, mais aussi « au grand public d’avoir un accès simplifié à l’information publique ».
Enfin, le procès de l’explosion de l’usine AZF à Toulouse (30 morts en 2001), qui devrait durer quatre mois à partir du 23 février, sera entièrement filmé, une première en correctionnelle en France. L’Association des sinistrés du 21 septembre 2001, qui avait présenté la demande d’enregistrement filmé des audiences, s’est félicitée de la décision du premier président de la Cour d’appel de Toulouse. Jusqu’à présent, seuls ont été filmés en France des procès au caractère éminemment historique, comme ceux de Maurice Papon et de Paul Touvier, jugés pour participation à un crime contre l´humanité…
A moins que les deux seuls prévenus du procès, le directeur de l´usine au moment des faits, et la filiale de Total, la société Grande Paroisse, qui ont décidé de contester cette décision de filmer le procès, obtiennent gain de cause devant la Cour de cassation…