Oui ! affirme dans son dernier livre Emmanuelle Grundmann, primatologue qui a vécu avec les orangs-outans dans la forêt de Bornéo. Pas tout à fait, pensons-nous.
L’ouvrage comprend près de 200 magnifiques photos présentant souvent côte à côte, et dans des postures semblables, une figure humaine et une figure animale. L’effet est saisissant. Le texte fourmille d’anecdotes, de résultats d’études et de réflexions philosophiques sur ce qui distingue ou rapproche nos deux espèces.
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Les singes étant capables d’apprendre, de suivre des règles de conduite, de reconnaître leur image, leurs comportements ont finalement plus de similitudes que de différences avec les nôtres : « L’homme serait bel et bien un singe comme les autres, bipolaire qui plus est, oscillant entre le modèle bonobo et le modèle chimpanzé. (…) Mais est-ce nous qui sommes redevenus des singes ou eux qui sont désormais des humains ? Si l’outil, la morale, la politique, la culture, la bipédie, le rire et la raison ne nous différencient plus des grands singes, comment définir alors le propre de l’homme. Existe-t-il encore ? Et cette question a-t-elle réellement lieu d’être ? ».
La scientifique est portée par la volonté de défendre ces animaux dont elle a étudié de très près le comportement pour sa thèse. En nous réunissant, les singes et nous, en une grande famille humaine (pour elle, ils sont nos « frères »(1) ), elle veut nous réconcilier avec la nature avec qui nous ne faisons qu’un. Nous pouvons ainsi retrouver « une sorte de paradis perdu ». Et « faire enfin preuve de sagesse, de responsabilité et d’humanité » en protégeant effectivement, au lieu de les exterminer, ces primates qui nous ressemblent tant.
Pour Emmanuelle Grundmann, la frontière entre l’homme et l’animal est une « frontière mythique », un « préjugé » que l’observation des primates permet de dissiper : « Plongez votre regard dans ceux de grands singes, et vos doutes, si tant est que vous en ayez encore, s’effaceront ».
Personnellement, tout en reconnaissant l’animalité de l’homme, nous pensons qu’il existe entre l’animal et l’homme une différence de nature. Mais cette différence, essentiellement spirituelle, philosophique et morale, n’est pas à rechercher en opposition avec les animaux, fussent-ils les grands singes. Car effectivement, nous participons, eux et nous, d’une même nature animale.
Seulement, en l’homme (non qu’il y soit pour quelque chose…), la liberté de la pensée et la possibilité de savoir qu’il sait, ainsi que le langage articulé, font de lui un animal aux potentialités infiniment plus riches et diversifiées. Et d’une autre nature (il n’en a pas moins le devoir de tout mettre en œuvre pour respecter une nature, dont il participe effectivement, mais qu’il a jusqu’ici soumise à ses caprices et à ses intérêts).
C’est pourquoi nous n´acquiesçons pas totalement à la conclusion de l’auteure de ce beau livre quand elle dit: « S’interroger sur le propre de l’homme et chercher la réponse du côté des grands singes, n’est-ce pas une manière de s’éloigner des vraies réponses et de la peur indicible qui nous ronge de dévoiler au grand jour notre face obscure ? Le propre de l’homme n’est-il pas simplement à rechercher là, au fond de nous-mêmes, une fois que nous serons arrivés à nous réconcilier avec la nature, avec notre nature ? ».
Nous pensons, en effet, que cela ne suffira pas. Car, selon nous, il y a en l´homme une dimension morale et spirituelle et une potentialité créative qui le différencie des autres êtres vivants. Le simple fait, d´ailleurs, de nous poser la question de l´existence ou non d´une différence entre les animaux et nous nous distingue d´eux absolument.
» E. Grundmann, L’Homme est un singe comme les autres, Hachette Pratique, Paris, 2008, 29,90 €.
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(1) L’éditeur, plus prudent, emploie le mot « cousins ».