– Ouvertures.- Pensez-vous que le pape ait lu votre livre ?
– Jacques Blamont.- Non, je ne le pense pas.
– Pensez-vous avoir eu une influence sur la rédaction de l’encyclique Laudato si ?
– Je ne crois pas. Mais il y a une convergence de pensée, on retrouve dans l’encyclique les idées essentielles de notre livre. Par exemple, l’idée que moins est plus, traduite chez moi par le mot frugalité ou par sobriété chez le pape. Egalement l’idée de synergie, le fait qu’une série de facteurs peu dangereux pris individuellement se combinent pour créer des situations très dangereuses. Le pape l’exprime d’une autre façon, en disant que tout est lié, mais c’est la même chose. La pénurie d’eau par exemple, la plus importante de toutes, qui est engendrée par de multiples causes, anthropiques ou naturelles, a de nombreuses conséquences politiques, militaires, sociales, économiques. Le pape prend les choses en sens inverse. Il part du sort des pauvres et montre le lien entre pauvreté et écologie.
Autre convergence importante, nous appelons tous les deux à une révolution culturelle.
– Que pensez-vous de l’encyclique ? Quels sont ses points forts, ses points faibles ?
– L’Eglise a évolué. J’ai retrouvé un discours de Jean XXIII qui date de 50 ans dans lequel il fulminait contre les gens qui annoncent des catastrophes. Aujourd’hui, le pape François n’hésite plus à employer le mot catastrophe. Et quand il utilise ce mot, il ne pense pas à une petite explosion quelque part, il s’agit pour lui d’une vraie catastrophe mondiale. Et le pape fait la même analyse que moi sur la cause de cette singularité à venir. Le problème majeur – et inattendu –, c’est la réussite de la technologie. C’est elle qui a créé l’augmentation de la population et c’est elle qui a créé le gaspillage des ressources. Cette réussite a été élevée au niveau d’un paradigme, d’un dogme. Le pape l’expose très bien. Il faut changer ce dogme. Il faut remplacer la prédominance de la technologie par le principe du bien commun.
Le point faible, c’est que le pape ne propose pas de solutions. Nous, nous pensons que passer d’un paradigme à un autre ne peut se faire que sous l’influence d’un pouvoir spirituel. Il faut qu’on trouve une structure spirituelle capable de galvaniser les foules.
– Je ne vous comprends pas ! Le pape est à la tête d’une structure spirituelle et appelle à un changement de mode de vie. N’est-ce pas ce que vous attendiez ?
– Appeler à changer de mode de vie, ce n’est rien du tout. L’essentiel est de passer du discours à l’acte. Comment va-t-il faire ?
– Vous non plus, vous ne dites pas comment il pourrait faire bouger les gens…
– Pardon ! Nous souhaitons une mobilisation au sein du magistère et qu’il élabore un code qui soit universel. Ensuite, l’Eglise mobiliserait ses fidèles, qui entraîneraient à leur tour les non-catholiques.
Un nouveau petit livre rouge !
Un rien provocateur, Jacques Blamont parle dans son livre de « petit livre rouge », en référence à une autre révolution culturelle… Il voudrait que l’Eglise supervise l’écriture d’un texte fondateur, ayant la force de la parole évangélique. Mais une évangélisation qui concernerait les choses de la terre. Un nouveau message chrétien faisant appel à une discipline de responsabilité envers le futur et envers les autres. Et qui en évalue les conséquences, économiques, sociales et politiques.
– L’Eglise s’est levée, mais pas encore mise en marche. Comment voyez-vous la suite ?
– Justement, on ne la voit pas. L’encyclique ne parle pas du futur. C’est sa faiblesse.
– Pensez-vous toujours qu’il faudrait que le pape réunisse un concile ?
– Oui, il faudrait une grande initiative claironnante réunissant beaucoup de monde. Mais dès que je prononce le mot concile, on me prend pour un cinglé. Les prélats n’ont pas encore digéré le dernier concile Vatican II et l’idée de lancer quelque chose du même genre les effraie. Donc je pense que ça n’arrivera pas.
– Voyez-vous d’autres personnes qui pourraient avoir ce rôle d’éveilleur de conscience ?
– Non, il n’y a personne dans le monde qui puisse avoir la moindre influence sur l’éthique. Ni chez les politiciens, ni chez les intellectuels. C’est pour ça qu’on retombe sur le pape, il est le seul à avoir une position qui repose sur la tradition, avec son aura, sa personnalité et sa démarche et surtout l’idée que les gens s’en font.
– Vous ne croyez pas à la possibilité d’une action politique de l’ordre de la contrainte. Pour vous, seule une révolution des esprits peut sauver le monde. Pourtant en France, la politique de sécurité routière, basée sur la contrainte et la punition, a réussi à réduire les morts de la route d’un facteur 4 !
– Je n’ai pas dit cela. Il faut une certaine contrainte. Il faut inventer. Concevoir une politique de décroissance intelligente, qui sauvegarderait l’emploi tout en réduisant le niveau de vie, c’est la chose la plus difficile.
Je suis arrivé à la conclusion qu’il faut utiliser les réseaux sociaux, ce que personne ne fait. A l’heure actuelle, ils tournent en roue libre. Les initiatives viennent de la base, comme dans le printemps arabe et plus récemment au Guatemala, et en général échouent. Ils peuvent même avoir des conséquences néfastes comme leur utilisation par le djihad.
On voit qu’il y a quelque chose qui est en train de naître, c’est encore assez confus. Une action en direction d’un milliard de personnes, c’est cela que l’Église devrait tenter. Un concile mobiliserait les réseaux pour faire surgir des idées nouvelles et inciterait tous les penseurs du monde à une immense réflexion…
Une action de l’ordre de la contrainte devrait être engendrée par un mouvement de masse. Le succès de la politique de sécurité routière tient au fait qu’au fond les Français sont d’accord. Il y a beaucoup de rebelles, mais la majorité se plie.
– Vous n’êtes pas de ceux qui pensent que la technologie peut sauver la planète. Pourquoi ?
J’ai souvent répondu à cette question. C’est très simple : la crise est créée par la technologie et donc la technologie ne peut pas arrêter la crise qu’elle a créé elle-même. La technologie permet plus d’efficacité, elle fait baisser les prix et donc augmenter la consommation. C’est cela qui conduit à la crise. Un exemple : en Inde, la révolution verte qui a permis aux Indiens de survivre est en train de dévorer les terrains agricoles par salinification.
La globalisation du paradigme technocratique
Pape François, Lettre encyclique Laudato si (Loué sois-tu) sur la sauvegarde de la maison commune. Chapitre 3 : La racine humaine de la crise écologique.
« Le problème fondamental est autre, encore plus profond : la manière dont l’humanité a, de fait, assumé la technologie et son développement avec un paradigme homogène et unidimensionnel (…)
De là, on en vient facilement à l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la « presser » jusqu’aux limites et même au-delà des limites (…)
La technique a un penchant pour chercher à tout englober dans sa logique de fer (…)
On n’a pas encore fini de prendre en compte les racines les plus profondes des dérèglements actuels qui sont en rapport avec l’orientation, les fins, le sens et le contexte social de la croissance technologique et économique. »
– Que répondez-vous à des gens comme Ray Kurzweil qui voient au contraire la technologie résoudre tous les problèmes grâce à sa progression exponentielle ?
– Le progrès technologique suit effectivement la loi de Moore qui est exponentielle, mais je ne vois pas les supercalculateurs sauver la planète. Comment vont-ils pouvoir assurer l’approvisionnement en eau du Yémen quand sa population aura doublé et atteint 45 millions alors que les nappes phréatiques sont à 1000m de profondeur contre 10 m il y a 30 ans ? Cette situation de pénurie se retrouve dans beaucoup d’autres pays (Maghreb, Proche Orient, Chine).
– Que pensez-vous de la fiscalité écologique ?
– Ce n’est sans doute pas une mauvaise idée pour les gaz à effet de serre. Mais ce n’est qu’un des problèmes alors qu’il y en a mille. Comme je l’ai dit, le problème, c’est la synergie des problèmes.
– C’est pour cette raison que je vous parle de fiscalité écologique et pas de taxe carbone…
– On vient d’annoncer que la moitié de la population animale des océans a disparu en 40 ans. Alors, vous allez taxer les pécheurs ? C’est ridicule !
– Dans votre livre, vous citez Jean-Claude Juncker : « Nous savons tous très bien ce qu’il faudrait faire, mais ce que nous ne savons pas, c’est nous faire réélire après avoir agi ». Nos dirigeants savent-ils vraiment comment gérer la décroissance sans entraîner le monde dans une crise pire que celle qu’on cherche à éviter ?
– Non. Je ne les crois pas capables de diriger quoi que ce soit, ni vers la croissance, ni vers la décroissance.
>> Lire aussi la recension du livre « Lève toi et marche » L’Eglise catholique peut-elle sauver la planète de l’apocalypse ?
J’admire Monsieur BLAMONT – éminent scientifique -qui ose exposer sa pensée à la suite de la publication de l’encyclique “Laudato Si” et, lui qui se dit athée, de faire confiance seulement à l’Eglise Catholique pour entraîner notre humanité à vivre différemment et sauver ainsi la planète, notre “Maison Commune”. Quel honneur ! et quelle responsabilité pour nous, chrétiens.
En revanche, il avoue ne pas voir comment y parvenir : le Pape François donne le sésame, “APPLIQUER CE QUE NOUS DIT JESUS DANS L’EVANGILE”
Si nous n’en dévions pas, notre “Maison Commune” est sauvée avec tous ses occupants !